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Prendre le virage de l'éducation

Il y a de ces thèmes à la mode, ces thèmes utilisés à toutes les sauces et dont on aime bien se draper à l'occasion. Que ce soit dans un élan de populisme visant à s'attirer les faveurs de la population ou simplement pour se donner bonne conscience. Malheureusement, l'éducation fait figure dominante à ce chapitre depuis plusieurs mois déjà.
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Il y a de ces thèmes à la mode, ces thèmes utilisés à toutes les sauces et dont on aime bien se draper à l'occasion. Que ce soit dans un élan de populisme visant à s'attirer les faveurs de la population ou simplement pour se donner bonne conscience. Malheureusement, l'éducation fait figure dominante à ce chapitre depuis plusieurs mois déjà. Tant au niveau des partis politiques établis depuis de nombreuses années qu'au niveau de ceux qui font leur arrivée dans le paysage, on tente de nous servir un ramassis d'idées décousues et sans véritable vision. Étant des acteurs de premier plan du milieu éducationnel québécois, nous tenons donc à prendre part au débat en déboulonnant certains mythes propagés et en proposant à notre tour des pistes de solutions pour résolument prendre le virage de l'éducation.

Tout d'abord, nous trouvons louable que des politiciens désirent s'attaquer au problème du décrochage scolaire. À chaque fois qu'un jeune Québécois décide de lâcher l'école, c'est toute la société qui en est perdante. Or, de faire un parallèle entre le décrochage scolaire et la compétence des enseignants québécois relève d'une certaine malhonnêteté intellectuelle. Pire encore, on tente de nous faire gober qu'en augmentant le salaire de ces derniers de 20% et en les évaluant selon des critères encore flous, on réussira à diminuer grandement la portée de la problématique. Nous trouvons d'ailleurs étonnant qu'une bonne partie de la population achète ce constat des plus douteux.

D'abord, cette adhésion spontanée à une hausse salariale est tout de même surprenante alors qu'au cours des dernières années, à maintes reprises, nous nous sommes fait regarder de haut quand nous demandions des majorations salariales beaucoup moins généreuses. Nos doléances trouvaient un accueil plutôt froid dans la population alors que maintenant, parce qu'un chef populaire lance un ballon politique, une majorité de gens seraient en faveur d'une augmentation beaucoup plus substantielle ? Selon nous, il est davantage question ici de manœuvres électoralistes de bas étage que d'une réelle reconnaissance de l'ampleur du travail des enseignants. Nous nous en désolons.

De surcroît, il est malhonnête de tracer une corrélation entre les conditions salariales des enseignants et la diminution du décrochage scolaire. Cela équivaudrait à dire que les professionnels du milieu de l'Éducation font actuellement beaucoup moins d'efforts pour stimuler la réussite de leurs élèves que s'ils étaient mieux payés. Un tel constat porte directement atteinte aux principes de base de l'enseignement. Combien de fois, durant notre formation, nous a-t-on répété que d'être enseignant n'est pas un métier comme les autres, mais plutôt une sorte de vocation. Si nous ne nous opposons pas d'emblée à ce que le travail des enseignants québécois soit mieux reconnu, nous trouvons le parallèle établi plutôt douteux. Dans cette optique, un investissement massif pour diminuer le nombre d'élèves par classe (à 15 par exemple) et/ou pour augmenter considérablement les services offerts aux élèves, aurait beaucoup plus d'impact pour contrer le décrochage scolaire. En fait, on pourrait même parler ici d'un remède de cheval. Un suivi plus individualisé qui prend en compte le rythme et les forces de chacun des enfants constituerait selon nous une recette beaucoup plus gagnante.

Par ailleurs, dans le sillage de cette espèce de chasse aux sorcières initiée il y a quelque temps, on a tenté de cantonner les problèmes en Éducation dans le cadre très réducteur de la compétence des enseignants. C'est de bien mal connaître le milieu que de lancer la population sur une telle piste. Si, à priori, nous sommes loin d'être convaincus de la pertinence d'établir un système d'évaluation des enseignants, le flou artistique accompagnant cette idée n'est pas pour nous rassurer. Le parti politique qui se fait porteur de cette idée peine à démontrer clairement sur quoi serait basée une telle évaluation.

Encore une fois, on semble vouloir jouer aux pères fouettards et faire porter un problème aussi complexe que le décrochage scolaire sur les épaules d'une seule catégorie de personnes. Si certains enseignants en arrachent parfois un peu plus que d'autres, ne serait-il pas plus pertinent de mieux les outiller au cours de leur formation initiale, dès l'université? Selon nous, c'est tout le cursus universitaire visant à former les nouveaux enseignants qui devrait être revu. Il n'est pas normal, par exemple, que dans certaines universités, il n'y ait aucun cours visant à enseigner les rouages de l'apprentissage de la lecture à un élève d'âge primaire. Nous croyons aussi qu'il serait pertinent de resserrer les exigences au niveau de la connaissance de la langue française. Il est évidemment inacceptable que certaines personnes responsables d'enseigner à nos enfants aient une si mauvaise connaissance du français. Mais au lieu de sévir après coup, nous sommes convaincus que c'est au cours de la formation universitaire que les exigences doivent être resserrées et que les futurs enseignants doivent être mieux outillés. C'est d'ailleurs la voie que la Finlande a choisi d'emprunter, et ce, avec un succès qui fait l'envie de nombreuses nations à travers le monde!

