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Croire ou ne pas croire : là est la question

L'athée a une sainte horreur de tout ce qui s'appelle croyance. C'est pourquoi il évite comme la peste de s'engager dans n'importe quelle croyance.
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L'angélisme scientifique dit, non pas qu'il ne croit pas que Dieu existe, mais qu'il n'a pas de raisons d'y croire.
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L'angélisme scientifique dit, non pas qu'il ne croit pas que Dieu existe, mais qu'il n'a pas de raisons d'y croire.

Je reste toujours abasourdi devant les propos de certains athées qui disent ne pas croire en rien, puisqu'au minimum, ils croient en la science et à sa méthodologie. Feu Christopher Hitchens, par exemple, qui fut un adversaire acharné de toute religion, énonce dans son pamphlet en faveur de l'incroyance, Dieu n'est pas grand : « Notre croyance n'est pas une croyance. » Quelle assertion troublante ! Car, bien sûr, en lisant entre les lignes, Hitchens veut dire que la croyance d'un athée n'est pas du même du type que la croyance d'un adepte de la foi religieuse. Hitchens poursuit en écrivant : « Nos principes [méthodologiques] ne sont pas une foi... nous nous méfions de tout ce qui contredit la science ou insulte la raison. » (pages 16-17 de la traduction française chez Belfond, 2009)

Au moins, un athée comme Hitchens, croit en la science et en la raison. Or, celui qui croit en quelque chose pose un acte de foi. « Croire en » est l'expression d'une confiance, d'un engagement. L'être humain est ainsi fait par nature qu'il met sa foi en quelque chose. Le « croire en... » est un acte libre et volontaire, contrairement au « croire que...» qui est involontaire. Par exemple, je puis décider de croire en la souveraineté du Québec; m'engager dans ce projet politique, militer, etc. Mais je ne puis décider de croire que le Québec soit une province canadienne; je dois pour ainsi dire m'y plier.

C'est la stratégie préférée du bon scientifique qu'on peut qualifier d'angélique, au sens où la science serait toute pure, sans tâche, c'est-à-dire sans croyance aucune.

Or, l'athée a une sainte horreur de tout ce qui s'appelle croyance. C'est pourquoi il évite comme la peste de s'engager dans n'importe quelle croyance. Il va jusqu'à dire qu'il ne croit pas que Dieu n'existe pas. Il n'en a aucune idée. D'où l'assertion paradoxale, voire contradictoire de Hitchens « Ma croyance n'est pas une croyance ». L'athée comme Hitchens n'asserte même pas que Dieu n'existe pas. Avec toute sa rectitude méthodologique, il dira qu'on (c'est-à-dire la science) n'a pas de raisons de croire que Dieu existe. Insistons, encore une fois, que l'athée, s'appuyant sur la science, c'est-à-dire sur la raison, n'asserte pas que Dieu n'existe pas. C'est la stratégie préférée du bon scientifique qu'on peut qualifier d'angélique, au sens où la science serait toute pure, sans tâche, c'est-à-dire sans croyance aucune.

On retrouve cet angélisme scientifique sous la plume d'un québécois, professeur émérite de biologie de l'Université Laval, Cyrille Barrette qui écrit dans Mystère sans magie. Science, doute et vérité : notre seul espoir pour l'avenir (MultiMondes, 2006, p. 1) :

La science n'est ni une idéologie, ni une doctrine, ni une religion, ni une politique, ni une industrie, ce n'est qu'une méthode.

On croirait entendre Platon nous parler de la science comme le Monde Intelligible des Formes planant au-dessus du sol rugueux et chaotique du Monde Sensible Matériel. Évidemment, c'est là offusquer l'angélique scientifique puisqu'il clame haut et fort qu'il n'A AUCUNE CROYANCE, quelle qu'elle soit ! Il se veut parfaitement neutre, impartial, objectif. Bref, une sorte d'ange qui peut désormais se passer de croire.

Quelle fumisterie !

En un sens, l'adepte de l'angélisme scientifique va plus loin que le scepticisme puisqu'il nie avoir quelque croyance que ce soit, alors que le sceptique, lui, admet qu'il possède des croyances, sauf qu'il ne les tient jamais pour véridiques.

Revenons à sa non-croyance à l'égard de l'existence de Dieu. L'angélisme scientifique dit, non pas qu'il ne croit pas que Dieu existe, mais qu'il n'a pas de raisons d'y croire. Il aimerait pour ainsi dire y croire, mais sa raison l'oblige à ne pas croire. Il ne peut même pas dire qu'il sait que Dieu n'existe pas. L'agnosticisme est sa posture; pas celle de l'athéisme.

Il y a de sérieux problèmes à soutenir l'agnosticisme conçu d'après l'angélisme méthodologique de la science. Entre autres : si l'agnostique dit qu'il n'a pas de bonnes raisons de croire que Dieu existe, et que cette assertion ne constitue pas une croyance, alors de quoi s'agit-il au juste ? De plus, si l'assertion en question n'est pas une croyance, elle n'est pas non plus susceptible d'être vraie ou fausse. Or, malgré ses dénégations, l'agnostique angélique croit fermement qu'il est vrai que Dieu n'existe pas. Sinon, son assertion ne peut être ni vraie ni fausse; c'est-à-dire qu'elle serait dénuée de sens.

À la suite du philosophe britannique G.E. Moore (1873-1958), les philosophes s'entendent pour dire que si j'affirme que Dieu n'existe pas, alors je dois au moins croire que Dieu n'est pas; tout comme si je dis qu'il pleut dehors, je dois nécessairement croire qu'il pleut. En effet, dire : « Il pleut dehors, mais je n'y crois pas » serait parfaitement contradictoire. Donc, asserter « Dieu n'existe pas, mais je n'y crois pas » est aussi contradictoire et, donc, insensé.

En somme, toute assertion implique logiquement la croyance.

L'agnostique angélique scientifique qui entend se passer de la croyance n'est donc qu'un vicieux au plan logique et, comme avec tous les vicieux, il faut s'en méfier. On ne peut donc se passer de la croyance comme le soutient l'angélisme scientifique.

Une autre difficulté plus redoutable encore est que l'angélisme scientifique est assimilable à la pensée du fameux Parménide d'Élée (vers 515-450 avant notre ère) qui déclarait que seul l'être est; donc, le non-être n'est pas. Par conséquent, on ne peut jamais véritablement dire ce qui est faux. En particulier, on ne peut pas dire que Dieu n'est pas (si c'est le cas que Dieu ne soit pas).

Or, ce cher Parménide est le premier des plus illustres représentants du rationalisme, doctrine épistémologique voulant que toute connaissance et, donc, toute vérité, proviennent uniquement de la raison. Je suis donc d'avis que l'angélisme scientifique d'un Hitchens ou d'un Barrette, voire de bien d'autres avec eux, sont des rationalistes qui s'ignorent. S'ils déclarent que le rationalisme n'est pas un système de croyances auquel ils adhèrent, ils deviennent carrément incompréhensibles, et j'en perds mon grec et mon latin.

Avril 2018

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