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Trudeau et Lisée: l'amour au temps des duplex

Notre vivre ensemble comme nations fondatrices du Canada est devenu un mariage de raison pour peureux.
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En fait, le titre de travail de ce billet était : « Trudeau et Lisée, un même combat : l'ambiguïté québéco-canadienne ». Parce qu'en ne voulant pas parler de Constitution pour l'un et de Séparation pour l'autre, ils déclinent les deux côtés de la même médaille en ne se regardant pas honnêtement la Face, de peur de tomber Pile sur le problème le plus refoulé du couple Rest Of Canada/Québec : l'absence de contrat de vie commune. Remarquez que nous pourrions faire comme l'Angleterre et l'Écosse sans contrat de mariage formel, mais vivant dans une entente cordiale ou à l'opposée comme l'Espagne et la Catalogne qui, dotées d'une vraie constitution, passent leur temps à se chicaner.

Selon le côté du lit où l'on dort et surtout selon la perception de chacun, on se demande toujours qui est qui dans le couple ROC/Québec où nous sommes enfermés formellement depuis maintenant 150 ans. Pour qui détient la parole du moment, du psychiatre Doc Mailloux en passant par la sexologue Jocelyne Robert, de l'économiste gauchissant Pierre Fortin à sa consœur très à droite Nathalie Elgrably-Lévy, la balance à géométrie variable qui mesure la complexité de la vie et de l'économie donne rarement la même réponse.

Ce qui fait que l'on se parle de moins en moins au sein de notre couple, chacun en étant venu à habiter sa pièce de la maison, défendant son intimité comme il le peut. Tant et si bien que la Révolution tranquille, les référendums successifs, Meech et Charlottetown, le Bloc et le reste nous ont forcés avec l'usure du temps, non pas à faire chambre à part, mais à partager chacun notre appartement dans un ROC/Québec devenu un duplex; seules les dépenses communes que l'on veut réduire au maximum en siphonnant l'autre le plus possible nous tenant ensemble. Pourtant, ne sommes-nous pas considérés internationalement comme un couple exemplaire? En fait, notre vivre ensemble comme nations fondatrices du Canada est devenu un mariage de raison pour peureux; peur de vivre ensemble, peur de se séparer.

En fait, notre vivre ensemble comme nations fondatrices du Canada est devenu un mariage de raison pour peureux; peur de vivre ensemble, peur de se séparer.

Alors, parler des problèmes de notre couple?

Pour un, Justin Trudeau l'a dit récemment à propos d'éventuels pourparlers constitutionnels qui pourraient ramener le Québec dans la famille canadienne, nous débarrasser du paternalisme britannique, etc. : «... je préfère ne pas embarquer. » En fait, Justin Trudeau ne veut rien savoir des problèmes dans son couple. Il préfère pelleter le tout par en avant; conscient qu'ouvrir la Constitution canadienne, c'est comme entrer aux Urgences, on ne sait jamais quand on en sortira.

Si on voulait jouer au psychologue, on pourrait postuler que Justin Trudeau, né en 1971, est resté traumatisé par toute la saga constitutionnelle des années 80, surtout lorsqu'il pense au rôle central tenu par son paternel le 4 novembre 1981, dans ce que l'on appelle désormais la Nuit des longs couteaux. Nous pourrions même penser que Justin Trudeau ne veut pas faire dans la Constitution, simplement pour ne pas être comparé à son illustre père, un des monuments de l'intellectualisme canadien.

Nous pourrions même penser que Justin Trudeau ne veut pas faire dans la Constitution, simplement pour ne pas être comparé à son illustre père, un des monuments de l'intellectualisme canadien.

À l'opposée, Jean-François Lisée connaît des moments difficiles comme chef d'un parti politique qui lui-même, se cherche à la fois une place dans le présent, tout en se disant un véhicule d'avenir que l'addition des sondages contredit 19 fois sur 20. Adepte du divorce, de la séparation ou appeler le tout comme vous le voulez en dialecte péquiste, il menace continuellement de quitter le duplex comme un ado dont on sait qu'il n'ira pas bien loin, faute de moyen. Veut-il aborder franchement le sujet de son indépendance? Le grand frère Libéral à Québec a tôt-fait d'agiter l'épouvantail référendaire, son seul argument depuis des lustres, aussi efficace que facile. Rappelons que ce dernier a récemment de nouveau manifesté sa volonté à faire chambre commune en montrant ses plus beaux atours, pour se faire lancer rapidement un « Pas ce soir » devant une porte encore et toujours close.

À gauche de la gauche, là où loge ce qui reste des purs et durs du PQ, on n'est jamais assez indépendants des parents, avant d'aller se « squatter » un lit chez Québec Solidaire. À droite de la droite, les caquistes devenus des faux-frères du fédéralisme par opportunisme électoraliste, qui cherchent fébrilement des candidats-colocs solvables, nous disent être prêts à tout moment à vivre en duplex, quitte à pratiquer l'amour libre constitutionnel.

Des millions de personnes vivent en duplex, heureux et en harmonie.

Des millions de personnes vivent en duplex, heureux et en harmonie. En ce sens, le Québec avec le ROC partage le même immeuble, chacun dans ses affaires. Mais ici s'arrête l'analogie comme à l'époque où on percevait assez rapidement les limites du « Marriage Encounter ». Une démarche des années 70 et 80 qui visaient à maintenir ce que la nature voulait défaire, pour préserver le monopole d'un mode de vie qui arrivait à la fin de sa vie utile : la pérennité et l'unicité de la famille nucléaire dans le contexte de l'Église catholique.

Dans un Canada qui se fragmente chaque jour où la Colombie-Britannique semble un monde à part, aussi loin du Québec que la France, surtout branché sur l'Asie, l'état de Washington et celui de l'Orégon; où les provinces de l'Ouest vivent au rythme des fluctuations du cours mondial des matières premières en dénonçant le système de péréquation; où l'Ontario et le Québec font des efforts importants d'intégration; où les provinces de l'Atlantique risquent chaque jour de sombrer dans l'océan, le pays où nous habitons est de plus en plus composé de ce que ma mère appelait à l'époque, des « accotés ». À l'opposée, comme la famille nucléaire traditionnelle est devenue un mode de vie parmi d'autres, peut-être sommes-nous des précurseurs au Canada, à vivre chacun de notre côté dans le même duplex?

Ceci étant, il vient un temps où un duplex, si solide soit-il, a besoin de rénovation. Les citoyens du ROC et du Québec peuvent encore longtemps négliger leur « maison », mais il viendra un temps où il faudra y voir. Dans un couple, au-delà des émois des premiers moments, deux questions s'imposent toujours : « Avons-nous des objectifs communs? Sinon, avons-nous des ennemis communs? » Si les réponses sont négatives aux deux questions, il y a peut-être des gestes à poser, des décisions à prendre.

Avril 2018

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