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Le jour où je suis allée à la fête de mort de Margaret Thatcher

C'est une foule compacte et pour le moins étrange que j'ai rejoint à Trafalgar Square samedi. Ceux que la pluie battante n'avait pas dissuadés de venir à la "fête de mort" de Margaret Thatcher s'étaient regroupés devant la majestueuse National Gallery.
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LONDON, ENGLAND - APRIL 13: Protesters hold a sign saying 'The Lady Is Not Returning' during a party held in Trafalgar Square following the death of the former British Prime Minister Margaret Thatcher on April 13, 2013 in London, England. Downing Street announced that the funeral of former Prime Minister Baroness Thatcher will take place at London's St Paul's Cathedral on April 17. (Photo by Jordan Mansfield/Getty Images)
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LONDON, ENGLAND - APRIL 13: Protesters hold a sign saying 'The Lady Is Not Returning' during a party held in Trafalgar Square following the death of the former British Prime Minister Margaret Thatcher on April 13, 2013 in London, England. Downing Street announced that the funeral of former Prime Minister Baroness Thatcher will take place at London's St Paul's Cathedral on April 17. (Photo by Jordan Mansfield/Getty Images)

C'est une foule compacte et pour le moins étrange que j'ai rejoint à Trafalgar Square samedi, vers dix-neuf heures. Ceux que la pluie battante n'avait pas dissuadés de venir à la "fête de mort" de Margaret Thatcher, prévue quasiment depuis son départ du pouvoir en 1990 et officialisée par les réseaux sociaux, s'étaient regroupés devant la majestueuse National Gallery et débordaient autour des fontaines éclairées et jusqu'aux statues des lions symbolisant la victoire.

Des policiers entouraient la place en nombre, malgré une manifestation assez calme, à part quelques incidents dus à un état d'ébriété avancé, aussi caractéristique en Angleterre que la pluie d'avril.

La foule était donc faite de gens bien différents

Beaucoup de punks, des anarchistes, des touristes, des accents venus de partout, des hommes en costume de soirée, des femmes avec leurs enfants, des journalistes, des étrangers, des syndicats trotskystes, des Irlandais chantonnant "IRA, IRA!".

Dans cette masse, des jeunes, à peine nés lorsque Thatcher a quitté le pouvoir, partageaient des bouteilles de champagne avec le Syndicat des Mineurs, vieux barbus à la peau marquée, venus du nord-est de l'Angleterre, du Yorkshire, d'Écosse et du Pays de Galles, et dont l'arrivée fut saluée par des applaudissements nourris. Régulièrement, quelqu'un lançait un "Maggie, Maggie, Maggie... dead, dead, dead!" repris en chœur par les autres.

En me baladant entre les gens, j'ai tendu mon dictaphone à la volée, et demandé à quelques-uns de m'expliquer pourquoi ils avaient ressenti le besoin de venir aujourd'hui.

Des images de la "fête de mort" de Thatcher, compilées par le HuffPost UK

Le billet de Judith Mesguich se poursuit après la galerie

BRITAIN-POLITICS-THATCHER

Baroness Thatcher death 'party'

Le premier à me répondre n'est d'ailleurs pas anglais, mais belge, côté Flamand. Il vend le Socialist Worker sous un stand.

"Nous sommes tous concernés, pas seulement les anglais, pas seulement parce que je vis ici. L'Europe d'aujourd'hui, c'est celle de Thatcher, tous nos dirigeants continuent ce qu'elle a commencé, ce qu'elle a poussé à l'extrême comme personne avant elle ne l'a fait".

Une autre voix s'élève, et je m'étonne aussi, car le jeune homme a dix-neuf ou vingt ans, et Thatcher était déjà partie lorsqu'il est né.

"Notre génération, la génération des années 90, subit de plein fouet ce qu'elle a mis en place. Plus de logements, plus de boulots, une classe qui en écrase une autre. Elle n'a fait que diviser".

Je lui demande s'il ne trouve pas ça choquant, un peu, de se réjouir à ce point de la mort de quelqu'un.

"Et pour Chavez, ils se sont gênés, eux? Ils l'ont traîné dans la boue, l'ont qualifié de dictateur! Et cette femme a servi le thé à Pinochet et s'est rendue complice de ses massacres. Je ne suis pas là pour me réjouir de sa mort, mais pour commémorer celle de ses victimes".

Brian, retraité originaire d'Hackney, banlieue Londonienne, et membre du Socialist Party (en Angleterre, un parti minoritaire), a vécu en plein dans les années Thatcher. Il a vu, me dit-il, des communautés s'effondrer, des travailleurs perdre leur emploi et se suicider, et déplore ce que sa politique a fait pour l'économie.

"- Mais on entend partout qu'elle a au contraire sauvé l'économie britannique, non?

