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Identité: un projet pour tous les Québécois, la Concordance culturelle

La proposition que je dévoile aujourd'hui vise à donner la charpente de ma vision pour la cohésion du Québec de demain (la Concordance culturelle) la méthode pour y parvenir (l'Assemblée constituante) et le texte fondateur qui l'enchâssera (la Constitution interne du Québec).
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«La patrie est un projet commun, une création continue de nos efforts solidaires [. . .]

Être ensemble est une immense opération, une orchestration infiniment complexe, dont le chef invisible est la conviction partagée que cet ensemble existe, qu'il a un sens à travers l'histoire, qu'il nous faut y être attentifs afin qu'il ne se relâche pas [...] Le plus grave désastre qui puisse menacer un peuple n'est pas l'anéantissement militaire, c'est l'indifférence de ses membres à la forme de son avenir.»

- Citation de Pierre Emmanuel, choisie par Camille Laurin et Fernand Dumont pour ouvrir leur

Politique québécoise de développement culturel, en 1978

«There is no core identity, no mainstream in Canada. There are shared values -- openness, respect, compassion, willingness to work hard, to be there for each other, to search for equality and justice. Those qualities are what make us the first postnational state.»

Traduction: «Il n'y a pas d'identité fondamentale, pas de courant dominant au Canada. Il y a des valeurs partagées - ouverture, compassion, la volonté de travailler fort, d'être là l'un pour l'autre, de chercher l'égalité et la justice. Ces qualités sont ce qui fait de nous le premier État post-national.»

- Justin Trudeau, New York Times Magazine, décembre 2015

Le Québec est dans une situation unique. Un peuple minoritaire sur un continent anglo-américan dont la survie et le dynamisme sont un défi lancé à l'histoire.

La proposition que je dévoile aujourd'hui vise à donner la charpente de ma vision pour la cohésion du Québec de demain (la Concordance culturelle) la méthode pour y parvenir (l'Assemblée constituante) et le texte fondateur qui l'enchâssera (la Constitution interne du Québec).

Le contexte continental

Notre voisin du Sud pratique une politique de «Melting pot» qui vise sans inhibition à assimiler dans le grand tout américain chaque vague d'immigration. (Il faut dire que les millions de Canadiens français ont été plus longs que les autres à se fondre dans le grand tout!). Le Québec est cependant dans un pays, le Canada, qui pratique la politique exactement contraire à celle des États-Unis. Loin de vouloir assimiler ses citoyens dans un grand tout chargé d'histoire, de symboles et de mythes, le Canada s'affiche comme la terre multiculturelle par excellence. Là où chacun reste soi.

Ce principe est enchâssé dans la constitution du pays, une loi en dicte les paramètres, un ministère y consacre son activité et ses budgets, les tribunaux y soumettent les lois.

Avec une efficacité telle que le premier ministre du moment, Justin Trudeau, puisse affirmer que le pays est désormais «post-national». C'est-à-dire qu'il ne constitue plus une nation, donc qu'il n'est plus une communauté construite autour d'un parcours historique, d'une existence culturelle et linguistique, de pratiques forgées par un tronc commun d'individus sur plusieurs générations. Non, Justin Trudeau le dit fièrement au plus grand quotidien américain: «il n'y a pas d'identité fondamentale, de tronc commun au Canada».

Les Québécois, leurs intellectuels, leurs élus, ont beaucoup cherché à dessiner leur propre définition du vivre-ensemble, ni assimilationniste à l'américaine, ni multiculturaliste à la canadienne. Cet effort de bonne foi a conduit à l'approche actuelle dite de «l'interculturalisme» [1]. Ses défenseurs insistent pour l'investir de différences importantes par rapport à sa version canadienne. Ses détracteurs estiment qu'en pratique, sinon en théorie, le résultat n'est pas significativement différent.

D'autant que le Québec faisant toujours partie du Canada, une politique d'intégration québécoise cherchant l'équilibre entre la culture du néo-Québécois et celle du tronc commun de la nation d'accueil, se heurte au pouvoir d'attraction considérable d'une politique fédérale qui affirme que le tronc commun n'existe pas et que la nation elle-même n'existe plus.

J'estime qu'il est temps de tracer une trajectoire beaucoup plus affirmée: la Concordance culturelle, soit la volonté clairement exprimée par la nation qu'elle souhaite de et pour tous ses citoyens un cheminement commun vers des éléments qui constituent les piliers de son identité nationale.

Concorder, mais vers quel tronc commun?

