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Projet de loi 20: le pari de Gaétan Barrette

La stratégie du ministre de la Santé est claire: faire reconnaître qu'il y a bel et bien une «capacité inexploitée de rendre des services de santé aux Québécois». En d'autres termes, qu'avec le nombre de médecins au Québec et les fonds qu'on y injecte, il y aurait moyen d'assurer la prise en charge de tous les Québécois.
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Pendant que la meute médiatique fait porter l'attention du public sur les inepties communicationnelles de certains des ministres de l'équipe Couillard, et sur la pensée évolutive du premier ministre lui-même, les consultations publiques sur le projet de loi 20 ont cours, projet de loi portant sur l'accès aux médecins de famille et aux médecins spécialistes. Je rappelle ici que grosso modo, 50% des dépenses de programmes vont à la santé et aux services sociaux. Ce n'est pas rien.

La stratégie du ministre de la Santé Gaétan Barrette est claire: faire reconnaître aux parlementaires ainsi qu'aux acteurs du réseau qu'il y a bel et bien une "capacité inexploitée, dans le réseau financé par le public, de rendre des services de santé aux Québécois". En d'autres termes, qu'avec le nombre de médecins au Québec et les fonds publics qu'on y injecte, il y aurait moyen d'assurer la prise en charge de tous les Québécois.

Sa vision: coercitive. Son argumentaire: on est rendus là. On a tout essayé et ça marche juste pas. Sa solution: imposer une assiduité (obligation d'être présent et de répondre aux demandes de ses patients) et des quotas de prise en charge aux médecins de famille par exemple, sans quoi il y aurait une diminution de leur rémunération. Les chiffres utilisés (quoique tout cela serait défini dans une réglementation ultérieure au projet de loi - ce qui agace profondément tout le monde): 1000 patients si un médecin fait des AMP (activités médicales prioritaires en hôpital, CHSLD, etc.) ou 1500 patients pour un médecin de famille qui n'a pas à faire des heures en dehors de sa clinique. En clair, si les médecins ne sont pas capables de s'organiser eux-mêmes pour respecter ces quotas, il y aura une diminution de leur rémunération. On souhaite que ce désagrément les pousse à revoir leurs pratiques.

Son pari n'est pas sans risque: celui de croire que les médecins qui ne respectent pas leurs quotas seront effectivement incités à adopter de meilleures pratiques, ces meilleures pratiques étant connues, éprouvées et même existantes dans certaines cliniques au Québec: un "accès adapté" ou advanced access (vs une pratique traditionnelle de rendez-vous pris longtemps d'avance), travail d'équipe, accès à des technologies facilitantes de prise de rendez-vous et de diagnostic, etc.

Autre risque: celui de croire que le système ne générera pas des coûts supplémentaires. Ne soyons pas naïfs; j'imagine déjà des technocrates du Ministère et de la RAMQ, des gens très très intelligents qui s'attelleront à "gérer" ces quotas, à définir la pondération des patients, et à pondre des systèmes informatiques dont les coûts seront nécessairement sous-évalués... La seule attribution d'une pondération à un patient me fait craindre le pire. Rien n'est simple dans le merveilleux monde de la gestion des systèmes informatisés du gouvernement du Québec.

Il est fort probable que les chiffres qu'utilise le docteur Barrette pour démontrer la baisse du nombre d'heures des médecins de famille aient été truqués (faites ici une recherche sur "117" et voyez comment le président des Jeunes médecins du Québec en fait la démonstration).

Il est aussi difficile de ne pas reconnaître qu'une grande partie des problèmes d'accessibilité aux médecins ne soit pas la conséquence des mauvaises décisions d'un État qui, dans sa nature même, imagine pouvoir "soigner" un système par des méthodes de planification centralisée: obligation aux médecins de famille de faire des heures dans des hôpitaux (n'existe pas dans les autres provinces), plafonnement des revenus trimestriels, etc.

Tout cela dit, il est trop facile pour les organisations médicales de blâmer "le système", "le Ministère", le "manque de dialogue", etc. Je vous le dis franchement, les pleurnichements des Louis Godin de la FMOQ et de Charles Bernard, PDG du Collège des médecins: on en a marre! Parce que malgré les méthodes de calcul peut-être douteuses du ministre, un constat s'impose: les Québécois n'en ont pas pour leur argent.

