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Pourquoi la vocation des enseignants s'étiole?

Je suis d'avis que la cause du délaissement l'enseignement des enseignants au cégep provient d'une nouvelle réalité dans la conception qu'on se fait de l'enseignement. Pour le dire tout net, on serait passé d'une conception «vocationnelle» à une conception «fonctionnariale» de l'enseignement.
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«Occupez-vous des jeunes avant qu'ils ne s'occupent de vous.» - saint Jean Bosco

La semaine dernière un article de La Presse de Louise Leduc, «Cégep: les profs délaissent l'enseignement à temps plein», causa l'émoi parmi mes confrères professeurs au cégep. Par exemple, au cégep de Victoriaville, 80 professeurs ont obtenu cette année une libération (soit 58%) et 22 ont bénéficié d'une réduction volontaire du temps de travail. Devant ces chiffres ahurissants, Normand Baillargeon notait sur sa page Facebook que cette nouvelle le surprenait et l'intriguait.

Pour ma part, il n'y a rien là d'étonnant outre mesure. De son côté, la Fédération des enseignantes et enseignants de cégep (FEC-CSQ) tenait «à rétablir les faits». Selon la présidente du syndicat des professeurs, Lucie Piché, «ce ne sont pas les libérations qui mettent de la "pression sur le système", c'est plutôt le système qui met de la pression sur les profs!». La déclaration est de bonne guerre, comme d'habitude, quand on sait que, pour le syndicat, l'unique et grand responsable de tous les maux des professeurs, c'est bien entendu l'État québécois, le ministère de l'Éducation en particulier. Son patron se comporterait comme un capitalisme véreux toujours prêt à couper dans les vivres en éducation, exploitant sans vergogne les pauvres professeurs qui n'arrivent pas à concilier leur temps d'enseignement et leurs jobines ailleurs.

Depuis près de 25 ans que j'enseigne dans un collège montréalais d'envergure, je n'arrive toujours pas à avaler cette rhétorique syndicale. Je suis d'avis que la cause du délaissement l'enseignement des enseignants au cégep provient d'une nouvelle réalité dans la conception qu'on se fait de l'enseignement. Pour le dire tout net, on serait passé d'une conception «vocationnelle» à une conception «fonctionnariale» de l'enseignement.

L'enseignement est devenu, en somme, un travail comme tous les autres, exigeant des conditions de travail décentes inscrites dans une convention collective en bonne et due forme qu'un puissant syndicat corporatiste protège comme la prunelle de ses yeux. La dimension «vocationnelle» est disparue. «L'appel» pour l'enseignement, comme on disait autrefois, n'a plus cours. En somme, les enseignants sont devenus des fonctionnaires de l'État et, doivent donc, en conséquence être traités comme cette catégorie d'employés étatiques. Le fonctionnariat a ses exigences et l'État doit en tenir compte, car les puissants syndicats des enseignants n'entendent pas plier l'échine.

Mais d'où vient cette conception «fonctionnariale» de l'enseignement qui se substitua subrepticement à la conception vocationnelle?

Lorsqu'on parle de vocation à l'enseignement, on parle surtout d'une disposition de l'enseignant à enseigner.

Lorsqu'on parle de vocation à l'enseignement, on parle surtout d'une disposition de l'enseignant à enseigner. Dans un langage qui n'est plus le nôtre, on parle de vertu à l'enseignement. La vocation à l'enseignement signifie une vertu (une disposition ou capacité) à enseigner et, surtout, à bien le faire. Dans la conception vocationnelle de l'enseignement, il y a une dimension nettement morale qui a aujourd'hui disparu au profit d'une dimension «exécutrice» (tâcheronne) dans la conception fonctionnariale de l'enseignement.

Aujourd'hui, tout le vocabulaire «vertueux» a été banni, et l'on parle désormais de «compétence». La compétence est «une capacité, habileté qui permet de réussir dans l'exercice d'une fonction ou dans l'exécution d'une tâche» (Renald Legendre, Dictionnaire actuel de l'éducation, Guérin, 2005, p. 248). Ce qui importe donc, dans le concept éducatif actuel de compétence, c'est la tâche à réaliser ou à exécuter. C'est un concept «instrumental» de l'éducation. Peu importe ce qui est à transmettre, peu importe, le contenu, l'important c'est que cela soit transmis le mieux possible. Les sophistes de l'Antiquité applaudiraient sans hésitation à notre concept contemporain de compétences en éducation.

Le professeur conçu comme fonctionnaire à la solde de l'État est un expert technicien dont la tâche consiste à transmettre les connaissances à des «apprenants». Ces techniques proviennent des «sciences» de l'éducation. La dimension relationnelle de l'acte d'enseigner devient une pure abstraction.

Un enseignant aujourd'hui n'a aucune honte morale à rater son coup dans un cours: «Ça n'a pas tout simplement fonctionner comme ça devait normalement fonctionner. Le Jell-O n'a pas pris, point à la ligne!» La responsabilité morale de l'enseignant est la première victime de l'apprentissage technologisé.

Il n'y a aucune honte ou culpabilité à mal enseigner; inversement, il n'y a aucune valeur morale à bien enseigner. Bien enseigner, c'est appliquer correctement des techniques éducatives. Enseigner devient un job comme tous les autres.

Or, éduquer, au sens étymologique, signifie conduire au bien (educare). C'est le sens vocationnel de l'éducation qui est disparu. Et c'est bien dommage, car cela conduit à l'aberration suivant laquelle l'éducation des jeunes n'est pas la priorité morale de l'enseignant. Celui-ci s'efface, de modèle qu'il était dans l'enseignement vocationnel; il devient un expert en technologie.

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