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Il n'y a pas de méthode 3.0 pour accrocher les jeunes

ENSEIGNER AU 21e SIÈCLE - Le changement est la chose la plus difficile à vivre, à apprivoiser. Dans tous les domaines, le changement demande une réflexion, une méthode, une façon optimisée pour le faire accepter.
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L'enseignement c'est difficile. Les jeunes « ne veulent plus rien savoir », ils n'écoutent pas, passent tous leurs cours sur Facebook et sur Tinder, ils ne savent plus écrire, ils font plusieurs fautes, ils sont paresseux et ne seront jamais capables de s'adapter au monde du travail. Ils repoussent l'autorité, ne savent plus vivre en société parce qu'ils sont toujours collés sur leurs écrans...

C'est ce qu'on entend la plupart du temps, c'est ce qu'on entend trop souvent sur « ces jeunes » de l'autre génération qui seraient tellement différents de nous.

Le changement est la chose la plus difficile à vivre, à apprivoiser. Des professionnels en gestion du changement s'acharnent à trouver une façon de le rendre plus digestible. Dans tous les domaines, le changement demande une réflexion, une méthode, une façon optimisée pour le faire accepter. Les changements technologiques en font partie, chaque nouveauté apporte son lot de craintes : la peur de perdre le contact, la peur de perdre la communication, la peur de perdre la société.

«Ce que je vois dans mes classes, ce sont des jeunes effrayés par le marché du travail parce qu'ils ont peur de ne pas tout savoir, de ne pas être à la hauteur.»

J'ai l'impression qu'on transpose cette même crainte au changement de génération, à ces « jeunes » qui communiquent différemment, agissent différemment et apprennent différemment. On s'empresse de décrier la perte de notre futur.

Ce que je vois dans mes classes, ce sont des jeunes effrayés par le marché du travail parce qu'ils ont peur de ne pas tout savoir, parce qu'ils ont peur de ne pas être à la hauteur. L'aspect négatif de cette nouvelle technologie c'est un trop-plein, un flot d'information continue sur « les autres » qui devient très difficile à « gérer ».

Imaginez vivre avec ce « fil » continu où l'on vous placarde les réussites d'un tel ou de l'autre à longueur de journée. Chacun doit se démarquer, être mieux, être comme cette fille qui a 10 000 abonnés sur Instagram où chaque moment « retouché » de sa vie est un incontournable digne d'une vie de star. Chaque petit geste est publicisé, récompensé, commandité sur les réseaux pour s'assurer un taux de clic rentable. Chaque individu doit se démarquer, être original, créatif, innovateur pour se tailler une place dans ce monde d'écrans.

C'est ce que « nos jeunes » pensent devoir atteindre pour se sentir accomplis. Leurs modèles semblent avoir tout réalisé à 25 ans alors qu'eux, devraient se concentrer pendant trois heures sur un professeur qui donne un cours magistral de théorie critique?

Les « compétences recherchées » des offres d'emplois qu'ils consultent sont inatteignables. Ils doivent être parfaitement bilingues et excellents en photographie, maitriser le montage vidéo et pouvoir programmer des sites web, avoir des bases en graphisme et savoir faire un plan de commandites, être gestionnaires de communauté et avoir une parfaite plume en plus d'être des experts de leur domaine et avoir déjà 5 ans d'expérience professionnelle.

«Il n'y a pas de méthode 3.0 pour les accrocher, on revient toujours aux bases de tout bon enseignement: l'humain et le temps.»

Donc en classe, oui, on sent cette urgence, ce désir de ne rien manquer, ce besoin d'être sans cesse connecté sur l'écran et non sur la prof. Vérifier le nombre de Like sur leur dernier post ou terminer le montage de leur dernière vidéo « virale » leur parait évidemment plus urgent que de comprendre les textes de Stuart Hall.

Il n'y a pas de recette miracle, il n'y a pas de méthode 3.0 pour les accrocher, on revient toujours aux bases, selon moi, de tout bon enseignement : l'humain et le temps. Je ne peux pas leur demander d'être mieux que moi, je ne peux pas leur demander de se concentrer pendant trois heures, je n'y arrive pas moi-même. Il faut les rappeler à l'ordre, oui, les intéresser en faisant quelques blagues et parler un peu plus fort pour atteindre le 60e de la liste assis tout au fond de la classe. Il faut aussi apprendre à ne pas être prisonnier de son plan de cours et se permettre de suivre leur rythme, en voir moins une semaine parce qu'on les sent débordés et leur donner du temps.

Enseigner ce n'est pas seulement transmettre de la matière, c'est aussi leur apprendre à réfléchir, leur « apprendre à apprendre » et leur laisser du temps pour le faire. C'est encore valide même au niveau universitaire, surtout au niveau universitaire. La matière est souvent difficile, les textes et les concepts complexes. Alors en classe je prends le temps. Je prends le temps de parler de leur semaine, je prends le temps de regarder l'actualité, je prends le temps de les faire intervenir. Sans s'en rendre compte, ils pratiquent des concepts, ils aiguisent leur capacité critique et ils utilisent leurs neurones.

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Et les écrans dans tout ça? Je les utilise, je leur enseigne comment les utiliser, je les incite à les utiliser. C'est un outil comme un autre et au lieu de l'interdire j'essaie de l'inclure. J'ai eu de belles réussites et aussi de lamentables échecs. J'apprends en même temps qu'eux. On en parle ensemble, on y réfléchit ensemble et parfois on regarde même des « vidéos de chats ».

Les étudiants ne sont pas meilleurs ou moins bons qu'avant, ce sont simplement des jeunes qui espèrent réussir et qui ont les mêmes craintes que nous à leur âge. Si on s'intéresse à eux, si on comprend leur réalité et qu'on veut sincèrement les aider à s'améliorer, ils le sentent et nous récompensent avec leur respect et leur écoute. Il faut certes s'adapter, modifier les dynamiques de classe, trouver d'autres façons de les allumer, mais n'est-ce pas ce qui a toujours fait un bon enseignant avec ou sans écran?

On voit de petits miracles chaque jour, à chaque fin de session et à chaque fois que je publie compulsivement les réussites « instagrammées» de mes étudiants sur mes propres écrans.

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