Pour trouver ces éléments, il faut puiser dans la réalité du tronc commun des traits distinctifs qui, soit, relèvent de l'évidence, soit, ont marqué notre société et ont une portée civique universelle.

L'évidence:

Le Québec a une langue officielle et commune, le français, et tous les habitants de son territoire ont vocation à l'apprendre, la connaître, la partager;

Le Québec s'est incarné dans une production culturelle francophone riche et multiforme qui exprime à la fois ses origines, son évolution et ses métissages, et plus largement un esprit créatif qui déborde sur d'autres domaines. Il coule de source que tous ses citoyens puissent connaître les éléments essentiels de cette culture commune et contribuer à son enrichissement;

Le Québec est le résultat d'un passé qui a produit un récit historique singulier, toujours en devenir. La connaissance de ce récit, la participation aux débats incessants entourant ses hauts et ses bas, font partie de l'expérience d'une citoyenneté québécoise commune.

Et comme l'écrivait très justement le sociologue Gérard Bouchard:

«Cette dimension [de la mémoire] n'est pas restreinte aux Québécois d'origine canadienne-française. Dans sa singularité même, elle est porteuse d'enseignements à caractère universel. Notre passé a quelque chose d'important à dire à tous les Québécois. Il y a deux conditions à respecter: a) ne pas l'amputer, b) ne pas verser dans l'endoctrinement.»

La portée civique universelle:

Le Québec n'est pas le seul lieu où l'égalité entre femmes et hommes est un acquis précieux (et encore incomplet). Mais à cause de notre histoire, ce désir d'égalité est exprimé intensément et fait partie de notre identité fondamentale;

Le Québec n'est pas le seul lieu où se pratique l'entraide et la concertation, le partage de la richesse, la coopération et l'économie sociale. Mais force est de constater que notre statut de minorité a fait de ces approches de décision et d'action un trait fort;

Le Québec n'est pas le seul lieu où le pouvoir religieux a fait place à un État et une société de plus en plus laïcs. Mais la rapidité du changement enregistré depuis 1960 et la volonté manifeste de la nation de faire des pas supplémentaires en cette direction en font une caractéristique centrale de notre identité moderne.

Le Québec n'est pas le seul lieu où la quête de justice sociale se déploie. Mais la marche d'une population francophone qui, avant la Révolution tranquille, était sous-payée et socialement déclassée vers une société moderne d'une grande mobilité sociale et exigeante pour viser l'équité sous toutes ses formes font de cette quête un trait saillant de notre vie collective.

Le Québec n'est pas le seul lieu où la volonté démocratique est présente. Mais des Patriotes qui font voter dans tous les villages les 92 résolutions réclamant davantage de démocratie, en passant par l'obtention du gouvernement responsable, jusqu'aux lois sur la démocratie de René Lévesque et Robert Burns, des avancées récentes et des débats persistants sur la recherche d'un mode de scrutin encore plus équitable, notre engagement pour la démocratie est indissociable de ce que nous sommes.

La Concordance culturelle, un principe structurant

Premier ministre, j'adopterai une vision plus claire de l'intégration basée sur le concept de «Concordance culturelle». Cette idée n'est pas complètement nouvelle. Elle s'appuie sur les travaux réalisés sous le premier gouvernement de René Lévesque par Fernand Dumont, sous la direction de Camille Laurin. Sous le terme «Convergence culturelle», elle fut esquissée dans le livre blanc sur la Politique de développement culturel[2], publié en 1978 dans la foulée de l'adoption de la Charte de la langue française. En voici quelques extraits, encore très actuels:

«Une «culture de convergence»: l'expression n'est pas une métaphore commode ni une formule de rhétorique. Elle veut indiquer un axe fondamental d'une politique de développement propre au Québec dans sa réalité concrète, soucieuse de diversité comme de cohérence. [...]

Si le français doit être la langue commune au Québec, comme on semble le reconnaître partout, on doit en admettre les conséquences pour la culture. Non pas, répétons-le patiemment, parce que la culture de tradition française devrait abolir les autres sur notre territoire, mais parce que, comme pour la langue, elle devrait servir de foyer de convergence pour les diverses communautés qui continueront par ailleurs de manifester ici leur présence et leurs valeurs propres.»[3]

La tentative d'implantation de la politique fut abandonnée par Gérald Godin quelques années plus tard. Dans le contexte socio-culturel alors tendu - suite à l'application d'une Charte de la langue française qui n'avait pas que des amis, et dans la foulée de l'intense et polarisante période référendaire puis du rapatriement imposé de la constitution canadienne - la Convergence culturelle fut mal accueillie.

