Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Au revoir, vieux loup

M. Garon était comme ça avec tout le monde. Il aimait son monde. Il avait pour mentalité que les citoyen(ne)s sont ses boss, pas l'inverse. Rien ne le rendait plus triste que de savoir un de ses concitoyens dans le trouble pour une raison ou pour une autre.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Je devais avoir 13 ou 14 ans. Jeune lévisien avec une coupe de cheveux discutable et les hormones toutes croches. À ce moment-là, mon chien était prénommé Kim. Un magnifique Colley pure race, docile et protecteur.

J'allais souvent marcher avec Kim autour de l'Hôtel de Ville flambant neuve de Lévis, coin Chemin du Fleuve et rue de l'Église. Chaque soir, j'entendais la même chose provenant d'une voix forte et honnête.

- «Maudit qu't'as un beau chien, l'jeune! Un méchant beau chien! Amène-lé, j'veux l'flatter!»

Kim avait un don pour percevoir qui méritait notre confiance. Et avec cet homme, la confiance était entière. L'homme pouvait lui donner l'ordre qu'il voulait, Kim répondait en cherchant l'approbation.

Cet homme, c'était M. Jean Garon. Le maire. Qui prenait chaque soir, à la même heure, une petite pause sur le balcon de l'Hôtel de Ville.

On jasait toujours dix ou quinze minutes. Je trouvais l'homme brillant, charmant, ouvert et à l'écoute. Il me demandait souvent comment je trouvais la ville, s'il y avait assez d'installations pour les jeunes. Bref, il ne me prenait pas pour un «jeune mioche»: il écoutait. Et il notait sur son petit calepin qu'il avait toujours dans sa poche de chemise.

- «Veux-tu faire d'la politique un jour, toi?»

Je n'avais pas de réponse pour lui. J'étais bien trop occupé à ne pas couler mon prochain examen d'éducation physique. Mais il tentait de rendre la chose attirante. Jusqu'à un certain point, ça a marché.

- «Tu devrais, t'as une bonne tête».

Flatté est un mot faible. Surtout venant de Monsieur.

D'ailleurs, il s'était donné la mission de rendre la politique attrayante pour les jeunes.

M. Garon était comme ça avec tout le monde. Il aimait son monde. Il avait pour mentalité que les citoyen(ne)s sont ses boss, pas l'inverse. Rien ne le rendait plus triste que de savoir un de ses concitoyens dans le trouble pour une raison ou pour une autre.

On skip une douzaine d'années pour ne pas que ce billet soit trop long.

Octobre 2013. J'anime une nouvelle émission à CHYZ 94,3: «M. le Président». Le but est de parler à la personne derrière le politicien ou la politicienne. Savoir qui se cache derrière les lignes de parti. En clair, on posait la question «vous êtes qui, vous?»

Je voulais que la première émission donne le ton. Alors j'ai pensé à M. Garon.

Savez-vous quoi? Il se souvenait de moi. «Ah! Le jeune avec le beau chien! Ah ben, ah ben, ah ben! Bien sûr que je vais venir à votre émission! Des jeunes qui se rappellent de moi, ça fait chaud au coeur».

C'est d'ailleurs quelque chose qui l'a surpris: qu'on se rappelle de lui. Qu'il ne soit pas tombé dans l'oubli. D'ailleurs, au studio, tous mes collègues étaient impressionnés par sa présence. Ce qui impressionnait en retour M. Garon. «Voyons, les jeunes, vous vous rappelez de moi?!»

Il était ému. «Pourtant, j'ai juste fait ma job».

Ces mots-là ont raisonné dans mon esprit. Le plus grand ministre de l'Agriculture de l'histoire du Québec et le ministre de l'Éducation qui a abaissé les taux d'intérêt pour les étudiants (en plus d'être accessoirement un souverainiste convaincu) a «juste fait sa job».

Un collègue lui dit alors «le fait que vous ayez fait votre job m'a permis de m'éduquer, Monsieur. Merci». M. Garon a hoché de la tête en souriant, une larme perlant sur sa joue. «On va arrêter les compliments, j'serai pas capable de faire l'entrevue».

Nous avions prévu une heure d'entrevue. Il nous en a donné deux. Bien pactées. Sans filtre, sans gêne. Vous pouvez l'écouter ici.

J'aimais l'appeler «le vieux loup». Sage, droit, franc comme un 2X4. Un homme d'exception comme il ne s'en fait plus assez.

Les dernières années ont été rudes au niveau politique. Nous avons perdu Jack Layton. Nous avons perdu Claude Béchard. Et maintenant, nous perdons celui que j'aime qualifié d'idole personnelle. Eh oui!, je suis nerd politique au point d'avoir Jean Garon comme idole.

J'offre donc mes condoléances à toute la famille de M. Garon.

Et vous me permettrez de citer Félix pour conclure.

«Celui qui vient de nous quitter fait partie de la courte liste des libérateurs de peuple. L'histoire l'écrira».

Au revoir, vieux loup. Et merci pour tout.

Vous allez nous manquer.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Jean Garon (archives)

Photos d'archives de Jean Garon

Retrouvez les articles du HuffPost sur notre page Facebook.
Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.