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Choisir l'intégration, pas l'intégrisme

RÉTRO 2013 - Plutôt que de prohiber des symboles, il faut s'en prendre directement aux diverses manifestations concrètes de l'oppression, de la discrimination et de l'inégalité - à l'égard des femmes, bien sûr, mais aussi à l'égard des minorités religieuses ou ethniques, surtout les nouveaux arrivants. La recherche scientifique indique que la mixité sociale, l'accès égalitaire à l'emploi et le respect de la différence sont tous essentiels pour favoriser l'intégration.
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Cette lettre est signée par 29 professeurs, chercheurs et cliniciens spécialisés dans le domaine des relations interculturelles et de l'immigration, dont plusieurs sont des experts de renommée internationale (voir la liste des cosignataires à la fin du texte).

Une des figures de proue actuelles de la lutte pour l'égalité des femmes est Malala Yousafzi, une jeune Pakistanaise qui, à 15 ans, s'est fait tirer une balle en plein visage par un milicien taliban parce qu'elle s'insurgeait contre l'intégrisme et défendait le droit des filles à l'éducation. Loin de se laisser intimider, elle continue courageusement son combat pour l'égalité, incarnant la résistance contre l'oppression des femmes et l'obscurantisme religieux.

Mais si la Charte des valeurs québécoises est adoptée, Malala n'aurait pas le droit de travailler dans le secteur public québécois. Elle serait écartée de tout emploi dans nos universités, cégeps, écoles, hôpitaux, CLSC, municipalités et au gouvernement provincial.

C'est que Malala porte le voile, par choix, bien qu'elle habite maintenant en Angleterre. Et elle affirme que sa foi musulmane l'inspire dans sa lutte pour l'accès égalitaire des filles à l'éducation. On est bien loin du stéréotype de la femme soumise.

Le cas de Malala nous rappelle que les symboles identitaires comme le voile peuvent être investis de significations multiples. Pour elle, le voile symbolise son adhésion aux aspects les plus progressistes de l'islam, tels la valorisation de la connaissance et la compassion envers son prochain. À l'inverse, pour son agresseur, partisan d'un islamisme politique rétrograde, il est un instrument de domination patriarcale.

Depuis une quinzaine d'années, nous sommes submergés d'images négatives de l'islam, constamment associé au terrorisme, à l'intégrisme et l'oppression des femmes. Ces stéréotypes réducteurs sont tellement omniprésents qu'ils nous influencent sans même que l'on s'en aperçoive. Dans le débat actuel sur la Charte, par exemple, la femme voilée est souvent présentée comme une victime et son mari ou son père, comme un bourreau. Elle est également décrite comme un vecteur de contamination idéologique, porteuse d'une doctrine insidieuse de soumission des femmes, dangereuse au point qu'elle ne doit pas être en contact avec des enfants. Janette Bertrand a été jusqu'à dire qu'elle ne voudrait pas être soignée par une médecin voilée, de peur que « dans sa religion, qu'on ne soigne pas autant les femmes que les hommes, qu'on laisse partir les vieux plus vite ». C'est navrant de voir cette pionnière de la lutte pour l'égalité des femmes propager des préjugés aussi blessants envers des femmes d'une communauté minoritaire.

Sans nier qu'il existe des courants rétrogrades au sein de l'islam, il faut reconnaître qu'ils ne sont pas représentatifs des croyances et pratiques de la plupart des musulmans. Au Québec notamment, la vaste majorité de la communauté musulmane, instruite et bien intégrée, s'oppose fermement à l'intégrisme.

Il y a trois principaux cas de figure chez les femmes musulmanes potentiellement affectées par l'interdiction des signes religieux dans le secteur public. Le premier, c'est la femme qui porte le voile par choix personnel, en toute liberté, comme affirmation de sa foi ou de son identité culturelle. Lui interdire l'exercice de sa liberté, supposément pour son bien, relève d'un paternalisme profondément méprisant.

Le deuxième cas de figure est celui de la femme qui porte le voile sous l'effet de pressions familiales, voire de la contrainte. L'interdiction de porter le voile risque de marginaliser de telles femmes, peut-être même de les obliger à quitter leur emploi. Du coup, elles seront plus isolées, plus vulnérables et moins en mesure de résister aux pressions familiales. Au contraire, il faudrait plutôt leur offrir un accueil chaleureux et sans jugement afin de bâtir un lien de confiance et pouvoir les soutenir si elles souhaitent se libérer de la contrainte.

Le troisième cas de figure est celui de la femme qui a intériorisé une vision conservatrice et inégalitaire des rapports hommes-femmes. De telles femmes risquent de se sentir stigmatisées et rejetées par la société québécoise, diminuant d'autant leur désir d'intégration et renforçant la tendance au repli sur les aspects plus conservateurs de la culture d'origine.

