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Mauvaise langue et mauvaise foi

Bon, ça y est. C'est fait. J'ai lu le livre, de Marc Cassivi. C'est un livre intéressant, mais inégal.
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Bon, ça y est. C'est fait. J'ai lu le livre Mauvaise langue, de Marc Cassivi.

Tout d'abord, c'est un livre intéressant, mais inégal. On y apprend des choses fascinantes, comme par exemple, que M. Cassivi a fondé, alors qu'il était enfant, une organisation de lutte contre le crime organisé international, nommée Police Canada, qu'il a vécu son premier rendez-vous galant dans un McDo de Beaconsfield, qu'il a gagné un certificat cadeau de 100 $ d'une librairie d'Outremont à la suite de sa victoire dans un concours de journalisme et qu'il a renoncé à écrire un roman après que son PC ait rendu l'âme. Intéressant dans la mesure où le lecteur s'intéresse à la vie et au passé de M. Cassivi. Dans le cas contraire où le lecteur, comme moi, s'intéresse davantage au débat sur la langue au Québec qu'aux péripéties de l'auteur, ce livre se révèle décevant et laisse le lecteur sur sa faim.

En effet, Cassivi se sert surtout de son expérience personnelle, et c'est correct, pour faire valoir son point de vue sur l'état de la langue au Québec. Cependant, sur certains thèmes soulevés, il lui arrive de s'appuyer sur des demi-vérités, de faire, volontairement ou non, des erreurs sémantiques, et de tourner les coins ronds pour tenter de donner de la crédibilité à sa thèse.

Cassivi affirme à plusieurs reprises être un indépendantiste, et c'est l'une des choses que nous avons en commun, comme le dédain d'avoir la reine Elizabeth II d'Angleterre comme chef d'État et le rejet d'une constante recherche d'approbation chez certains à l'égard de notre ancienne métropole, la France. Le fait de s'affirmer indépendantiste, comme gage de bonne foi, lui octroie un droit quasi divin de critique du mouvement indépendantiste. Il sert également à prêter cette même bonne foi au journal La Presse et ainsi démontrer l'ouverture d'esprit de ses patrons. Le chapitre «Nous autres» en entier est consacré à cette critique peu constructive qui ressemble davantage à un règlement de compte. Notons aussi que le livre est parsemé ici et là de ces mêmes critiques, formulées autrement. Trois choses en ressortent particulièrement : l'utilisation du mot «nationalisme», à toutes les sauces, nous le verrons : une vendetta contre Mario Beaulieu, aujourd'hui président du Bloc québécois : et l'utilisation d'un seul sondage CROP comme argument massue pour corroborer ce qu'il affirme.

Nationalisme

Marc Cassivi utilise beaucoup et de manière négative le concept de nationalisme. Il l'utilise un peu comme un mot passe-partout afin de miner la crédibilité de ses opposants idéologiques : les zélotes, monomaniaques et autres curés de la langue.

Il faut noter que le mot nationalisme est souvent utilisé à tort au Québec de manière péjorative, et ce n'est pas étranger au fait que le mot nationalisme désigne dans la vieille Europe une forme de chauvinisme, associée à l'extrême droite, et rappelle les conflits ethniques comme en ex-Yougoslavie, par exemple. Cependant, ici, l'utiliser de cette façon relève d'une erreur sémantique. En effet, «on distinguera donc le nationalisme chez un peuple n'ayant pas encore conquis sa souveraineté (ni créé son propre État indépendant), du nationalisme s'exprimant au sein d'une nation qui a déjà son propre État». À ce niveau, il faut noter que le site Wikipédia classe plutôt le nationalisme québécois dans la catégorie «Les indépendantistes», avec les nationalismes basques, écossais, catalans, etc.

Voilà donc, le mot qui effraie. Nationalisme. Et pour être certain d'obtenir l'effet escompté, Cassivi lui accole d'autres mots qui lui donnent une connotation encore plus effrayante : «thuriféraires du nationalisme ethnique», «ultranationalisme», «nationalistes conservateurs», «nationalistes identitaires». Pour quelqu'un qui se vante de ne pas vouloir d'approbation ni de prendre exemple sur la France, il en importe ici une sémantique qui ne devrait pas s'appliquer à une lutte d'émancipation nationale.

Vendetta contre Mario Beaulieu

À la page 58, il se lance dans une diatribe contre Mario Beaulieu, ancien président de la Société Saint-Jean Baptiste, ancien chef du Bloc québécois, actuel président de ce parti, et député de La Pointe-de-l'Île. «C'est avec ce genre de leader borné que certains aimeraient faire un pays?»

