Lire
Je marchais sur la rue Queen à la recherche désespérée d'une librairie. Ce samedi après-midi, la première neige nous avait quitté précipitamment, mais avait laissé derrière elle le froid qui l'accompagnait et qui lui, moins esthétique, s'accrochait à nos os avec une certaine cruauté. La seule chose qui m'empêchait de crier aux passants comme le faisaient les sirènes de pompiers, c'était l'émerveillement encore tout frais de la jolie fille rencontrée dans un café. Sinon, je voulais hurler avec le même sentiment d'urgence qu'une rue sans librairie est une rue morte, et que sans Kerouac et Steinbeck et Orwell, nous ressemblions à nos immeubles dans le smog torontois: grands, mais sans tête.
Imaginez mon désarroi pendant vingt minutes de marche, jusqu'à ce que j'atteigne Chapters: Urban Outfitters était ce qui ressemblait le plus à une librairie, avec l'oeuvre de Chuck Klosterman comme ultime offrande intellectuelle. Tandis que je regrettai l'absence littéraire sur la rue Queen dans la Ville Reine (malgré la possibilité de me faire tatouer, d'électrifier ma vie sexuelle, d'épanouir mon garde-robe et de faire grossir mon estomac), j'appréciai quand même la journée: j'étais un peu sorti de mon immonde routine. Le métro-boulot-dodo me tue. Divaguer de ce processus habituel me rafraîchit l'esprit, aiguise mes sens trop endoloris.
Vivre
À Toronto j'ai finalement pleuré devant un ami, passé une soirée au bureau à regarder la soirée électorale américaine et fait des avances maladroites à une fille qui a passé le reste de la soirée à me pointer du doigt. J'ai fait une promesse, marché saoul dans la rue, payé trois loyers, juré dans les bus bondés... bref, j'ai commencé à vivre. Avec une heure de décalage en général, puisque les heures de pointe souffrent d'un terrible embonpoint. Je mange à 13h pour ne pas faire la file, je quitte chez moi le plus tard possible et je reste plus tard au bureau. Je vis Toronto avec une heure de décalage horaire.
Maigrir
Que disait Jacques Laroche, interprété par Michel Coté, dans De Père en Flic? Les jeunes, de nos jours, ils ont 350 amis Facebook mais quand vient le temps de déménager c'est toi qu'ils appellent. 350 amis Facebook, c'est environ le nombre de contacts que j'ai éliminé en deux jours, réalisant que ces étrangers contribuaient principalement à un bruit auto-promotionnel qui me harcèle et qui me fait croire que ce qui compte, c'est le clic en plus que pourrait m'offrir la barmaid basanée d'un club montréalais ou l'adolescent tentant de parler comme Jay St-Louis.
J'ai décidé d'aller à l'essentiel. J'ai maigri. Mon réseau social est plus sain, et mes fins de semaine habituellement ennuyeuses à mourir me confrontent avec moi-même. Dans une vie si dépouillée, avec un compte en banque qui a de la misère à grimper à cause du coût élevé (et injustifié) de la vie torontoise, on ne peut que regarder vers soi-même, et aller à l'essentiel. Ce que je tenterai de faire. Vivre si loin de ses proches, c'est se rappeler qu'on n'a pas besoin d'autant d'étrangers.
En parlant de décalage horaire, j'ai décidé de prendre ma résolution de Nouvel An un mois à l'avance: je ne tenterai plus d'atteindre votre portefeuille ou votre clic avec mon (magnifique) travail, seulement votre coeur. Et cette route commence par un seul arrêt: le mien. Je vous aurai averti.