C'est donc à dessein que je ne reprends pas cette expression, non pour en rejeter l'intuition d'origine, mais d'abord pour m'extraire de cette expérience alors non concluante, ensuite et surtout pour investir la Concordance d'un contenu plus adapté au Québec d'aujourd'hui et à l'évolution des débats.

D'autant que depuis cette époque, le Québec a changé. L'idée forte voulant que le Québec forme une «nation au sein du Canada» a été adoptée par la Chambre des communes en 2006 - même si l'opinion publique canadienne la récuse massivement dans les enquêtes d'opinion. Au sein des frontières du Québec, la connaissance du français et le sentiment d'appartenance au Québec sont beaucoup plus forts qu'ils ne l'étaient en 1978 et en 1980, y compris dans la minorité anglophone et parmi les Québécois d'adoption. Le terrain est donc mieux préparé, il me semble, pour changer, en douceur, la donne.

Contrairement au multiculturalisme et plus fermement que l'interculturalisme, la Concordance culturelle telle que je l'entrevois propose que les néo-Québécois d'hier, d'aujourd'hui et de demain soient invités à cheminer vers le tronc commun auquel ils se sont ajoutés en franchissant nos portes. L'assimilation? La Concordance n'a ni à l'encourager ni à la décourager. Chaque citoyen et chaque génération effectue son parcours identitaire comme il ou elle l'entend.

Mais la Concordance récuse la notion voulant que le Québec soit une mosaïque de pôles culturels équivalents qui vivent en permanence côte à côte en échangeant idées et cultures. Elle respecte la richesse de la diversité, oui, mais crée les conditions de la concordance, en direction du tronc commun bâti ici par l'histoire.

Elle n'est pas non plus un processus symétrique entre l'arrivant et la société d'accueil. Elle rompt avec la proposition voulant que le néo-Québécois et la société d'accueil aient à faire un effort équivalent l'un envers l'autre. Dans le modèle de la Concordance, le néo-Québécois s'inscrit dans un processus d'intégration et de Concordance alors que la société d'accueil, elle, a le devoir de créer des conditions favorables à cette intégration. Ce devoir doit être affirmé clairement dans les textes et respecté dans les faits. Dans cet esprit, la Concordance est un processus graduel à long terme impliquant des ajustements et conduisant à des enrichissements réciproques.

Des groupes historiquement constitués, dans et à côté de la nation

Le Québec de la Concordance culturelle reconnaît bien évidemment la présence sur son territoire de groupes historiquement constitués au parcours singulier.

Il s'agit d'une part des peuples autochtones dont, depuis René Lévesque, le Québec reconnaît l'existence comme nations. Ces nations et la nôtre partagent un territoire, s'accompagnent, interagissent, s'influencent par de multiples échanges culturels et personnels. Ces nations n'ont pas pour destin de se concorder avec la nation québécoise au sens strict de la politique publique décrite ici. Elles ont leurs identités propres.

La minorité historique anglophone constitue, elle, une société distincte au sein de la nation québécoise. Elle participe de la politique de Concordance culturelle, elle en partage des traits historiques et culturels, mais elle préserve aussi des caractéristiques propres, des institutions, des droits, un destin singulier et permanent au sein de la nation québécoise.

Il existe au Québec de nombreuses organisations représentant ce qu'il est convenu d'appeler les «communautés culturelles». Elles sont évidemment bienvenues et font partie de la société, de son histoire, de son tissu, de son foisonnement culturel. Elles ont laissé des marqueurs forts dans notre vie collective. Qu'on songe aux Irlandais ayant creusé le canal Lachine et qui rassemblent largement les Québécois le jour de la Saint-Patrick, à la communauté juive dont l'enracinement chez nous se confond avec nos origines, à la riche histoire du Chinatown, pour ne nommer que ces trois exemples parmi les plus saillants.

Leur existence est couverte par la liberté d'association, de culte, de manifestation, elles ont accès et aux programmes gouvernementaux de soutiens divers et de valorisation lorsqu'elles en satisfont les critères. Si elles le désirent, les organisations des communautés peuvent être des vecteurs, des facilitateurs, de concordance. Mais elles ont une existence et une autonomie propre et n'ont pas à être embrigadées dans quelque politique que ce soit.