Borné. Mario Beaulieu? Borné? Si Cassivi avait fait ici un travail journalistique rigoureux, il saurait que Mario Beaulieu a organisé la première fête nationale du quartier Parc-Extension, un quartier de Montréal à forte majorité de Québécois issus des communautés culturelles ; qu'en tant que chef du Bloc, il a été l'initiateur de l'un des plus grands rassemblements interculturels dans le mouvement souverainiste dans les dernières années ; qu'il a été le seul chef d'un parti sur la scène fédérale à donner ouvertement son appui à la Palestine. Mario Beaulieu m'a même ouverte toute grande la porte de la SSJB, alors qu'il était président, pour que je puisse y organiser une série de projections-discussions sur différentes problématiques politiques en Amérique latine (anecdote personnelle qui renforce ma thèse, j'apprends vite).

Cassivi dit aussi ceci à propos de Beaulieu : «Ils s'étonnent vraiment que les jeunes - les alliés naturels et historiques du mouvement indépendantiste - aient quitté le navire, avec des dirigeants de l'arrière-garde aussi peu ouverts d'esprit, aussi peu en phase avec leurs préoccupations, aussi peu inspirants?».

Si Monsieur Cassivi connaissait bien le mouvement indépendantiste, il saurait que ce sont les jeunes, beaucoup d'anciens d'Option nationale arrivés au Bloc québécois, qui ont permis à Mario Beaulieu d'en devenir le chef. Quant à l'accusation d'être «peu en phase avec leurs préoccupations», il faut savoir aussi que Mario Beaulieu a été intervenant pendant 25 ans dans un Centre jeunesse. Encore un beau travail journalistique M. Cassivi? Ou avez-vous laissé volontairement de côté ces éléments? Dans les deux cas, c'est plutôt faible, n'est-ce pas?

Souveraineté à 30 % chez les jeunes?

Ensuite, Cassivi s'appuie sur un seul et même sondage pour valoriser sa théorie selon laquelle les jeunes désertent l'indépendance du Québec : «Selon un sondage CROP réalisé à l'automne 2015 pour la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires de l'Université Laval, l'appui à la souveraineté du Québec chez les 18-24 ans n'est que de 30 % (contre 65 % en 1995)». Plus loin, Cassivi affirme se baser sur «des» sondages, sans citer de sources : «Les jeunes ont déserté le mouvement souverainiste. Les plus récents sondages [lesquels?] démontrent que l'appui des 18-34 ans à l'indépendance ne dépasse pas les 30 %». Puis, page 59, il affirme alors, mettant le blâme sur des leaders «bornés» comme Mario Beaulieu, que les jeunes quittent le navire souverainiste, se servant uniquement de ce sondage CROP et de ses «observations».

D'abord, c'est un peu fallacieux de ne prendre qu'un sondage isolé pour en tirer une conclusion générale à propos d'une strate de la population, dans ce cas les «jeunes». Sans compter que c'est un sondage réalisé dans les derniers jours de la campagne fédérale la plus longue de l'histoire, justement au moment où le gouvernement conservateur s'apprête à être chassé du pouvoir, donnant chez plusieurs un «nouvel espoir» dans le Canada en partant de l'expression «donnons la chance au coureur» (expression à laquelle je n'adhère pas pour Justin Trudeau).

M. Cassivi parle d'une proportion d'appuis favorables à la souveraineté chez les 18-24 ans à 30 %, alors qu'un sondage publié par la maison Léger datant de 7 mois plus tôt évaluait plutôt la proportion chez le même groupe d'âge à 41 %, et selon l'échantillon plus large des 18-34 ans, à 39 % ; et qu'un autre sondage Léger datant du 21 novembre 2015 évaluait l'appui à la souveraineté à 42 % chez les 18-24 ans et à 39 % chez les 25-34 ans.

Il importe aussi de noter au passage que M. Cassivi commet une erreur d'interprétation des tableaux en mentionnant pour sa part les 18-24, car le seul et unique sondage sur lequel il attribue une intention aux «jeunes», commandé par la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions de l'Université Laval à la maison CROP, fait plutôt référence aux 18-34 ans. D'autant plus que Claire Durand, professeure titulaire au département de sociologie de l'Université de Montréal et grande spécialiste de l'analyse des sondages politiques, affirmait que «l'appui (à la souveraineté) ne se différencie pas en fonction de l'âge, ce qui était le cas en 1980 et 1995 [...] On voit que l'appui à la souveraineté, très fortement lié aux groupes d'âge en 1979 et en 1995, ne l'est plus vraiment.» En somme, le fait d'écrire que les «jeunes» désertent le navire en s'appuyant sur un seul sondage s'apparente à de la mauvaise foi intellectuelle. Un sondage ne fait pas le printemps, comme on dit.

Le Québec et la langue anglaise

Citons ici trois passages intéressants.

