N'y a-t-il pas quelque chose de malaisant dans l'ardeur que mettent les analystes politiques à couvrir la cause criminelle entourant "l'affaire Duffy"? Ne trouvez-vous pas un brin excessif le traitement qui en est fait, et bizarrement obsessive, l'attitude quasi jouissive des journalistes?
On parle ici d'un remboursement de dépenses de 90 000 $... Dépenses faites par le sénateur conservateur Duffy, jugées inacceptables par le bureau de Stephen Harper, mais ultimement remboursées personnellement par l'ex-chef de cabinet du PM, Nigel Wright.
Je le sais. On a voulu étouffer l'affaire (la pression médiatique se faisait sentir) en faisant croire au remboursement des dépenses par Duffy lui-même alors que cela n'a pas été le cas et en s'épargnant peut-être un scandale résultant d'une vérification externe conduite par Deloitte & Touche.
L'affaire Duffy: Un "Catch-22"
Croyant s'en tirer rapidement à bon compte, question de ne pas nuire au premier ministre, Nigel Wright a-t-il fait preuve d'une erreur de jugement? Sans doute. Le premier ministre Harper lui-même aurait-il pu clore l'affaire, en laissant tomber son sénateur? Aurait-il pu ainsi se délivrer d'un boulet politique et s'éviter une crise? Ceux qui le croient sont bien naïfs. En réalité, pour Harper, c'était un Catch-22. Une situation perdant-perdant. Aucune porte de sortie.
S'il n'exigeait pas de remboursement, la meute des opposants au gouvernement Harper aurait crié à un manque d'éthique et au gaspillage de fonds publics; s'il "clairait" son sénateur, cette même meute aurait salivé à l'idée de remettre en question le jugement et le leadership d'un premier ministre qui nomme de tels sénateurs.
Plus encore, si le gouvernement avait opté pour une réforme du règlement, question d'éclaircir la nature des dépenses permises, certains sénateurs auraient été vus comme délinquants et encore là, c'est la fête dans le clan anti-Harper.
Une quête de longue date
Depuis plus de deux ans maintenant, ce clan anti-Harper salive à l'idée que le procès criminel du sénateur Duffy puisse révéler que le PM connaissait d'où venait le fameux paiement de 90 000 $. Lorsqu'au premier jour du procès, l'ex-chef de cabinet Nigel Wright confirme les propos de Harper à l'effet que ce dernier n'avait pas été avisé de la véritable provenance du remboursement, une déception est presque palpable chez les "pundits". Aucune bombe politique.
Qu'à cela ne tienne: une nouvelle cible est définie. Refusant d'en rester là, voilà que l'on vise maintenant l'entourage immédiat du premier ministre et bon sang, avec un peu de chance, on finira bien par trouver quelqu'un qui insinuera d'une façon ou d'une autre que c'est Harper lui-même qui a échafaudé toute cette conspiration pour cacher au public le grand stratagème démoniaque entourant des dépenses de 90 000 $...
Quel cadeau pour les partis d'opposition dont celui de Thomas Mulcair du NPD qui s'en régale, quelle douce revanche pour une certaine élite médiatique qui en a marre de Harper, marre de sa soi-disant "culture du secret", marre de ne pouvoir poser des questions qui n'ont rien à voir avec le sujet du jour, marre d'être méprisée par un gouvernement qui préfère contourner le filtre biaisé de la Tribune parlementaire, marre des coupures à la CBC/Radio-Canada.
À terme, les contribuables et les électeurs conservateurs souffriront-ils du fait que la garde rapprochée de Harper (et peut-être même Harper lui-même; on ne le saura probablement jamais) ait voulu cacher le fait que ce n'est pas Duffy lui-même qui a remboursé les dépenses?
Réponse: difficile à dire. L'important pour le 4e pouvoir, soit celui des médias, c'est de finir par inscrire dans l'esprit des gens, une certaine impression, une ambiance de cachotterie, de malversations et de malhonnêteté de la part du gouvernement.
Relations pourries entre les conservateurs et les médias?
Tout cela dit, il n'y a aucun doute que la qualité des relations entre le gouvernement Harper et certains médias est exécrable: en fait, elle est pourrie, particulièrement dans le cas de la CBC et de Radio-Canada.
