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La Catalogne: problème pour l'Espagne, défi pour l'Europe

La victoire des indépendantistes à l'élection régionale de dimanche 27 septembre pose un sérieux problème à l'Espagne. Mais pas seulement.
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La victoire des indépendantistes à l'élection régionale de dimanche 27 septembre pose un sérieux problème à l'Espagne. Mais pas seulement.

La liste Junts pel si (« Ensemble pour le oui »), regroupant indépendantistes de gauche et nationalistes de droite, a donc remporté le scrutin présenté comme un référendum pour l'indépendance de la Catalogne. À ses 62 députés s'ajoutent les 10 élus de la CUP, un parti séparatiste anticapitaliste et eurosceptique, ce qui permet aux indépendantistes d'obtenir la majorité absolue en nombre de sièges (72), mais pas en vote (47,8 % des voix). Madrid s'appuiera vraisemblablement sur ce dernier chiffre pour contester les revendications indépendantistes du nouveau gouvernement catalan. Mais la dynamique est désormais clairement en faveur de ce dernier, à la tête de l'une des Généralités les plus puissantes et industrieuses d'Espagne.

Une victoire "métapolitique"

Ces résultats électoraux ne doivent rien au hasard. Ils viennent sanctionner une "longue marche" en faveur de la reconnaissance de la singularité puis de l'autonomie catalane au sein de l'espace espagnol. Avec un levier principalement économique d'abord. La région est l'une des plus anciennement industrialisées de la péninsule ibérique, et reste aujourd'hui encore l'une des plus riches. "Jusqu'à la fin du XIXe siècle, la bourgeoisie industrielle et commerçante catalane n'a pas eu d'équivalent en Espagne, sauf au Pays basque, rappelle le Dictionnaire de géopolitique et géoéconomie (Puf, 2011). C'est d'ailleurs cette bourgeoisie, intellectuelle et industrieuse, qui a été à l'origine d'un mouvement nationaliste au début du XXe siècle afin de défendre les intérêts économiques des entreprises catalanes face au pouvoir de Madrid. L'adoption du concept de 'nation' pour désigner la Catalogne ne fut que la radicalisation de cette revendication." Une radicalisation progressive que l'on doit à deux facteurs principaux, de nature politique et culturelle cette fois.

La puissance du mouvement ouvrier d'abord, issu de cette même phase d'industrialisation, terreau d'une culture politique qui a notamment fait de la Catalogne l'un des principaux foyers d'insurrection républicaine puis d'opposition aux forces franquistes pendant la Guerre d'Espagne (1936-1939). Une opposition qui rejoint la défiance historique de la région à l'encontre de Madrid. Cette défiance puise ses sources loin dans l'histoire, si l'on se souvient que c'est dès 987 que le comte de Barcelone, en refusant l'hommage au nouveau roi de France, érige l'un des premiers États souverains de la péninsule ibérique. Mais cet acte fondateur se serait sans doute estompé dans la mémoire des peuples sans la spécificité linguistique, donc culturelle, de la Catalogne, qui constitue le second facteur, et sans doute le plus décisif de la dynamique indépendantiste à l'œuvre aujourd'hui. Le catalan, distinct du castillan, avait été interdit sous la dictature de Franco (1939-1975) : la généralisation de son enseignement depuis 1978, lorsque la nouvelle Constitution espagnole a reconnu un statut d'autonomie à la Catalogne, en a fait une langue vernaculaire. C'est-à-dire le véhicule d'un ensemble de références culturelles distinctes de l'ensemble espagnol. La spécificité du nationalisme catalan a été, notamment par rapport aux Basques, de privilégier cette stratégie culturelle. Non violente et graduelle, appuyée sur une indéniable crédibilité économique, elle a fini par déboucher sur le succès que l'on constate aujourd'hui.

La confirmation du "réveil des nationalités" en Europe

L'aspiration de la Catalogne à la souveraineté n'est pas un cas isolé en Europe - y compris au cœur de l'UE. De nombreux territoires infra-étatiques y disposent d'un statut spécial depuis 1945 (Val d'Aoste et Tyrol du Sud italiens, communauté germanophone de Belgique, Frise, îles Féroé au nord de l'Ecosse, Frioul, Sardaigne...). Et de nombreuses minorités linguistiques et culturelles bénéficient d'une reconnaissance plus ou moins large de leurs droits au sein d'espaces devenus "étrangers" au sortir de la Seconde Guerre mondiale (Danois du Schleswig, Sorabes de Lusace, à la frontière germano-polonaise, Slovènes de Carinthie...). La situation est plus tendue en Europe centrale et orientale, où les armes n'ont quasiment jamais cessé de parler depuis les sécessions croate et slovène des années 1990-1995 : guerre de Bosnie (1992-1995) puis du Kosovo (1999), conflit entre la Transnistrie et la Moldavie (1991-1992), combat des "Républiques populaires du Donetsk et de Lougansk" contre Kiev depuis 2014...

Une hypothétique indépendance de la Catalogne s'inscrirait donc dans un mouvement de fond. Elle est certes un problème de premier ordre pour l'Espagne. Alors que l'unité formelle du royaume est contestée de longue date par les tentations centrifuges de ses régions périphériques (Catalogne mais aussi Andalousie, Aragon, Asturies, Galicie, voire Baléares...), la perte de son principal poumon économique est sans doute inenvisageable. Mais c'est également un problème pour bon nombre de pays européens, dont la France : outre l'effet domino que pourrait provoquer le processus d'indépendance catalane, le rêve d'une "grande Catalogne" à cheval sur les Pyrénées, tel que caressé par les nationalistes les plus convaincus, constitue un défi direct pour Paris, dont le nouveau découpage régional peine déjà à convaincre.

À l'heure de la montée des critiques contre la mondialisation et les institutions européennes, et de la pire crise migratoire qu'ait connu le Vieux Continent, là encore, depuis 1945, nul doute que cette "question des nationalités" que l'on croyait trop rapidement réglée ne redevienne centrale. Comme un retour aux réalités anthropologiques que discernait déjà la philosophe Simone Weil dans L'Enracinement (1943) : "L'enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l'âme humaine. C'est l'un des plus difficiles à définir. Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l'existence d'une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d'avenir." Les facteurs conjoncturels ne permettent-ils pas souvent de révéler au grand jour des constantes toujours à l'œuvre ? Pour les vieilles nations européennes, c'est un défi immense qui s'annonce.

Pour aller plus loin:

"La Catalogne, en route vers l'indépendance ?", note d'analyse géopolitique CLES de Grenoble Ecole de Management, n° 167, 01/10/2015 - à lire sur http://notes-geopolitiques.com

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27-S, Cataluña vota (2015)

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