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La ville fantôme de la banlieue du Pôle Nord

Pyramiden est une ville minière abandonnée par les Soviétiques en 1998, laissée telle quelle. Située à 1200 km du Pôle Nord, elle peut se visiter. Frissons garantis, et pas seulement par la température glaciale.
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C'est une ville minière abandonnée par les Russes en 1998, laissée telle quelle. Située à 1200 km du Pôle Nord, elle peut se visiter. Frissons garantis, et pas seulement par la température glaciale.

© Jérome Stern

Des villes fantômes, il y en a un peu partout dans le monde. Aux États-Unis (Bodie, après la ruée vers l'or), en Namibie (Kolmanskop envahie par le sable), en Australie (Kiandra et ses mines d'or taries) ou au Japon (Hashima, île houillère abandonnée)... mais celle-ci est particulière: elle se situe à la latitude 78° Nord (quand Montréal est à 45°, l'Équateur à 0° et le pôle à 90°) dans l'île du Spizberg de l'archipel du Svalbard, dernière étape estivale avant la banquise et les glaces permanentes dans un environnement fait de montagnes noires, de neiges brunâtres et de mers grises, tout au moins en été quand le vif soleil de minuit est bien là, car en hiver, il fait pleine nuit au moins trois mois. Durant l'été venteux, le thermomètre a du mal à dépasser les 6 degrés, zéro ressenti.

Son nom: Pyramiden, car elle se situe au pied d'une montagne en forme de pyramide. Créée en 1910 par des baleiniers suédois, elle est cédée en 1926 à l'Union soviétique, qui la concède à la compagnie minière russe Artikougol en 1931.

© Jérome Stern

Plus de 1000 habitants

Car le lieu s'avère riche en charbon. Et, surtout, permet aux Soviétiques d'occuper un territoire en terre occidentale, l'archipel étant sous la souveraineté de la Norvège, mais un pacte permet à tout pays signataire de s'y installer à des fins commerciales. Les États-Unis, la France, les Pays Bas, la Grande-Bretagne et d'autres ont paraphé ce traité international; l'URSS va à son tour le faire, mais plus tardivement. Staline obtient ainsi le droit d'exploiter dans l'Europe de l'Ouest un bassin houillé là et alentour.

Après la Seconde Guerre mondiale, les Soviétiques investissent davantage à Pyramiden, en argent et en hommes, à tel point qu'y être muté pouvait être considéré comme une promotion. Car sur place, c'est une véritable ville autonome qui est richement bâtie, avec logements confortables, école, hôpital, gymnase, piscine couverte, salle de spectacles, et même un hôtel pour y recevoir les ouvriers aux contrats de courte durée. Et aussi un vaste potager: dans cette zone arctique gelée où rien ne pousse, les Soviétiques ont fait venir des tonnes de bonne terre d'Ukraine pour, dans des serres, y planter et récolter tomates, salades, concombres, choux, carottes, etc., histoire de ne pas seulement se nourrir des mauvaises conserves russes entreposées dans des silos de béton, car l'approvisionnement était impossible en mauvaise saison, plus de six mois durant.

Et bien sûr, le charbon local fournit éclairage et chauffage: ce sont plus de 9 millions de tonnes qui sont ainsi extraites entre 1955 et 1998 à destination de la mère patrie. À très grands frais.

© Jérome Stern

Surveillance militaire

Problème: jamais la mine n'a été rentable. Lors de l'effondrement de l'Union soviétique, faute d'argent, tout s'arrête, d'autant qu'en 1996, un avion russe de la compagnie minière s'écrase dans l'île: les 141 passagers, tous décédés, étaient des membres de la famille des mineurs venus en vacances. Ces derniers, à qui on avait déjà baissé les salaires, augmenté la productivité et rendu leurs logements moins coquets, ont alors souhaité la fermeture de la mine, fermeture intervenue définitivement le 31 mars 1998 avec le départ des 150 derniers employés.

Contrairement à la légende rapportée sur place, les départs n'ont pas été précipités. Il a fallu un trimestre pour que la ville se vide peu à peu. N'empêche, Pyramiden aujourd'hui est une réelle ville fantôme déserte, avec ses bâtiments abandonnés dans lesquels on trouve encore de nombreux objets: tout est resté en l'état ou presque, même si pendant quelques années il y a eu des pillages.

Depuis les années 2000, le lieu est militairement surveillé par une demi-douzaine de gardiens armés et les immeubles sont solidement cadenassés. Sauf le Gostinka, l'hôtel désormais aménagé pour recevoir, assez sommairement, quelques touristes, avec un restaurant où le bortsch est au menu, un étal de souvenirs (tee-shirt et poupées russes), un bureau de poste norvégien et un piano mal accordé, que le tenancier affirme fièrement être «le plus septentrional in thé world».

© Jérome Stern

Lénine toujours présent

Car aujourd'hui Pyramiden se visite. On y désire même de plus en plus de touristes et le seul véhicule local est un car immatriculé en Russie pour transbahuter les visiteurs attendus sur les quelques kilomètres sur lesquels s'étendent les bâtiments, immeubles d'habitation, hangars, silos, école, salle de sports, baraques de chantier, entrepôts, grues, bâtisses industrielles, etc... Et au loin, difficile d'accès car les ponts sont délabrés et les routes défoncées, on aperçoit dans la pente noirâtre le funiculaire qui emmenait les mineurs en haut de la montagne pour percer les galeries ainsi que les bennes à charbon, toutes rouillées mais bien marquées de la faucille et du marteau.

Ici, on se perd dans le dédale des rues et des passages surélevés (à cause de la neige et du gel, les canalisations hors-sol sont chauffées pendant tout l'hiver). Le ponton de la baie est branlant et ne peut recevoir un afflux de visiteurs (quoi que...) là où péniblement accostent quelques modestes bateaux (même les navires de croisière de petite taille doivent débarquer en chaloupe) ainsi que les zodiacs rapides en provenance de la «capitale» de l'île, Longyearbyn, elle aussi enserrée dans des montagnes noires enneigées, elle aussi cité minière, mais cette fois norvégienne et active.

D'autant qu'à Pyramiden, un vent glacial ne cesse de s'abattre sur ce lieu grisâtre où un Lénine de grès rouge domine toujours avec fierté les «Champs-Élysées» locaux, une large avenue bordée de bâtiments en briques aux angles arrondis, histoire d'atténuer l'effet du gel toujours tenace d'ici, un fort gel (-30° l'hiver) qui a déjà entraîné quelques fissures aux immeubles inhabités. Enfin, pas tous: une escouade de mouettes criardes s'est installée le long des fenêtres à double vitrage d'un immeuble, chaque couple occupant un rebord, délaissant le rez-de-chaussée, préférant les étages supérieurs comme il se doit.

Ces derniers habitants décorent de leurs fientes les plaques de rues en cyrillique, et si l'étoile rouge orne encore l'ours blanc symbole de la ville, le drapeau tricolore russe est désormais bien visible à l'entrée de cette ville perdue. Pas totalement perdue: d'après le traité, les Russes peuvent revenir quand ils le souhaitent (mais sans doute quand la mine sera à nouveau rentable, certainement pas dès demain); Pyramiden reste à jamais dans leur territoire.

Si Diomède en mer de Béring est l'endroit le plus insolite de l'Arctique, Pyramiden, ville fantôme, est l'endroit le plus surprenant de cette partie du globe.

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