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La faute à Rousseau: réponse à Réjean Bergeron

Pour Rousseau, l'éducation est une démarche individuelle et solitaire.
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Je ne souhaite ni défendre les partisans de la Réforme de l'éducation, ni non plus absoudre Bergeron dans sa charge injuste contre ladite Réforme.
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Je ne souhaite ni défendre les partisans de la Réforme de l'éducation, ni non plus absoudre Bergeron dans sa charge injuste contre ladite Réforme.

Dans Le Devoir de philodu week-end dernier, Réjean Bergeron, professeur de philosophie au cégep Gérald-Godin, soutient que la Réforme de l'éducation, instaurée au Québec en 2001, de toutes parts, critiquée et vilipendée, se réduirait aux idées du philosophe des Lumières, Jean-Jacques Rousseau, en particulier dans son volumineux essai, Émile. Bergeron écrit :

Le but du présent texte est de montrer jusqu'à quel point la réforme de l'éducation, mise en place au Québec au cours des années 2000 et présentée ensuite sous le nom de Renouveau pédagogique, n'est en fait que l'application de plusieurs idées déjà présentes dans l'Émile de Rousseau, mais aussi le reflet de cette haine à l'endroit de la chose intellectuelle, du progrès et de la transmission des connaissances qu'il laisse transparaître tout au long de son œuvre.

Je ne souhaite ni défendre les partisans de la Réforme de l'éducation, ni non plus absoudre Bergeron dans sa charge injuste contre ladite Réforme. Injuste, parce que s'il y a des affinités et des ressemblances entre, d'une part, la philosophie de l'éducation du philosophe de Genève et la Réforme en éducation mise en place au Québec, il ne s'agit en aucune manière d'une identité parfaite, établissant un lien de causalité entre l'un et l'autre. Bergeron suggère des points de ressemblance, évoque des amalgames, sans plus. Le lecteur comprend l'objectif visé de l'exercice : dénoncez l'anti-intellectualisme, l'irrationalisme, l'anti-progressisme dans la connaissance et de sa transmission. On trouverait ces immondices autant chez le philosophe que dans la récente Réforme scolaire au Québec. La thèse est, pour le moins, ambitieuse, voire monumentale.

Car, au fond, la Réforme québécoise repose sur une philosophie que Bergeron n'a cure de nommer : le socioconstructivisme (Pour une défense de ladite Réforme, j'invite le lecteur à lire Manifeste pour une école compétente (PUQ, 2011), où il trouvera entre autres des mises au point sur le fameux « socioconstructivisme »).

Pour Rousseau, l'éducation est une démarche individuelle et solitaire. Elle est, au départ, un acte de liberté individuelle – valeur sacro-sainte du libéralisme politique européen naissant. Au contraire, du point de vue de l'éducation québécoise, plus précisément du socioconstructivisme, il s'agit « ... d'une théorie de la connaissance, une façon de concevoir la façon dont l'être humain apprend... D'abord, tout être humain construit ses connaissances, ses habiletés, ses attitudes. Ensuite, la construction ne se fait pas en vase clos. Elle est sociale. Elle se fait en interaction avec les autres ou avec leurs productions. » (Manifeste..., p.36) Que voilà une sérieuse divergence entre l'auteur de l'Émile et la Réforme québécoise !

En outre, Rousseau concevait l'élève comme devant se retirer au loin sur une île déserte (Bergeron évoque à juste titre le roman de Daniel Defoe, Robinson Crusoé, que Rousseau chérissait particulièrement). Or, il est ridicule de penser d'envoyer sur une île déserte tous les élèves (même si cela ferait le plus grand bonheur de certains parents...).

Pour un représentant des Lumières comme Bergeron, l'acquisition de connaissances, de vérités dûment établies, est fondamentale, et la transmission de ces connaissances est du ressort essentiel du maître.

Enfin, le socioconstructivisme souhaite que l'enseignant cesse d'enfouir dans la tête de ses élèves des « connaissances » n'évoquant aucun sens chez eux. Sa tâche dès lors consiste à stimuler l'intérêt de l'élève touchant le sens des connaissances qu'il doit apprendre. L'enseignant devient donc ce qu'on appelle dans le jargon pédagogique un « facilitateur », jamais un « bourreur de crâne ». D'où, tout l'art pédagogique qu'on attend d'un tel « stimulateur ». Or, tout cela est secondaire pour les critiques de la Réforme. Bergeron s'inquiète du statut secondaire accordé principalement aux « connaissances ». Pour un représentant des Lumières comme Bergeron, l'acquisition de connaissances, de vérités dûment établies, est fondamentale, et la transmission de ces connaissances est du ressort essentiel du maître. Bergeron plaide implicitement pour le retour au rôle primordial, incontournable, du Maître, celui qui sait.

Or, les « connaissances » qui doivent être transmises, ce sont celles des sciences. Descartes en fut l'instigateur, un siècle avant Rousseau. Les vieilles connaissances enseignées par l'École n'ont plus leur place (la Scholastique). La métaphysique n'est plus désormais la « science » par excellence; elle doit céder le pas à la nouvelle science moderne expérimentale mise au point entre autres par l'Italien Galileo Galilei, alors que le Français René Descartes lui assure ses lettres de noblesse, entre autres dans son fameux Discours de la Méthode. Ce fut la victoire du Rationalisme des Lumières.

Sur ce point, il est vrai, Jean-Jacques fait figure de rétrograde. Il est antiprogressiste; antilumières. Les progressistes, partisans des Lumières, les Rationalistes, tel Réjean Bergeron, s'en indignent. Plutôt qu'à Rousseau, ils font appel entre autres à Condorcet, un mathématicien, où, dans Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain (1793), on lit : « Nos espérances sur l'état à venir de l'espèce humaine peuvent se réduire à ces trois points importants : la destruction de l'inégalité entre les nations; les progrès de l'égalité dans un même peuple; enfin, le perfectionnement réel de l'homme. » Or, le dernier de ces points s'appelle communément l'éducation. Or, cette éducation rationaliste doit s'inscrire dans l'affirmation sacro-sainte de la valeur de l'Égalité, aussi importante sinon davantage que la Liberté.

Je suis d'avis, contrairement à Bergeron, que la Réforme québécoise en éducation s'inscrit parfaitement dans le progrès des Lumières où l'Égalité constitue la valeur phare.

Je suis d'avis, contrairement à Bergeron, que la Réforme québécoise en éducation s'inscrit parfaitement dans le progrès des Lumières où l'Égalité constitue la valeur phare. À ce chapitre, il convient de lire le Manifeste pour une écolecompétente, la section intitulée « L'équité sociale et scolaire ». Condorcet y applaudirait.

Un dernier point. Le rationalisme en éducation met l'accent sur les « contenus », c'est-à-dire les connaissances. Or, enseigner ne se réduit jamais qu'à des connaissances transmises par un professeur vers des élèves. Éduquer est une relation à trois : des élèves, un professeur, et des connaissances. La relation entre le professeur et l'élève est capitale dans l'acte d'enseigner. Normand Baillargeon, ex-professeur en science de l'éducation, ne tient jamais compte de ce critère hyper important. Pour lui, c'est un élément accessoire, secondaire, « subjectif », sur lequel la science de l'éducation n'a pas véritablement prise. Pourtant, si l'enseignant ne réussit au départ à établir une relation correcte et saine avec ses élèves, il aurait beau avoir tout le savoir disciplinaire en tête, il ne sera jamais un professeur.

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