Cinq ans après l'arrivée de Stephen Harper au gouvernement en 2006, le journaliste Norman Spector rend compte de l'atmosphère au Parlement à la veille de l'élection 2011 qui allait pourtant donner une majorité de sièges au Parti conservateur du Canada. Quelques extraits d'un de ses textes de l'époque:
La plupart des courriéristes parlementaires étaient plus à gauche que le premier ministre (...) C'est un secret de polichinelle que plusieurs courriéristes détestent M. Harper (...) Un chroniqueur de l'Ottawa Citizen a même écrit que le métier de mafioso était plus en accord «avec les talents et le tempérament» de M. Harper, un chroniqueur du Toronto Star a pour sa part comparé les mises en garde de M. Harper contre une élection printanière au régime de Hosni Moubarak et à celui d'autres dictatures arabes du même acabit.
Après avoir limité à cinq le nombre de questions venant des reporters couvrant sa campagne, le chef conservateur n'a pas joui d'une seule journée de couverture positive. - Norman Spector, 2011
Est-ce ce à quoi on assiste présentement? Aucune couverture positive? Possiblement. Je me suis personnellement amusée à faire le décompte des articles portant sur la campagne électorale de nos trois grands quotidiens (La Presse, le Journal de Montréal, Le Devoir).
Durant les deux premières semaines de cette campagne, 42% des articles portent spécifiquement sur le Parti conservateur du Canada de Harper (13% sur le NPD; 8% sur le PLC) et plus des deux-tiers de ces articles (67,3%) lui sont nettement défavorables (27% sont plutôt neutres; 6% sont "friendly")
Remarquez bien que ce ne sont pas seulement les médias québécois qui sont atteints de ce qu'un chroniqueur du Canada anglais a dénommé le "HDS", le Harper Derangement Syndrom. Notons également que ces derniers jours, nos Manon Cornellier (Le Devoir), Chantal Hébert et Vincent Marissal (La Presse), pour ne nommer que ceux-là, sont pratiquement à temps plein sur le cas Duffy quand ils ne sont pas occupés à étaler eux-mêmes leurs préférences partisanes sur Twitter.
Harper a-t-il rendu la vie difficile aux journalistes depuis son arrivée au gouvernement? Sans aucun doute. Y a-t-il des décisions qui sont difficiles à expliquer autrement que par une méfiance extrême envers certains groupes susceptibles d'utiliser l'information de façon plus partisane et corporatiste qu'objective (ex: questionnaire long de recensement)? Je le pense.
Mais est-ce que les Canadiens sont plus ignorants depuis l'avènement de Stephen Harper, comme le suggère un auteur romancier canadien publié dans le New York Times recommandé par la journaliste de la maison Radio-Canada, Emmanuelle Latraverse (remarquez comment Latraverse insinue par ce Tweet que l'opinion vient de nos voisins américains)? Calmons-nous, bon sang.
Des médias syndiqués et partisans
La vérité, c'est que certains politiciens en viennent à comprendre une chose: il y a des moments où il n'y a rien à gagner en s'exposant inutilement aux médias; mieux vaut trouver d'autres façons de rejoindre la population (ce qui semble être plus toléré par les courriéristes parlementaires de l'Assemblée nationale avec PKP que ceux du Parlement canadien avec Harper).
Ajoutez à cela que les journalistes sont eux-mêmes syndiqués, que leur syndicat (tout comme celui de la FTQ) participe activement, comme lobby, à influencer l'opinion publique avec les cotisations syndicales de leurs membres et vous avez là un autre facteur qui contribue à la fragilisation de nos démocraties (voir la vidéo ci-bas).
Peut-on espérer une couverture de campagne parfaitement objective? Non. Nous y sommes, à cette ère des chroniqueurs d'humeur et de l'infotainment tant dénoncés par les mêmes personnes qui se moquent de certains médias américains.
Ce qu'on peut faire par contre, c'est de réaliser que leur opinion (incluant la mienne), le jour du vote, ne vaut probablement pas plus que celle de l'homme de la rue, souvent détenteur d'une sagesse populaire qui fait et défait nos gouvernements.
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