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Métaphysique de la nudité

Si l'on accepte le port du burkini, alors pourquoi ne pas admettre la nudité sur la plage ou à la piscine ?
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Dans l'un de ses posts sur sa page Facebook, Normand Baillargeon pose l'énigme suivante : « un ami FB que j'aime bien soulève... la question de la nudité. Si c'est bien une manière de se (pas?) vêtir sur une plage, peut-on, de manière cohérente justifier son interdiction alors qu'on admet le burkini? » En d'autres termes, si l'on accepte le port du burkini, alors pourquoi ne pas admettre la nudité sur la plage ou à la piscine ?

Sur cette question, la plupart feront valoir la réponse « utilitariste » suivante : afin d'éviter la multiplication des agressions sexuelles, il convient d'interdire la nudité en public; le burkini aurait d'ailleurs sur ce point l'avantage de diminuer les agressions sexuelles. Je pense que cette réponse satisfait bon nombre d'entre nous. Mais, à vrai dire, on ne répond pas l'énigme de l'admission du burkini alors qu'on interdit la nudité. Il s'agit d'une question de principe : si l'on admet le burkini comme façon de se vêtir, alors pourquoi pas la nudité qui constitue en un certain sens une façon de se vêtir en ne se vêtissant pas ?

Au fond, donc, la question est de savoir pour quelle raison nous nous vêtissons, indépendamment des conséquences « utiles » pour le bien commun. Pour ma part, je réponds ce qui suit : notre concept métaphysique d'une personne nous y oblige. Je m'explique en empruntant la distinction métaphysique due au philosophe français Gabriel Marcel (1889-1973) entre problème et mystère.

Une personne est pour elle-même un mystère, jamais un problème. Lorsqu'elle devient pour autrui un problème, les choses se gâtent alors pour elle. Je soutiens donc que le fait de cacher sa nudité répond au mystère de la personne, et son habillement ne doit jamais être considéré comme un problème.

«C'est que mon corps ne peut jamais être considéré comme un pur objet (de convoitise, de plaisir, de domination, etc.), comme un vulgaire machin, voire une simple « machine », dont moi-même ou autrui pourrait user à sa guise.»

Pourquoi donc le fait de couvrir sa nudité constitue-t-il un mystère ? C'est que mon corps ne peut jamais être considéré comme un pur objet (de convoitise, de plaisir, de domination, etc.), comme un vulgaire machin, voire une simple « machine », dont moi-même ou autrui pourrait user à sa guise. Car mon corps, c'est évidemment le mien. Et, à ce titre, il n'est jamais un objet avec lequel je puis faire ce que je veux. Très souvent, des humains utilisent le corps d'autrui pour leurs propres fins. On traite alors le corps comme un moyen pour satisfaire nos propres fins. Dans le cas de notre propre corps, nous éprouvons une honte à le manipuler selon nos fantaisies. Quand c'est l'autre qui le manipule selon ses propres désirs, la chose est pire et devient proprement horripilante et condamnable.

La raison est que, dans le premier cas, lorsque j'utilise mon corps pour mes propres fins, je traite mon corps, et donc moi-même, comme un simple machin. C'est dégradant. Car, en somme, mon corps fait partie de la personne que je suis. Donc, en traitant mon corps comme un vulgaire machin, je me blesse, je porte atteinte à ma personne. Par conséquent, je ne puis jamais traiter mon corps comme un objet parfaitement sous l'emprise de mes désirs, de mes fantaisies. Mon corps ne peut jamais être pour moi un problème, mais toujours un mystère.

Dans un problème - l'étymologie le montre bien -, un obstacle est pour ainsi dire jeté au travers de mon chemin, devant moi. Face à un problème, la situation doit être traitée objectivement. La science excelle à cet égard dans l'ordre de l'objectivation. Le scientifique doit être objectif; c'est son devoir. Bien que la science - la médecine - fait du corps un objet d'étude; mon propre corps, lui, ne peut jamais être un pur objet d'étude. Je ne puis être à cet égard purement observateur et objectif sur mon propre corps. C'est là une vérité métaphysique concernant la nature de l'être humain. Aussi, je suis non pas devant un mystère, mais dans le mystère. C'est le mystère de mon être. Or, pour les mêmes raisons, l'être humain ne peut jamais être un objet de science objectivante.

Bien sûr, les philosophes matérialistes clament que nous ne sommes que de la matière, l'esprit n'étant rien d'autre que de la matière cérébrale organisée de manière fort complexe. Mais alors le philosophe matérialiste traite l'être humain comme un pur objet. Ainsi, sous son scalpel, il se traite et nous traite comme un problème. Que nous ne soyons que de la matière, voilà la solution du matérialiste à ce problème philosophique qui hante l'homme depuis la nuit des temps ( qui sommes-nous ?), mais qui reste un mystère.

Nous ne sommes pas des problèmes pour personne, mais des mystères. Nous sommes des mystères parce que nous sommes partie prenante du soi-disant problème de notre être en tant qu'humain.

Cela étant posé, revenons à la question de la nudité.

Si le corps de l'autre se présente comme un objet, existant objectivement, mon propre corps, lui, ne peut jamais être un pur objet, comme le corps de l'autre. C'est pourquoi, je cache mon corps en le couvrant d'un vêtement. Par-là, je me dis à moi-même ainsi qu'à autrui : traite-moi comme un mystère, un secret. Je ferai par cohérence la même chose pour toi. En somme, mon corps, comme celui de l'autre, est sacré.

Devant le sacré, nous mettons un voile, afin de ne pas le profaner. Notre propre corps étant le lieu du sacré, c'est pourquoi nous nous vêtissons. Aussi, celui ou celle qui se dénude se traite comme un vulgaire machin où tout le sacré de sa personne disparaît. On peut alors le traiter comme tel. Le vêtement n'a rien d'arbitraire; il est le signe métaphysique de la personne.

On lit dans la Genèse qu'après avoir mangé du fruit défendu, Adam et Ève découvrirent leur nudité. En fait, en se coupant de Dieu, Adam et Ève découvrirent qu'ils ne sont que des objets matériels voués à la maladie, à la dégénérescence et à la mort. En somme, en se coupant du mystère qui les lie à Dieu, ils connurent la mort. Le « péché » consiste donc à se considérer comme un objet matériel inerte, coupé du mystère. Les gens qui demandent aujourd'hui « de mourir dans la dignité », demandent en réalité qu'ils puissent se traiter comme des objets d'où le sacré aurait disparu. Se traiter comme un objet est toujours indigne d'eux. « Mourir dans la dignité », c'est donc mourir dans l'indignité.

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Mai 2017

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