Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

La démocratie masquée

Le Barreau du Québec juge légitime l'objectif poursuivi par la proposition législative. Cependant, fait-on valoir, les manifestants pacifiques désireux de conserver l'anonymat ne devraient pas être ciblés si leur déguisement « n'a pas pour but de faciliter la perpétration d'une infraction criminelle, incluant la participation à une manifestation tumultueuse ».
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.
Getty Images

La Charte canadienne, dans son préambule, précise que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et du droit. Sauf une règle à l'effet contraire, les citoyens sont libres d'agir comme ils l'entendent. En revanche, les policiers doivent agir en conformité des pouvoirs et obligations prévus par la loi. En somme, la suprématie du droit n'est pas celle d'une personne qui impose son droit à autrui.

Le contrôle d'une manifestation publique n'a rien d'une compétition au fleuret. La mission des policiers consiste à protéger la paix publique et enquêter sur les infractions commises. Les agents de la paix doivent réagir promptement, avec efficacité et souplesse, dans un contexte périlleux.

Selon le Code criminel, une émeute existe légalement lorsqu'un attroupement illégal a commencé à troubler la paix de façon tumultueuse. S'il est convaincu qu'une émeute est en cours, un policier peut ordonner, de façon audible, la dispersion des gens présents. La loi prévoit la possibilité que la déclaration se termine par « Dieu sauve la Reine » ! Dieu merci, cette mention n'est pas obligatoire...

Averti de l'existence d'une émeute, un policier qui, sans excuse valable, omet de prendre toutes les mesures raisonnables pour réprimer le soulèvement populaire commet une infraction de négligence.

S'agissant du droit de manifester sur la place publique, la Charte canadienne protège la « liberté de réunion pacifique ». Voilà pourquoi le Code criminel interdit les attroupements illégaux et les émeutes. Les droits de ceux qui s'expriment publiquement s'arrêtent là où commencent les droits de ceux qui les écoutent ou qui sont contraints de le faire.

L'expression masquée

L'anonymat d'un dénonciateur suscite la méfiance. Dans le contexte trouble d'une manifestation publique, le port d'un masque est-il justifié dans une société libre et démocratique?

Nos élus planchent actuellement sur des ajouts au Code criminel ou à la réglementation municipale pour sanctionner les manifestants masqués. Prochainement, un comité parlementaire fera l'étude du projet de loi C-309 déposé par le député conservateur Blake Richards. Il est proposé de sanctionner pénalement les participants à une émeute ou à un attroupement illégal lorsque ceux-ci portent un masque (ou autre déguisement), sans excuse légitime, dans le but de dissimuler leur identité.

Du côté gouvernemental, selon le député Rob Clarke, un ancien de la GRC, la prohibition de se masquer lors d'une manifestation publique dissuaderait les casseurs de violer la loi en raison de l'usage répandu de la captation d'images à l'aide de téléphones cellulaires et de caméras de surveillance.

À son avis, le projet de loi favorise l'arrestation d'individus masqués avant le passage à l'acte. Bref, il s'agit d'une « mesure préventive » susceptible de protéger les biens de tiers innocents et qui, du coup, favorise les protestataires pacifiques.

Que pense l'opposition officielle de cette initiative? Selon la député Charmaine Borg, le projet de loi « enlève le droit d'un citoyen de manifester de manière anonyme ». Elle y voit un « risque de profilage politique des personnes exerçant leurs libertés civiles ».

Le Barreau du Québec juge légitime l'objectif poursuivi par la proposition législative. Cependant, fait-on valoir, les manifestants pacifiques désireux de conserver l'anonymat ne devraient pas être ciblés si leur déguisement « n'a pas pour but de faciliter la perpétration d'une infraction criminelle, incluant la participation à une manifestation tumultueuse ».

Le Barreau suggère d'incriminer le port d'un masque fait « dans le but » de violer la loi. C'est inutile : le Code criminel comporte déjà une infraction similaire.

Dans une tribune publiée récemment (Le Devoir), le professeur Francis Dupuis-Déry de l'UQAM disait que les anarchistes, communistes, écologistes et féministe radicales du Black Blocs jugent « utile et juste de perturber l'ordre social et d'exprimer une colère légitime ». Cette nébuleuse de casseurs préconise « l'argument de la vitrine cassée », d'ajouter le professeur Dupuis-Déry. D'où, la nécessité d'être masqué.

Sans l'arbitrage des lois, privilégiant chacun leur intérêt personnel, les citoyens se causeraient mutuellement préjudice. Par conséquent, toute loi pénale comporte des limites ou des contraintes à l'exercice des droits et libertés fondamentaux.

Sur la place publique, que l'on soit manifestant ou simple badaud, c'est un principe de proportionnalité qui régit notre comportement. Les prohibitions décrétées par l'État doivent être dans un rapport raisonnable avec la fin recherchée.

Pour quiconque participe à un grand rassemblement, l'interdiction d'être masqué est conforme à la liberté de réunion pacifique garantie par la Constitution. Par contre, l'atteinte à l'anonymat d'un manifestant est minimale. Cette restriction n'empêche pas l'exercice du droit de manifester paisiblement.

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.