Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.
Dans ce stationnement, il y a un peu moins de deux ans, est survenue la première attaque motivée par l'islamisme radical en sol canadien, qui a coûté la vie à l'adjudant Patrice Vincent et blessé sérieusement l'un de ses frères d'armes.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Audrey, comme chaque matin, arrive au travail avec le sourire. Pourtant, comme cela arrive fréquemment, lorsqu'elle traverse le stationnement, l'éclat dont elle resplendit s'assombrit légèrement. Pendant un instant, elle perd ses allures de modèle de Vermeer, et l'inquiétude la gagne. Jamais longtemps, car elle jouit d'une force de caractère admirable, mais assez pour lui rappeler que le but avoué du terrorisme, comme son nom l'indique, est d'inspirer la terreur, et que sur ce point, ils gagnent à tous les coups, serait-ce sur un court moment...

Dans ce stationnement, il y a un peu moins de deux ans, est survenue la première attaque motivée par l'islamisme radical en sol canadien, qui a coûté la vie à l'adjudant Patrice Vincent et blessé sérieusement l'un de ses frères d'armes. Le tout s'est produit à moins de dix mètres des fenêtres où Audrey et ses collègues ont assisté, tout d'abord impuissants, à l'attentat, avant que plusieurs d'entre eux n'agissent à titre de premiers répondants.

Audrey est l'une des quatre travailleuses sociales du centre de ressources pour les familles des militaires de la région de Montréal. Elle œuvre principalement auprès des familles des soldats blessés ou malades, ainsi qu'auprès des familles endeuillées. Entre l'isolement dû aux déménagements fréquents, les deuils, les difficultés que peuvent faire peser le stress et l'anxiété sur l'entourage de nos soldats, les problèmes d'épuisement et de santé mentale, et j'en passe, elle et ses collègues ont de quoi s'employer. Comme partout, les besoins sont souvent plus imposants que les ressources pour les régler, et leur dévouement, comme celui des cinq autres travailleuses sociales de la base elle-même, est absolument essentiel pour mener leur tâche à bien.

Audrey ne rêvait pas, enfant, de s'enrôler, et ne jouait pas à la guerre avec les gamins du voisinage. Elle ne possède pas d'armes, ne passe pas ses fins de semaine à jouer au paintball et s'est lancée dans l'aventure uniquement pour sortir de sa zone de confort, un sentiment partagé par nombre de ceux dont elle aide l'entourage. Pour elle, les soldats sont loin d'être reconnus à leur juste valeur, alors qu'ils font passer le bien commun avant leur propre bien-être, en démontrant en cela un courage et une abnégation que peu de gens possèdent. Je ne crois pas qu'elle réalise, alors qu'elle répond à mes questions, que c'est exactement ce qu'elle et ses collègues font, et qu'ils possèdent ce même courage.

Depuis les événements d'octobre 2014, lorsqu'un déséquilibré a happé deux soldats avec sa voiture avant de prendre la fuite et de revendiquer l'attaque durant la course-poursuite qui allait le mener à sa mort, l'équipe d'Audrey est tissée serrée. Ils ont vécu l'horreur ensemble, et ils y sont toujours, à dispenser leur aide. Ils ont assisté, horrifiés, à l'attaque d'Ottawa, deux jours plus tard, avec une infinie tristesse, qui n'a que renforcé leur détermination. Beaucoup de familles, et de soldats, ont été gravement atteints par cet acte de barbarie. Auparavant, le danger était présent lors des départs en mission. Désormais, le danger était à la maison, et en plus de devoir faire face à leurs propres sentiments suite à l'attaque, ils devaient aider les autres à affronter leurs peurs et leurs insécurités.

Pour elle, ça n'a jamais été une question de religion, mais d'extrémisme. Il lui importait peu que l'ennemi ait été domestique plutôt qu'étranger. Elle ne fait pas de distinctions de ce genre. L'homme dont je juge inutile de même rappeler le nom s'est attaqué à ce pour quoi elle se bat chaque jour: le bien des autres. Cela suffisait à en faire l'ennemi. Les soldats et les familles dont elle et ses collègues prennent soin ont démontré, face à l'attentat, une grande résilience, alors il lui semble naturel de faire de même, chaque jour, car ils en parlent encore aujourd'hui. Pour mon œil d'observateur extérieur, c'est admirable, et courageux, mais je me tais, car je suis certain que, à l'instar de tous les héros, obscurs comme célèbres, elle me dirait qu'elle ne fait que son travail.

L'équipe d'Audrey a vécu le tout ensemble, et s'en est sorti de la même façon. En partageant, en s'aidant, en faisant face. Elle craint parfois qu'une nouvelle attaque ait lieu, mais elle affronte ses peurs, et ne laisse pas celles-ci changer sa vie. Elle n'a jamais envisagé de partir pour aller exercer ses talents et mettre sa sensibilité et son intelligence à profit ailleurs. Sa famille y a sans doute beaucoup plus pensé qu'elle, dit-elle.

Chaque soir, après avoir aidé son prochain, elle traverse à nouveau le stationnement où ont eu lieu les tragiques événements, avec une pensée pour les victimes du terroriste, mais elle sait qu'elle reviendra le lendemain. Parce que le besoin est là, et parce que de faire le bien est la seule façon de se frotter au mal.

Quant à moi, je me sens rassuré. Si les hommes et les femmes qui constituent nos forces armées canadiennes jouissent du même courage qu'elle, l'ennemi peut venir.

Ils trouveront à qui parler...

Retrouvez plus de textes de Jean-Michel David sur son blogue personnel.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Attentat à Saint-Jean-sur-Richelieu

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.