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Économie collaborative : du «Pair à pair» au «Personne à personne»

En adoptant les principes des logiciels de «Pair à pair», l'économie collaborative connaît un essor fulgurant concomitant à l'éclosion de la génération du millénaire.
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En adoptant les principes des logiciels de «Pair à pair», l'économie collaborative connaît un essor fulgurant concomitant à l'éclosion de la génération du millénaire.

À l'origine, le concept du Pair à pair (P2P) représentait un modèle de réseau informatique permettant à plusieurs ordinateurs de communiquer directement entre eux sans passer par un serveur central. Le concept s'est démocratisé avec le partage de fichiers multimédias qui s'est développé en 1999 grâce à la première application P2P destinée au grand public: Napster.

La collaboration au sein d'une communauté était la clé du succès du P2P, plus le nombre d'utilisateurs était élevé plus le nombre de fichiers à partager et la vitesse de téléchargement étaient grands. Seize ans plus tard, le P2P s'est étendu au-delà du domaine informatique: Uber, Airbnb, Blablacar et consorts sont la matérialisation du P2P dans notre vie quotidienne. Le concept d'économie collaborative n'est finalement que l'extension du modèle Napser à l'économie réelle, le smartphone se substituant à l'ordinateur et le service venant remplacer le fichier multimédia qu'on échangeait. La personne est devenue la base du concept du P2P: c'est l'avènement du «Personne à personne».

Au-delà du progrès technologique, l'éclosion de la génération du millénaire ne doit pas être négligée dans l'analyse de cette révolution. Née entre 1980 et 2000, elle est friande de l'utilisation de ces services, elle qui a grandi avec le Pair à pair. Et ce n'est pas anodin, la génération du millénaire représente 2 milliards de personnes dans le monde, un quart de la population européenne en 2013 et deviendra aux États-Unis la génération la plus importante devant celle du baby-boom d'ici la fin d'année(1).

P comme partage

La notion de partage est centrale dans le concept d'économie collaborative. La communauté partage ses expériences, note les services proposés ainsi que les membres de la communauté. Chacun peut ainsi se forger une opinion en se basant sur l'avis de tous. Le partage permet ici d'instaurer la confiance entre les participants.

Un sondage réalisé par le General Social Survey Data (2) a montré qu'à la question: «d'une manière générale diriez-vous que la plupart des personnes sont de confiance?», la génération millénaire répond «oui» à seulement 19% contre 31% pour la génération X, et 40% pour la génération du baby-boom. Cette génération plus méfiante envers les médias traditionnels, les leaders d'opinion et la publicité a besoin d'avoir la confirmation par le plus grand nombre de ses pairs qu'un service soit de qualité avant de l'utiliser. Le consommateur n'est plus un simple spectateur, mais un prescripteur reconnu pour son pouvoir de recommandation.

P comme profit

Le succès de l'économie collaborative tient également au fait que ses acteurs s'y retrouvent financièrement. Ici encore, la génération millénaire est la plus concernée. Elle arrive sur le marché de l'emploi après les années fastes de l'économie mondiale, connaît le chômage, l'éclatement de la bulle Internet puis la grande récession de 2008.

Par ailleurs, après des décennies où le partage de la valeur ajoutée des entreprises s'est fait au détriment des salariés, ne doit-on pas y voir une tentative de réappropriation d'une partie des profits avec ces services qui concurrencent ici des sociétés de transports, là des hôtels ou encore des banques? À ses débuts, le principe de base d'Airbnb était de proposer à la location une chambre non utilisée de son logement pour amortir le coût de son loyer. De même, Blablacar permet aux propriétaires de véhicules de réduire le coût d'un trajet en proposant du covoiturage contre rémunération. Uber Pop permettait à des étudiants, des retraités, ou des chômeurs d'arrondir leurs fins de mois en proposant un service de transport de personnes.

Comme le Pair à pair a pu remettre en cause le modèle d'affaires des sociétés distribuant du contenu multimédia (cinéma, musique), le Personne à personne va bouleverser l'ancienne économie, il y aura incontestablement des perdants et des gagnants. Et l'enjeu est de taille: selon une estimation de PwC (3), alors qu'elle pesait 15 milliards de dollars en 2014, l'économie collaborative pourrait générer 335 milliards de dollars en 2025, des milliards qui proviendront de l'ancienne économie. Car cette révolution est "schumpetérienne", il ne faut pas s'y tromper.

P comme propriété

Au sein de l'économie collaborative, les utilisateurs privilégient l'usage à la possession. C'est là une différence culturelle fondamentale: la génération millénaire apporte une moindre importance à la notion de propriété, elle qui a grandi avec le partage gratuit de fichiers multimédias. L'American way of life, basée sur le consumérisme avec la maison et la voiture comme piliers, appartient au passé.

Dans les grandes villes américaines, certains jeunes adultes en âge de conduire préfèrent utiliser régulièrement UBER que de passer l'examen du permis et acheter un véhicule qu'il faut par la suite entretenir. De même, le nombre d'automobiles utilisées dans le monde en auto partage a été multiplié par huit entre 2006 et 2014 pour un nombre d'utilisateurs passé de 350 000 à quasiment 5 millions (4)!

La génération millénaire n'est pas pressée de devenir propriétaire de son logement. Aux États-Unis, la proportion de propriétaires parmi les moins de 35 ans diminue régulièrement. Certes la crise économique est passée par là, mais l'essor de la location immobilière prouve que les mentalités changent. En effet le taux de vacances des logements à la location baisse plus rapidement depuis 2008 que le taux de vacances des logements disponibles à la vente. Pourtant, le prix des logements est redevenu abordable aux États-Unis et les taux des emprunts immobiliers restent bas.

Enfin, au sein du secteur des médias, qui a dû s'adapter plus tôt face à cette révolution, de nouveaux modèles d'affaires ont émergé. Surfant sur la préférence pour l'usage au détriment de la détention, des sociétés comme Netflix dans les séries TV ou encore Spotify dans la musique, proposent un abonnement mensuel pour un accès illimité à une librairie plutôt que des achats irréguliers au gré du consommateur. La croissance du nombre d'abonnés à Netflix -65 millions, multiplié par six en six ans- suffit pour se convaincre que ces modèles d'affaires ont réussi à se faire une place.

Le modèle de Napster, basé sur le partage et une notion toute relative de la propriété, visait à se défaire d'un modèle économique. Ironiquement, quinze ans plus tard, ce modèle est le concept central de l'économie collaborative, promise à un bel avenir grâce à l'essor du téléphone intelligent et l'éclosion d'une nouvelle génération. Des perturbations profondes sont à craindre pour certains modèles d'affaires, mais des opportunités formidables émergeront pour les entreprises ayant su négocier au mieux ce virage. Anticiper les évolutions sociétales à long terme et comprendre les révolutions technologiques ont autant d'importance que l'anticipation des politiques monétaires et des marchés financiers dans la gestion patrimoniale d'un portefeuille.

Notes:

1. Pew Research Center;

2. General Survey Data, Millennials less trusting of others, 2012;

3. Source: PwC, The sharing economy - sizing the revenue opportunity;

4. Source: Frost and Sullivan, Strategic Insight of the Global Carsharing Market, Juin 2014.

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