«Il n'y a peut-être qu'au Québec, société rongée par ses complexes d'infériorité et figée dans ses peurs historiques, que le bilinguisme est perçu par plusieurs non pas comme une richesse manifeste mais comme une tare, voire un vice rédhibitoire».

Il n'y peut-être qu'au Québec? Que dire du Pays basque? Allez dire à un Basque qu'il lâche son complexe d'infériorité et qu'il s'ouvre au bilinguisme en niant sa réalité historique : «En plus, un élément qui a son importance, la langue basque était stigmatisée comme étant la langue des étables, des rustiques non sophistiqués, au contraire du castillan, la langue du raffinement, de la culture, de l'éducation et du succès urbain. La marginalisation du basque allait en augmentant, au fur et à mesure qu'augmentait le prestige des grandes villes».

Tiens tiens, la langue des rustiques non sophistiqués?

«En cette matière - l'apprentissage déficient de l'anglais chez les jeunes -, le Québec piétine depuis les conclusions du rapport Larose, au début des années 2000, qui recommandaient l'apprentissage intensif de l'anglais. Il continue de former des cancres et des analphabètes internationaux».

«L'anglais n'est plus, pour la plupart des Québécois de moins de 35 ans, la langue du joug des patrons d'usines méprisants des années 50 qui tenaient les francophones pour des citoyens de seconde zone. C'est une langue internationale que l'on a intérêt à comprendre si l'on veut s'ouvrir au monde».

S'ouvrir au monde? Mais en anglais... L'anglais, en plus d'être la langue des affaires et la langue du showbiz, est la langue de l'ouverture sur le monde. Mais sur quel monde? Ce monde culturel mondialisé et aseptisé qui impose Katy Perry et X-Men partout sur la planète? Oui, l'anglais te permettra de t'ouvrir sur ce monde. Bravo. Belle ouverture d'esprit.

Prenons simplement l'exemple de la République tchèque :les jeunes Européens qui désirent y faire leur année d'Erasmus peuvent le faire sans connaître la langue du pays, puisque tous leurs cours seront donnés en anglais. Disons que ça donne une drôle de dynamique : pleins d'étudiants européens qui débarquent chaque année et qui sont incapables de dialoguer avec la population tchèque, sauf si celle-ci parle anglais. (Certains apprennent le tchèque, mais comme ce n'est pas obligatoire...) Et on ne parle même pas d'un contexte d'accueil de touristes. Maintenant, il faut parler anglais pour pouvoir travailler dans une épicerie? Les Tchèques, ces analphabètes internationaux fermés d'esprit?

C'est drôle comme les trois passages que je viens de citer du livre de Marc Cassivi me font plutôt penser à du Jean Lesage : «L'unilinguisme et le séparatisme sont des mouvements de repli sur soi-même qui témoignent d'un complexe d'infériorité et qui sont en complet désaccord avec le rythme de vie du continent nord-américain». Il y a 35 ans, nous étions fermés à l'Amérique du Nord, et aujourd'hui au monde. Une vraie bande de cancres et d'analphabètes internationaux. Juste noter que Jean Lesage était un fédéraliste et un royaliste notoire, et c'est un peu comique de voir Cassivi dire ceci dans les dernières pages : «Le Québécois est maître chez lui, ainsi que l'avait souhaité Jean Lesage (même s'il ne le sera jamais assez au goût de certains)».

Dans ce contexte, c'est peut-être plutôt pour cela que Cassivi se sent vaguement indépendantriste, comme dirait Charlebois, le ménestrel de Sagard.

Cassivi a souvent reproché à ses détracteurs de ne pas avoir lu son livre, alors au moins, il ne pourra me le reprocher. Reste à voir avec quelle pirouette il tentera de discréditer mon texte...

Références

1. Marc Cassivi, Mauvaise Langue, 2016, Éditions Somme Toute, p.13.

2. Ibid., p.16.

3. Ibid., p.29.

4. Ibid., p.76.

5. Philippe Boudreau et Claude Perron, Lexique de science politique, 2002, Éditions de la Chenelière, p.128.

6. Marc Cassivi, Mauvaise Langue, 2016, Éditions Somme Toute, p.53.

7. Ibid., p.56.

8. Ibid., p.85.

9. Ibid., p.50.

10. Ibid., p.59.

11. Ibid., p.32.

12. Ibid., p.57.

13. Ibid., p.43.

14. Rui Perreira, Pays Basque : Un conflit méconnu, Gatuzain, 2003, p.51.

15. Marc Cassivi, Mauvaise Langue, 2016, Éditions Somme Toute, pp.92-93

16. Ibid., p.82.

17. Jean Lesage, Le Canada héritage de tous les Canadiens français, tiré de : Le séparatisme? Non! 100 fois non!, Les presses libres, 1970, p.118.

18. Marc Cassivi, Mauvaise Langue, 2016, Éditions Somme Toute, p.98.

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