- Sauvé? Sauvé l'économie? Mais elle a tout détruit, les communautés, les boulots, les industries. Elle a ruiné notre pays. Si elle a sauvé une économie, c'est celle des riches!".

Au fil de la soirée, on me tend des tracts pour et contre tout; pour la sauvegarde des espèces en voie de disparition, contre le G8, pour la réouverture d'une enquête sur les attentats du 11 septembre. Les discours que j'entends sont un bizarre mélange d'anticapitalisme, de condamnation des politiciens et d'exhortation à la lutte des classes.

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De problèmes de société, aussi: "j'avais quatorze ans quand Maggie est arrivée, et elle a ruiné mon adolescence", me dit en passant un type, main dans la main avec son compagnon. "Section 28". Le fameux amendement qui interdisait aux gouvernements locaux de parler de l'homosexualité et qui a fait fermer nombre d'associations homosexuelles dans les lycées, c'est aussi elle.

En France, le tweet de Jean-Luc Mélenchon envoyant Thatcher en enfer a largement choqué, mais, ici, c'est l'idée qui flotte dans l'atmosphère. Emily, petite-fille d'un mineur gallois, une bouteille de vin terminée à la main, une canette de bière dans l'autre, ne mâche pas ses mots:

"J'espère qu'elle brûle en enfer. J'avais quatre ans pendant les grèves des mineurs, et je m'en souviens encore, je distribuais des tracts. Si je suis ici aujourd'hui, c'est pour la classe ouvrière, c'est pour ce qu'elle lui a fait, c'est pour son héritage! Il aurait pu y avoir des emplois. Dans les mines, dans la construction, dans les ports, il aurait pu y avoir du travail aujourd'hui, mais elle a tout vendu".

J'ai également croisé Hassan, cinquante et quelques années, qui a quitté l'Iran il y a un peu plus de vingt ans pour fuir la charia. Musulman, non pratiquant, une canette de bière à la main et un masque des Anonymous sur la tête, Hassan m'explique, de son lourd accent, qu'il est là "pour faire la fête contre tous les politiciens. Thatcher aussi, mais pas seulement, tous ceux qui cherchent le profit, tous ceux qui continuent ce qu'elle a commencé".

Ici aussi, résonne un peu le refrain du "Tous pourris". Mais l'on m'explique qu'il y a une différence avec le reste de l'Europe: en Angleterre, il n'y a pas de gauche. A tous ceux à qui j'ai parlé, j'ai demandé pour qui ils votaient, et une large majorité s'abstiennent. Ceux qui votent Labour le font du bout des doigts.

Andrew, qui vit à Brighton, me dit avec poésie:

"Tu vois, en physique, le spectre des couleurs? Le rouge, l'orange et le bleu se confondent. Ici c'est pareil, ils sont tous bleus. Il y a les oranges-bleus (Libéraux-Démocrates) et les rouges bleus, mais tout ça est un violet néolibéral dangereux. Tony Blair n'était pas de gauche, Brown non plus, et Milliband ne l'est pas plus. Il faut virer le bleu de ce pays!".

De fait, dans la foule, les seuls drapeaux qui s'élèvent sont rouges et noirs, symbole de l'antifascisme.

Finalement, au moment de partir, je discute une dernière fois avec un type arborant des dizaines de pin's altermondialistes sur un T-shirt "TorySpotting" crucifiant David Cameron, Boris Johnson et George Osborne, chancelier de l'Échiquier. Il s'appelle Syd, et s'il fait la fête aujourd'hui, c'est pour retrouver un sens de communauté que Thatcher a détruit.

"Le problème, c'est l'apathie politique", dit-il. "Moi non plus, avant, je n'en avais rien à faire. Mais l'individualisme que Thatcher a insufflé en Angleterre est dangereux, il détruit l'espoir. Il faut s'unir pour combattre. Tellement de gens sont chez eux, en ce moment, et se réjouissent aussi, en silence. Ce n'est pas sa mort qui est heureuse, mais ce qui en ressort".

L'expérience, en tous les cas, a été pour ma part un peu surréaliste. En repartant, un exemplaire du Socialist Worker sous le bras et tandis que la foule désormais éparse entonne un No Pasaran alors que brûlent les derniers restes de l'effigie de Maggie, son sac à main et son carton lait, et qu'autour d'elle dansent des gens de tous âges, je repasse dans ma tête la galerie de personnages étranges que j'ai croisés aujourd'hui, et les mots de Syd résonnent encore dans ma tête:

"Elle nous a divisés durant sa vie. Maintenant, regarde, dans la mort, elle nous unit".

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La vie de Margaret Thatcher en photos, par nos collègues du HuffPost UK

Margaret Thatcher - General Election

Margaret Thatcher Life In Pictures

Quelques citations de Margaret Thatcher

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