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Le dernier budget québécois a soulevé des questions dans le public quant à la pertinence de verser dans le Fonds des générations des sommes qui auraient pu être affectées à d'autres fins. Certaines questions sont légitimes, mais le Fonds en soulève bien d'autres.
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Le dernier budget québécois a soulevé des questions dans le public quant à la pertinence de verser dans le Fonds des générations des sommes qui auraient pu être affectées à d'autres fins telles que la réfection des infrastructures, un meilleur soutien au développement économique ou l'atténuation de l'austérité/rigueur qui frappe différents secteurs dont l'éducation et la santé.

Ces questions sont légitimes, mais le Fonds en soulève d'autres sur le report du remboursement de la dette et sur la manière dont le gouvernement présente ses états financiers et comptables.

Le Fonds des générations a été créé en 2006 par une loi[1] qui l'affecte exclusivement au remboursement de la dette brute et qui stipule que celle-ci devra être ramenée à un maximum de 45 % du PIB en 2025-2026. La valeur marchande du Fonds était de 7,5 G$ au 31 décembre dernier, ce qui diminuait d'autant la dette nette du gouvernement.

Une fiscalité déguisée

La logique sous-jacente au Fonds est que les rendements sur les placements permettent de rembourser la dette sans effort grâce au jeu de l'intérêt composé. En poursuivant jusqu'au bout ce raisonnement, le gouvernement devrait même emprunter pour augmenter les placements dans le Fonds, ce qui permettrait d'arriver plus rapidement au remboursement intégral de la dette, voire même à abolir l'impôt et la TVQ.

Evidemment, les choses ne sont pas aussi simples en pratique. Le tableau 1 montre que les revenus de placement en provenance du Fonds ne représenteront encore dans cinq ans que le tiers des versements qui y seront effectués. Le reste proviendra de redevances sur les ressources naturelles et d'une taxe sur l'alcool ce qui revient à dire que le Fonds des générations sera encore largement assimilable à un instrument fiscal même s'il n'est pas présenté comme tel par le gouvernement.

Une rentabilité aléatoire

Selon les documents budgétaires rendus publics le 26 mars dernier, le rendement obtenu du Fonds a dépassé le coût des emprunts gouvernementaux pour 7 des 8 années écoulées depuis sa création. C'est en soi une bonne nouvelle, mais ces documents révèlent aussi qu'en 2008 le rendement négatif a été tellement important qu'il a contrebalancé en bonne partie le rendement positif des 7 autres années, de sorte que sur l'ensemble de la période le rendement positif moyen du Fonds a été de l'ordre de 1,5% par année seulement.

Ce résultat est très nettement en deçà de l'objectif de rendement annuel à long terme de 6,45% dont font état les documents budgétaires. Cet objectif s'appuie sur une politique de placement que l'on peut qualifier d'«agressive», soit un portefeuille réparti 45% en actions, 41% en obligations et dettes immobilières, et 14%, en infrastructures et immeubles.

Le tableau 1 montre que le gouvernement s'attend à des rendements positifs croissants des placements du Fonds des générations au cours des cinq prochaines années. C'est faire preuve d'un grand optimisme. En effet, le marché boursier est en hausse depuis plus de 6 ans et au cours de cette période le marché américain a généré plus de 200% de rendement et le marché canadien plus de 100%. Il est douteux que la bourse puisse continuer sur cette lancée. Non seulement la moyenne historique des cycles haussiers est-elle de l'ordre de 4 années et demi mais, selon le prix Nobel d'économie Robert Shiller, le rapport cours/bénéfices à Wall Street s'élève maintenant à 27, soit un niveau jamais atteint sauf en 1929[2]. Plus le temps passe, plus l'amorce d'un cycle baissier devient probable. Il est à souhaiter que le recul des cours ne soit pas aussi important qu'en 2008 et 2009, car la valeur du Fonds des générations s'en ressentirait lourdement de même que ses rendements.

La hausse des taux d'intérêt annoncée par la Réserve fédérale pourrait non seulement détourner les investisseurs de la bourse mais aussi affecter la valeur des placements obligataires du Fonds. Or, lorsque les taux sont presque à zéro comme c'est le cas présentement, la sensibilité des titres à la remontée des taux est à son maximum. Ainsi, une hausse des taux de 0 à 1% entraîne pour une obligation à trente ans une perte en capital de 25% soit près du double d'une hausse de 4 à 5%[3].

Ainsi, il est possible que la valeur comptable de 20 G$ qui est prévue pour le Fonds en 2019-2020 doive éventuellement être rajustée à la baisse comme la Caisse a dû rajuster à la baisse la valeur de ses actifs suite à la débâcle des papiers commerciaux adossés à des hypothèques à risque. Un tel ajustement équivaudrait à un rehaussement de la valeur de la dette du gouvernement.

Certes, un éventuel recul boursier sera suivi d'une reprise. Mais il est tout aussi certain qu'un nouveau recul lui succédera de sorte qu'il est loin d'être sûr qu'en 2025-2026 le Fonds aura atteint et conservé une valeur qui permettra de ramener la dette à 45% du PIB.

Bref, le gouvernement se comporte largement comme les entreprises privées à qui l'on reproche de se cantonner dans la financiarisation. À ce compte-là, il devrait pousser la logique spéculative jusqu'au bout et utiliser les sommes accumulées dans le Fonds pour rembourser sa dette et recommencer à placer ses surplus après le prochain recul boursier.

Un prochain billet portera sur les questions que soulève le Fonds à l'égard de la transparence et de la lisibilité des états financiers du gouvernement.

[2] Rapporté dans «Vous avez aimé la crise financière de 2008, vous allez adorer la prochaine», LenouvelEconomiste.fr, 8 avril 2015.

[3] Selon les propos de Christophe Nijdam de Finance Watch, ibid.

Ce billet a aussi été publié sur Libres Échanges, le blogue des économistes québécois.

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