Les outils de la Concordance culturelle: une constituante, une constitution, une loi, une politique

Comme l'a fait le Canada avec le multiculturalisme, le Québec doit user de plusieurs outils pour faire de la Concordance une réalité. Le plus important sera d'en consacrer le principe dans un texte fondateur, qui reconnaîtra également le rôle central dans notre vie collective de la Charte de la langue française et de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.

Je propose ainsi de créer, au début du mandat qui s'enclenchera en octobre 2018, une commission parlementaire spéciale portant le nom d'«Assemblée constituante». Cette assemblée sera composée d'individus représentatifs du Québec ayant pour mandat de proposer à l'Assemblée nationale une constitution interne du Québec.

Cette Commission parlementaire élargie sera composée, sur le canevas de la Commission Bélanger-Campeau de 1990, de façon la plus consensuelle possible entre les partis représentés à l'Assemblée nationale, dans un esprit de bonne représentation de la diversité québécoise.

Elle procèdera à des consultations, nationales et régionales, avant de faire son rapport. Son objet ne portera pas sur le statut politique du Québec (fédéralisme ou souveraineté) ou sur la forme de ses institutions (monarchie ou république). Elle aura mandat de proposer à la Nation les éléments qui constituent ses points de Concordance, à l'intérieur de son statut politique actuel. Notre objectif sera de faire adopter cette constitution par plus d'un parti représenté à l'Assemblée nationale.

Il appartiendrait à un gouvernement ayant obtenu, à l'élection de 2022, un mandat de conduire le Québec à la souveraineté de faire les pas supplémentaires.

Il en découlera, comme pour le multiculturalisme canadien, l'adoption d'une loi sur la Concordance culturelle et la publication d'une politique dotée d'un plan stratégique pluriannuel et de budgets adéquats.

Quels pas de plus sur les éléments de la Concordance?

Ma proposition vise ici à établir un principe structurant pour le Québec d'aujourd'hui et de demain et pour tous les Québécois. Un principe qui guidera, ensuite, l'action de chaque gouvernement qui l'adaptera selon l'évolution, les priorités, voire les virages, de la société québécoise.

D'ici peu, je proposerai sur chacun des éléments constitutifs de la Concordance les pas supplémentaires que le gouvernement du Parti québécois que je dirigerais voudrait réaliser pendant le mandat allant de 2018 à 2022:

  • au sujet de la protection et de la promotion de la langue française;
  • au sujet de la promotion de la culture québécoise;
  • au sujet d'une meilleure transmission du récit historique québécois;
  • au sujet des progrès à accomplir en matière de laïcité et d'accommodements religieux;
  • au sujet des pas à franchir pour davantage d'égalité entre femmes et hommes;
  • au sujet de la culture d'entraide et de concertation, mise à mal par le gouvernement actuel, et qu'il faut reconstruire en fonction de la réalité d'aujourd'hui et des défis de demain.

Références:

[1] On demandera de préciser en quoi la «concordance culturelle» se distingue de l'interculturalisme. La définition la plus «officielle» de ce dernier se trouve dans la Politique d'immigration, de participation et d'inclusion du gouvernement, de novembre 2015 (p. 35): «L'interculturalisme reconnaît et valorise une conception plurielle et dynamique de l'identité québécoise, une langue publique commune, le français, le respect des droits et libertés de la personne et la lutte contre la discrimination, une éthique du dialogue et de la médiation ainsi qu'une conception de l'intégration basée sur l'engagement partagé entre la société et les personnes immigrantes. Il reconnaît aussi l'importance des rapprochements interculturels et de la pleine participation des Québécoises et Québécois de toutes origines.» Cette définition n'inclut ni l'existence d'une culture québécoise majoritaire ni le caractère asymétrique de l'intégration. Notons que parmi les définitions non officielles, celle de Gérard Bouchard insiste sur la reconnaissance d'une majorité francophone.

[2] La rédaction du document fut confiée à Fernand Dumont. Le contenu fut élaboré et discuté au cours d'une période d'échanges formels et informels au sein d'une petite équipe composée de Camille Laurin, inspirateur et porteur officiel du document, Fernand Dumont, Guy Rocher et Henri Laberge, alors chef de cabinet de Camille Laurin.

[3] Plus récemment, le concept a fait l'objet d'un intéressant texte du juriste Guillaume Rousseau, «Pour une loi-cadre sur le convergence culturelle» dans Micheline Labelle, Jean-René Milot et Sabine Choquet, Actes du colloque interdisciplinaire et international d'étudiants et de nouveaux chercheurs, Montréal, Les Cahiers de la CRIEC, 2014, 79 à 95.

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