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Les cafards cyborgs créent un débat éthique

Le débat est lancé: «Est-il éthiquement justifié de prendre contrôle des neurones d'un animal ou d'un insecte - grâce à certaines nouvelles technologies - afin de contrôler ses mouvements, le transformant pour l'occasion en un insecte cyborg?»
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Les cafards cyborg sont au centre d'un débat éthique (1). Ces insectes-machines, équipés d'un sac à dos microélectronique, sont la nouvelle invention de la startup Backyardbrains.com. Après une campagne "kickstarter" (2) pour trouver des fonds nécessaires, cette startup permet à n'importe qui d'acheter un ensemble en ligne afin de contrôler les mouvements d'un cafard via un téléphone intelligent.

Le débat est lancé: "Est-il éthiquement justifié de prendre contrôle des neurones d'un animal ou d'un insecte - grâce à certaines nouvelles technologies - afin de contrôler ses mouvements, le transformant pour l'occasion en un insecte cyborg?"

Dans les années soixante déjà, les recherches de José Delgado avaient permis de stopper le mouvement d'un taureau qui l'attaquait, grâce à des électrodes implantées dans le cerveau de l'animal. Ce type de contrôle animalier est maintenant accessible à tout le monde, grâce à un kit do it yourself.

Pour les initiateurs du projet, cette méthode permet de démocratiser la science en la rendant plus attractive et accessible au grand public. Cela permet, par exemple, de montrer la stimulation du cerveau qui est également utilisée pour traiter la maladie de Parkinson (3). Cependant, ces expériences posent quelques questions éthiques. Premièrement, n'y a-t-il pas une instrumentalisation d'un être vivant, qui est traité comme un outil ou un objet? Pour les initiateurs du projet, c'est tout le contraire: la façon dont nous voyons les cafards change, transformant ainsi la relation que nous avons avec ceux-ci. Initialement considéré comme un être nuisible, le cafard devient une créature fascinante, capable de montrer des activités neuronales. Cependant, que cette créature soit fascinante ou une nuisance ne change rien au fait qu'elle reste instrumentalisée: au lieu d'instrumentaliser une créature répugnante, on instrumentalise une créature fascinante.

Deuxièmement, cette expérience n'inflige-t-elle pas inutilement de la douleur à des êtres vivants? Pour les chercheurs ce n'est pas le cas, puisque les cafards ne sont pas, selon eux, sensibles à la douleur. Paradoxalement, ils précisent quand même que des anesthésiques leur sont donnés lors de l'opération (5). Cette contradiction démontre qu'il existe réellement un problème avec ce type d'expériences. De plus, après utilisation, les cafards ne sont pas tués, mais préservés dans un réservoir. C'est du moins ce que les initiateurs du projet prétendent. Aucune précision n'est donnée sur le sort des insectes utilisés par d'autres scientifiques en herbe.

Pour que l'expérience fonctionne, les cafards perdent souvent leurs antennes et leurs pattes. Pourquoi ne pas considérer qu'il existe peut-être une raison pour laquelle ces insectes viennent au monde avec des antennes et des pattes? De plus, cette pratique développe chez les humains un certain sentiment de cruauté à l'égard d'autres êtres vivants et peut donc ainsi être nocive non seulement pour les cafards, mais également pour l'être humain.

Quant à la question de l'utilité de l'expérience, bien qu'à première vue éducative, il est difficile de la justifier. Une simulation virtuelle pourrait sans doute servir le même objectif scientifique.

Ces questions éthiques pointent vers une question fondamentale: quelle est notre responsabilité par rapport au monde qui nous entoure? On peut noter ici deux réponses aux antipodes l'une de l'autre. Pour certains, nous devrions laisser les autres espèces en paix, si possible même les ignorer afin d'éviter de leur faire du mal. Cette solution semble ignorer certaines de nos responsabilités. En tant qu'êtres humains, nous pourrions en effet être considérés comme une force positive pour le monde animal.

Pour d'autres, il y a une tendance à vouloir coloniser, dominer et même sauver les autres espèces. Dans ce cas, le monde animal a besoin, comme l'être humain d'ailleurs, d'être libéré de ses limitations biologiques. Certains parlent même d'amélioration animale au-delà de la thérapie (animal uplift) (6). Si chaque espèce devait être améliorée au-delà de sa nature ou de son intégrité, on pourrait s'imaginer que chaque espèce deviendrait à long terme un « collectif Borg » (pour reprendre l'imaginaire de Star Trek), une espèce collective, qui dominerait ou engloutirait les autres pour n'en former qu'une seule, essayant de s'améliorer sans cesse en absorbant toutes connaissances.

Certains proposent une voie plus modérée. Pour Emily Anthes, nous devons prendre nos responsabilités en tant qu'espèce dominante. Selon elle, nous sommes appelés à (re)devenir les gardiens de la création, en utilisant les nouvelles technologies pour aider les animaux et améliorer également leurs capacités (7).

En citant le biologiste Marc Bekoff, Anthes nous rappelle que: "Les animaux ont les mêmes désirs que les êtres humains. Ils veulent éviter la douleur, ils veulent juste être contents, ils veulent que leurs besoins de nourriture, de logement, d'amitié, de sexe ou de quoi que ce soit soient satisfaits, et ils veulent éviter les souffrances, l'inconfort, le stress et la terreur (8)". Anthes suggère donc de suivre le principe défendu par le philosophe Bernard Rollin: « Si vous modifiez des animaux, les animaux qui en résultent ne doivent pas être plus mal du point de vue du bien-être, ils devraient même être mieux qu'avant, de préférence ». Pour ne pas trop donner le bourdon au cafard, éviter certaines expériences inutiles serait un premier pas dans cette direction.

(2) Kickstarter est une plateforme de financement collaboratif en ligne, permettant aux intéressés d'investir dans certains projets.

(3) Underwood E. Cyborg Cockroach Sparks Ethics Debate.

(4) Backyardbrains.com. Ethical Issues Regarding the Use of Invertebrates in Education. Accédé le 14 octobre 2013.

(5) Backyardbrains.com. Ethical Issues Regarding the Use of Invertebrates in Education.

(6) Voir par exemple: Chan S. Should we enhance animals? J Med Ethics 2009;35:678-683 doi:10.1136/jme.2009.029512.

(7) Anthes E. Frankenstein's Cat. Cuddling up to Biotech's Brave New Beasts. New York: Scientific American / Farrar, Straus and Giroux; 2013. Cité dans Johann Roduit. Bulletin des médecins suisses. 2013;94: 33 : http://www.saez.ch/docs/saez/2013/33/fr/BMS-01732.pdf. Toutes les citations de ce manuscrit sont des traductions personnelles.

(8) Anthes. Frankenstein's Cat.

(9) Anthes. Frankenstein's Cat.

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