Nous croyons aussi en l'importance de la formation continue dans le cheminement du personnel enseignant. Or, un problème des plus fréquents vient grandement diminuer les possibilités à ce chapitre. Dans les établissements scolaires, les enseignants doivent se battre pour se séparer les miettes allouées à la formation continue. Ainsi, même si plusieurs font preuve d'une grande volonté, la plupart du temps, les budgets disponibles ne leur permettent pas de réussir à remplir leurs demandes. Sachant cela, il nous semble quelque peu malhonnête de prétendre que l'établissement d'une évaluation des enseignants permettrait de les obliger à suivre davantage de formation continue. La très vaste majorité des enseignants est stimulée par ce genre d'activités et désire constamment réactualiser ses méthodes, mais faute de moyens financiers, elle doit se résigner aux besoins minimaux. En ce sens, un parti politique qui proposera d'investir des sommes substantielles dans la formation continue des enseignants fera preuve d'une bien meilleure connaissance des véritables besoins des enseignants québécois.

Alors que certains aimeraient faire du milieu de l'éducation un secteur comptable et statique, nous croyons au contraire que c'est justement cette voie qui cause le plus grand nombre de problèmes au Québec. En fait, il y a une espèce de mur à mur malsain qui règne dans certaines sphères du milieu scolaire québécois. Il est inconcevable que, dans certains cas, les règles qui prévalent pour une école de Saint-Cyprien-des-Etchemins, par exemple, soient les mêmes règles qui sont appliquées dans une école de Westmount. Il y a là une profonde méconnaissance du milieu scolaire qui apporte son lot d'impacts néfastes sur le cheminement scolaire des jeunes Québécois.

Parfois, la rigidité des structures paralyse le système et tue toute possibilité d'initiatives propres aux différents milieux. Comment expliquer, par exemple, que les enveloppes budgétaires attribuées à l'aide aux devoirs doivent obligatoirement être déléguées à un soutien en dehors des heures de classe? Il nous semble ici qu'une plus grande latitude et moins de rigidité pourraient permettre un meilleur suivi des élèves en difficulté. Par contre, il ne faudrait pas prétendre ici que notre prise de position en est une contre les commissions scolaires. Au contraire, nous croyons que davantage de pouvoirs et de latitude devraient être délégués du ministère vers ces dernières. Il faudrait cesser de tenter d'appliquer un seul modèle de gestion à toutes les écoles du Québec! Une plus grande souplesse permettrait assurément de mieux répondre aux véritables besoins.

La conception de l'éducation doit aussi changer. Elle ne doit pas être considérée exclusivement comme l'affaire des enseignants. La réussite scolaire est davantage favorisée lorsqu'il y a une implication tripartite des enfants, des parents et des enseignants. Quand chacun s'investit à sa pleine mesure, les résultats sont habituellement à la hauteur des attentes. L'exemple de l'école alternative pourrait d'ailleurs servir de modèle à ce chapitre. Une co-éducation bien dosée permet une implication plus grande des parties concernées. Chacun a ses responsabilités et doit les assumer pleinement.

Réinventer l'éducation au Québec, c'est libérer les talents et permettre à chacun de s'épanouir, de développer son plein potentiel, d'accepter que tout le monde n'apprenne pas de la même façon. En fait, nous croyons que dans les prochaines années, la classe politique devrait convier le Québec à participer à un grand projet emballant, celui de nationaliser la réussite scolaire. Elle doit être atteignable pour chacun et l'égalité des chances doit devenir un leitmotiv quotidien qui inspirera la nation en entier. Le jour où l'éducation deviendra réellement accessible pour tous de la garderie jusqu'à l'université, nous pourrons enfin dire que notre peuple aura choisi la voie du savoir, la voie de l'avenir.

Jerry Beaudoin, enseignant, Montréal

Annie Dufort, orthopédagogue, Montréal

Sylvie Colucci, enseignante, Montréal

Louis-Marc Poulin, enseignant, Saint-Césaire

Brigitte Bédard, enseignante, Montréal

Josée Nadeau, enseignante, Montréal

Marie Lalande, conseillère pédagogique, Montréal

Barbara Laflamme, enseignante, Saint-Prosper

Isabelle D'Amico, enseignante, Montréal

Annie Jolicoeur, enseignante, Montréal

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