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Réjean Ducharme, misanthrope

Je suis d'avis que la misanthropie de Ducharme s'explique davantage par le fait qu'il souhaitait protéger son grand trésor, lui-même, en particulier ses capacités créatrices.
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Mon trésor à moi, le sacré, ce fut la philosophie où, pour reprendre la formule de l'historien québécois, Marcel Trudel, il s'agit de « Connaître pour le plaisir de connaître ».
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Mon trésor à moi, le sacré, ce fut la philosophie où, pour reprendre la formule de l'historien québécois, Marcel Trudel, il s'agit de « Connaître pour le plaisir de connaître ».

Dans le film Molière à bicyclette (2012), Serge Tanneur (Fabrice Luchini), célèbre acteur, a quitté le monde du spectacle. Désormais, il vit en ermite sur l'île de Ré, dans une maison délabrée. Le comédien a fait ses adieux à un métier invivable où tout le monde trahit tout le monde. Débarque alors un autre acteur adulé des foules, Gauthier Valance (Lambert Wilson), pour lui proposer de jouer Le Misanthrope de Molière. Le contraste des deux personnages opposés produira des flammèches. Gauthier Valance réalisera pour sa part la parfaite vacuité de son existence.

Le monde du spectacle et celui des médias, où triomphe la foule, sont un mode périlleux, parce qu'insatiable et vide. Ceux qui réussissent malgré tout à s'y épanouir sont assurément protégés par une bonne étoile.

Réjean Ducharme fut misanthrope. Pas tout à fait, toutefois, puisqu'il eut une exception, sa compagne, Claire Richard. Ducharme ne détestait pas les humains. Je suis d'avis que la misanthropie de Ducharme s'explique davantage par le fait qu'il souhaitait protéger son grand trésor, lui-même, en particulier ses capacités créatrices. Il s'agit, en somme, du sacré.

La recherche de l'absolu, pour employer le titre d'un roman de Balzac, est sacrée. Elle appelle de ses vœux la misanthropie, s'il le faut, comme chez Ducharme et d'autres.

Encore une fois, la misanthropie n'est pas engendrée par la détestation des autres. Car, comme le rappelle Aristote dans ses Politiques, « Sans amis, nul ne choisirait de vivre. ». La vie en société, donc, du moins selon Aristote, et contrairement à tous les penseurs modernes après lui, repose sur l'amitié (philia). Pour les modernes, « L'homme est un loup pour l'homme », selon la célèbre formule de Thomas Hobbes. Pas étonnant que des antimodernes comme Ducharme aient recherché la misanthropie.

Certains dans les médias, dépassés par la personnalité misanthrope de l'auteur de La vallée des avalées, cherchent dans la maladie mentale l'explication de ce trait de caractère. Comme si tout l'homme devait s'expliquer par la science (médicale).

Mon trésor à moi, le sacré, ce fut la philosophie où, pour reprendre la formule de l'historien québécois, Marcel Trudel, il s'agit de «Connaître pour le plaisir de connaître».

Mon trésor à moi, le sacré, ce fut la philosophie où, pour reprendre la formule de l'historien québécois, Marcel Trudel, il s'agit de « Connaître pour le plaisir de connaître ». Bon nombre de mes élèves me demandent souvent : « À quoi ça sert la philosophie ? », et de leur répondre sèchement : « À rien ! »

La question se pose évidemment pour la littérature, surtout en cette période effrénée du numérique, de l'information et de la désinformation, de la technologie qui nous submerge : pourquoi écrire ? C'est qu'il existe des mondes insoupçonnés. Ce sont des univers de sens. Voilà ce qu'explore la littérature et la philosophie. Le sens est sacré.

Or, nous autres modernes, nous sommes rivés aux faits, à la réalité observable et enregistrable. Nous proclamons en chœur : Hors de la Science, point de salut !

La vie de Réjean Ducharme constitue un pied de nez iconoclaste contre notre univers scientisme refusant la recherche sacrée du sens des choses.

La vie de Réjean Ducharme constitue un pied de nez iconoclaste contre notre univers scientisme refusant la recherche sacrée du sens des choses. C'est une sorte de Serge Tanneur qui, par contraste, montre à la galerie la vacuité de Gauthier Valance, c'est-à-dire précisément de notre monde moderne.

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