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Un meurtre est un meurtre: ce n’est pas un drame passionnel

L’homme qui harcèle, violente et tue sa conjointe, sa blonde, son épouse ou sa maîtresse parce qu’il est incapable d’assumer une rupture est un assassin.
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Messieurs et mesdames des médias, permettez que je vous rappelle qu’un « crime passionnel » n'est pas un crime d’amour.
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Messieurs et mesdames des médias, permettez que je vous rappelle qu’un « crime passionnel » n'est pas un crime d’amour.

Question de déontologie, je voudrais demander aux journalistes, acteurs médiatiques, experts et commentateurs de s'interroger, de réfléchir sur les dénominations et qualifications inappropriées souvent utilisées pour traiter les actes violents et mortuaires à l'égard des femmes.

Un meurtre est un meurtre. Ce n'est pas un drame passionnel. Ça n'est pas une histoire d'amour qui tourne mal. Ça n'est pas non plus un banal «drame familial». De plus, s'il vous plait, cessez de faire d'emblée de l'assassin, un « fou » ou un « malade ». L'homme qui tue sa « bien-aimée » n'a généralement pas d'antécédents de troubles psychiatriques, notez-le bien, cela est démontré.

«Crime passionnel » , dites-vous ? Pour moi, «crime passionnel » et crime d'honneur sont du pareil au même. L'homme n'accepte pas le comportement de la femme. Dans le premier cas, elle le quitte et il ne le prend pas; dans le second, elle ne se comporte pas conformément à ses exigences. Dans les deux cas, l'homme, mari ou père, a une fracture de l'ego, il n'accepte pas, est déshonoré et il punit en donnant la mort: « Cela t'apprendra à me faire honte comme ça !»

Messieurs et mesdames des médias, permettez que je vous rappelle qu'un « crime passionnel » n'est pas un crime d'amour.

Messieurs et mesdames des médias, permettez que je vous rappelle qu'un « crime passionnel » n'est pas un crime d'amour. Vous faites une grave erreur, chargée de conséquences, en l'étiquetant ainsi. Quand j'ai travaillé auprès de femmes victimes de violence conjugale, j'entendais souvent clamer «c'est une histoire passionnelle». Cet énoncé banalisait la situation, laissait entendre que le «passionnel» explique tout, lave l'horreur, cautionne l'impuissance. J'éprouvais la désagréable impression qu'on voulait me faire avaler l'idée qu'un homme passionné n'est pas maître de ses passions et qu'il fallait, en cas de contrariétés et de jalousies morbides, COMPRENDRE qu'il perde les pédales.

Il est urgent de cesser d'évacuer impudiquement dans la «passion », la violence faite aux femmes, de cesser de se vautrer dans une épiphénoménologie de bien-pensance.

Gérard Lopez, psychiatre et expert pour la Cour d'appel de Paris, va plus loin (Cerveau & Psycho, Octobre 2010). Il dit que policiers et jurés se passionnent pour les «crimes passionnels» et qu'ils auraient tendance à s'identifier au criminel. Après tout, qui n'a pas connu les affres du rejet amoureux et éprouvé les terribles émotions de la colère? Il semble que « durant les procès, l'image romantique de l'amour éternel impressionne les jurés ». Attendrie à son tour par cette image de l'amour éternel bafoué, la société en remettra en trouvant au «meurtrier passionnel» des excuses d'amoureux transi et blessé.

Je reviens aux acteurs médiatiques qui nomment «drame passionnel » cette violence meurtrière. Dans un premier temps, ils suscitent une sympathie aigüe et verticale pour la victime. Verticale, parce qu'elle s'élève promptement puis s'évanouit. Normal, la victime ne fait plus partie du paysage médiatique puisqu'elle est morte. Son bourreau lui, celui qui a infligé la mort, il vit, il a un nom, un prénom, un visage, des larmes, une douleur qui finissent par inspirer une sympathie qui n'en finit plus de s'étirer, dans un temps qui se décline à l'horizontale.

Personne ne se souviendrait de Marie Trintignant si elle avait été une inconnue issue d'une famille anonyme.

À moins d'être une star, le nom de la victime d'un « assassinat amoureux» est vite oublié. Personne ne se souviendrait de Marie Trintignant si elle avait été une inconnue issue d'une famille anonyme. Et encore ! On a parlé bien plus de la souffrance, de la peine, de la rédemption de Bertrand Cantat, que de Marie Trintignant.

Plus les faits sont ignobles et d'une férocité sans nom, et plus la victime est effacée. Qui se souviendra du nom de Véronique Barbe dans quelques mois, cette femme, mère de 4 enfants, poignardée? Personne. Mais le meurtrier présumé vivra sur toutes les lèvres, et attirera même apitoiement et sympathie.

L'homme qui harcèle, violente et tue sa conjointe, sa blonde, son épouse ou sa maîtresse parce qu'il est incapable d'assumer une rupture est un assassin. Il opte pour le meurtre et la plupart du temps, rate ensuite son suicide.

Avril 2018

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