Et il est possible de faire mieux. À cet égard, la présentation de la directrice de l'Association des cliniques de médecine de famille est des plus percutantes. En écoutant l'histoire d'une médecin mère de famille, on apprend que son passage d'un CLSC à une clinique pratiquant l'accès adapté a résulté dans une augmentation du nombre de ses patients de 1200 à 2600. Plus du double. Nombre d'heures travaillées par semaine: de 70 heures à 50 heures. Est-elle heureuse? Oui. Ses patients sont-ils heureux? Plus encore. Ils peuvent la voir beaucoup plus rapidement.

Tout ça pour dire que la façon de répondre aux besoins de la population québécoise n'est plus tant liée au nombre de médecins, à leur rémunération, ni même au fait que la profession se soit féminisée (tannée de l'entendre celle-là). Elle est intimement liée à l'organisation du travail et il semble qu'il y ait des cliniques qui savent mieux s'organiser que d'autres... même à l'intérieur d'une première ligne dont les médecins sont participants et rémunérés par la RAMQ.

Gaétan Barrette a raison de demander aux groupes participants à la consultation publique de proposer des solutions. Le temps des complaintes a fait son temps; les publicités à grandes pages dans les journaux n'y changeront rien.

Cela dit, le ministre Barrette ne pourra pas toutefois nier qu'il reçoit des suggestions de la part des gens qui défilent devant lui. Pensons par exemple à l'idée que la prise en charge d'un patient repose sur un groupe de professionnels qui travaillent en équipe plutôt que sur un médecin individuel. Ou encore de déréglementer et libérer progressivement les médecins de l'obligation des AMP pour se rapprocher davantage de ce qui se passe dans les autres provinces. Selon le docteur Gladu de l'Association des jeunes médecins du Québec (AJMQ), par exemple, "dans les autres provinces, les autres médecins spécialistes, donc l'équivalent de nos 10 000 médecins spécialistes ici, font rouler les hôpitaux avec l'apport des médecins de famille, à hauteur de 20 % de leurs facturations. Ici, pour une raison qui est difficile à comprendre, les médecins spécialistes des hôpitaux au Québec ont besoin d'un apport de médecins de famille à la hauteur de 40 % de leurs facturations."

«70 % des heures travaillées par les jeunes médecins se font en établissement, et le temps passé en établissement ne cesse d'augmenter. Les activités médicales prioritaires (AMP) existent seulement au Québec et sont en grande partie responsables de la piètre performance, en termes d'accès à la prise en charge par un médecin de famille, et le système actuel d'activités médicales...", raconte le président de l'AJMQ.

Pour l'heure, rien n'est prévu dans le projet de loi 20 pour traiter de ce problème. Mieux encore, selon l'AJMQ, il suffirait de libérer progressivement les médecins de famille des AMP pour retrouver les 800 médecins manquants en cabinet par rapport à l'Ontario. Et puis, peut-on savoir pourquoi, exactement, les hôpitaux du Québec requièrent autant de médecins de famille comparativement à ceux d'ailleurs?

"Les CLSC à salaire ont échoué", selon l'AJMQ. "On sait très bien que nos CLSC sont très peu productifs", selon l'Association des cliniques de médecine de famille. Pourquoi ne pas transformer ces organisations en y introduisant des pratiques qui augmenteraient l'accessibilité de façon significative?

Bref, tout ça pour dire qu'il est bien dommage que des médecins participants à la RAMQ qui se disent autonomes et entrepreneurs ne trouvent pas le moyen par eux-mêmes d'améliorer leur pratique pour répondre au besoin d'accès criant des Québécois. Jusqu'à ce jour, ils ont réussi à convaincre les ministres de la santé du Québec qu'ils n'avaient pas de comptes à rendre à la population et qu'il était insensé de mesurer leur rendement. Malheureusement pour eux, leur crédit politique est épuisé et la population semble vouloir donner la chance au coureur Barrette.

Alors si j'étais eux, j'arrêterais de pleurnicher et je saisirais l'occasion pour donner un petit coup de téléphone à la Directrice de l'Association des cliniques médicales du Québec. Un investissement de ce côté-là serait probablement plus profitable qu'une publicité à grands coups de pages dans les médias.

Enfin, si j'étais le ministre Gaétan Barrette, je me poserais également une question. Si le but visé est d'améliorer l'accès, et donc les soins, et donc les actes médicaux, comment entend-il financer la croissance des coûts qui en découlera?

P.S. Je reviendrai dans un autre blogue sur le problème de financement des cliniques de médecine de famille.

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