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Entrons dans une église avec Bernard Émond

Il est pour le moins curieux qu'Émond garde le silence non seulement sur Dieu, mais surtout sur Jésus Christ.
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Je l'ai déjà dit dans ces pages, je suis un adepte du cinéma de Bernard Émond. Le cinéaste est aussi écrivain et a fait paraître récemment un recueil de ses essais et conférences, Camarade, Ferme ton poste (Lux). Bernard Émond adopte le point de vue la religion de nos ancêtres, le catholicisme, que Mathieu-Bock-Coté a qualifié de «catholaïque».

Certes, Émond se dit mécréant, mais sa mécréance n'a rien de vindicatif comme chez d'autres. Il y a chez Émond une sorte de regret du passé religieux québécois ou canadien-français. Quelque chose comme un trésor de sagesse fut largué aux orties dans les années 60. C'est ce que livre l'une de ses conférences du cinéaste sur le patrimoine religieux, intitulé «Entrer dans une église» (p. 47-56)

Se retrouver dans une église, c'est, dit Émond, plonger dans une oasis de silence. C'est l'exact opposé de ses marchés à grande surface, temple laïque du consumérisme. L'église est le lieu temporel des fins dernières. La mort, en particulier. Même dans notre société laïque, bon nombre d'obsèques nationales s'y déroulent toujours. Que faire, en effet, devant la mort? Le mystère qui taraude l'humanité depuis des lunes demeure, l'église reste le lieu du mystère par excellence. Voilà ce que vibre dans ce lieu: le mystère jamais résolu qui hante l'homme.

Mais quelle est donc la réponse que le christianisme offre du mystère par excellence, à savoir: pourquoi la mort après une vie? Chez les Grecs, le mythe de Sisyphe proposait un commencement de réponse: l'existence humaine est semblable à ce pauvre Sisyphe condamné par Zeus à rouler une immense pierre au haut d'un rocher pour qu'une fois parvenue au pinacle, la pierre retombe inexorablement. Il en va ainsi de l'existence humaine: après avoir exercé tous les efforts pour se développer et s'épanouir, chacun doit aller au tombeau. Les philosophes existentialistes hurlèrent leur désarroi devant l'absurdité de l'existence.

Si Bernard Émond se dit non croyant, il n'est pas pour autant existentialiste. Il salue le témoignage de foi et fidélité de nos ancêtres à leur dieu. Il y trouve un héritage hors du commun que nous aurions tout intérêt à réactualiser. La tradition, en particulier la tradition religieuse catholique, ayant marqué de son sceau le Québec, doit être déterrée.

Toutefois, Émond se garde bien de préciser la tradition religieuse du Québec que traduit s'y magnifiquement nos églises encore debout. Pourquoi ce silence?

Le silence d'Émond me fait songer à celui de Socrate qui, lors de son procès relaté par Platon, accusé de ne pas croire aux dieux de la cité athénienne, ne dit jamais nommément qu'il croit aux dieux grecs. Il parle en effet «du dieu» de manière vague et obscure, ce qui conduisit ses juges à le condamner à mort comme le demandait les plaignants.

Certes, Émond, contrairement à Socrate, nous dit qu'il est «agnostique apophatique». (in La quête spirituelle: avec ou sans Dieu ? p. 28) Ce qui signifie que, pour Émond, Dieu est inconnaissable et qu'Il est, par conséquent, indicible. L'apophatisme est la théologie dite «négative» qui nie qu'on puisse dire quoi que ce soit directement sur Dieu ou à propos de Dieu. C'est pourtant ce que le grand penseur de l'Église, saint Thomas d'Aquin pensait aussi de son côté. Par exemple, lorsque Jésus appelle Yahvé-Dieu «Père», ce qualificatif n'est pas univoque, mais plutôt équivoque, car il va sans dire que Dieu n'est pas un père au sens biologique du terme, comme le sont les papas terrestres. Il s'agit donc d'une analogie. Le langage religieux est, en somme, un langage analogique qui ne peut prétendre parler directement de Dieu, parce que notre langage humain est limité et échoue à parler directement de Dieu. De ce fait, Thomas d'Aquin ne prétendait en aucune manière que la théologie puisse parvenir à élucider le mystère qu'est Dieu en lui-même. Tout ce que peut faire la théologie, c'est parler de notre relation à Dieu; or, le médiateur entre Dieu comme « Père » et les hommes, c'est Jésus-Christ.

Il est pour le moins curieux qu'Émond garde le silence non seulement sur Dieu, mais surtout sur Jésus Christ. S'il y a un bien une présence mystérieuse dans une église, c'est bien celle de Jésus Christ ressuscité. La fameuse «messe» c'est en bonne partie une célébration eucharistique d'Action de grâce de Jésus ressuscité qui se donne comme Pain de Vie.

Pourquoi Émond ne parle-t-il jamais du mystère de l'Eucharistie?

Pourquoi Émond ne parle-t-il jamais du mystère de l'Eucharistie? Ne sait-il pas que la croyance fondamentale de ses ancêtres de même que des catholiques d'aujourd'hui, c'est la foi en la résurrection de Jésus Christ mort sur la croix et ressuscité trois jours après? Comme l'écrit Saint Paul aux chrétiens de Corinthe: «Je vous rappelle, frères, l'Évangile que je vous ai annoncé, que vous avez reçu, et par lequel vous serez sauvés si vous le retenez tel que je vous l'ai annoncé; autrement, vous auriez cru vainement. Je vous ai transmis en premier lieu ce que j'avais reçu moi-même : Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures. Il a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures...» (1 Corinthiens 15 1-4)

Le scrupule d'Émond de ne parler ni de Dieu ni de son Fils Jésus Christ est, selon moi, un scrupule qui l'honore, car le cinéaste ne veut en aucune manière déblatérer sur le mystère insondable et sacré de Dieu ainsi que de la religion chrétienne. Bernard Émond me fait donc étonnamment songer à mon maître à penser lorsque j'étais étudiant universitaire, Ludwig Wittgenstein (1889-1951), lequel déclarait à la toute fin de son fameux Tractatus logico-philosophicus : « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire. » J'ai toujours compris Wittgenstein comme un penseur mystique dont le but principal en philosophie fut de maintenir les bornes du langage et de la pensée, afin de préserver le sacré. En cela, je crois reconnaître chez Bernard Émond un disciple du maître autrichien.

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Mai 2017

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