De nombreuses études en Europe et en Amérique du Nord indiquent que la « discrimination collective perçue » est associée à une augmentation de la pratique religieuse chez les immigrants, notamment les musulmans. Dans des sociétés d'accueil majoritairement séculaires, les immigrants tendent généralement à se séculariser, surtout à compter de la deuxième génération. Cependant, lorsqu'ils se sentent stigmatisés par un discours public hostile, il y a une tendance accrue à chercher dans la religion et la culture d'origine un sentiment d'appartenance et de fierté. Au lieu de favoriser l'intégration, le discours anti-musulman amène souvent un repli défensif vers l'identification religieuse. Dès lors, le voile peut devenir symbole de résistance à l'hostilité de la majorité.

La proposition du gouvernement Marois d'interdire des signes religieux dans le secteur public, loin de favoriser l'intégration et le respect des minorités, érige la discrimination en système. Le crucifix porté au cou est arbitrairement défini comme « non ostentatoire » à condition d'être discret. À l'inverse, les signes religieux de trois communautés minoritaires - musulmane, sikh et juive - sont tout aussi arbitrairement définis comme « ostentatoires » et donc prohibés. Deux poids, deux mesures. Une règle pour la majorité chrétienne, qui conservera le droit de porter des signes religieux visibles, et une autre pour des membres de minorités religieuses. C'est de la discrimination systémique flagrante.

Face à ces mesures, bien des membres de communautés culturelles minoritaires se sentent ciblés, rejetés, exclus. C'est notamment le cas de nombreux individus musulmans, sikhs ou juifs, nés au Québec ou établis ici depuis des années, ayant des convictions religieuses modérées, ou encore des non-pratiquants, bien intégrés, qui contribuent à la société québécoise en tant que professeurs d'université, enseignants, médecins, infirmières, et de tant d'autres manières.

Il est essentiel de chercher des solutions qui respecteront l'ensemble des droits en jeu, notamment la liberté d'expression et de conscience; l'égalité hommes-femmes; la laïcité et la neutralité de l'État; et la protection contre la discrimination, plus particulièrement pour les minorités culturelles. Tous ces droits sont fondamentaux et l'on ne doit pas sacrifier l'un au profit de l'autre. Depuis 2008, la Charte québécoise des droits et libertés assujettit l'exercice de tous les droits et libertés au respect de l'égalité hommes-femmes, ce qui réduit sensiblement le risque que la liberté de religion puisse être invoquée au soutien de pratiques misogynes.

Plutôt que de prohiber des symboles, il faut s'en prendre directement aux diverses manifestations concrètes de l'oppression, de la discrimination et de l'inégalité - à l'égard des femmes, bien sûr, mais aussi à l'égard des minorités religieuses ou ethniques, surtout les nouveaux arrivants. La recherche scientifique indique que la mixité sociale, l'accès égalitaire à l'emploi et le respect de la différence sont tous essentiels pour favoriser l'intégration. Accueillis chaleureusement, les immigrants tendent généralement à adopter graduellement les valeurs et coutumes de leur nouvelle société d'appartenance, sans nécessairement renoncer à la richesse de leur culture d'origine. À l'inverse, l'exclusion favorise le repli identitaire et parfois l'intégrisme. Le choix est clair.

Cette lettre est cosignée par: Janet Cleveland, psychologue et chercheure, Équipe de recherche et d'intervention transculturelles, CSSS de la Montagne; Pierre Anctil, professeur titulaire, Département d'histoire, Université d'Ottawa; Gabrielle Bélanger-Dumontier, coordonnatrice de projet, Équipe de recherche et d'intervention transculturelles, CSSS de la Montagne; Prudence Bessette, psychologue et chargée de cours, Département de psychologie, UQAM; Pierre Bosset, professeur de droit public, Département des sciences juridiques, UQAM; Richard Y. Bourhis, professeur titulaire, Département de psychologie, UQAM; Nicole Carignan, professeure titulaire, Département d'éducation et formation spécialisées, UQAM; Éric Charest, professeur en gestion des ressources humaines, École nationale d'administration publique (ÉNAP); Roxane De La Sablonnière, professeure agrégée, Laboratoire sur les changements sociaux et l'identité, Département de psychologie, Université de Montréal; Eugénie Depatie-Pelletier, coordonnatrice du réseau de recherche sur les travailleurs migrants du CÉRIUM/REDTAC-(im)migration; Paul Eid, professeur, Département de sociologie, UQAM; Jaswant Guzder, Chef de la pédopsychiatrie et directrice de l'Hôpital de jour sur les maladies infantiles, Hôpital général juif et professeure agrégée, Département de psychiatrie, Université McGill

Denise Helly, professeure titulaire, Centre Urbanisation Culture Société, Institut national de recherche scientifique (INRS); Janique Johnson-Lafleur, professionnelle de recherche, Équipe de recherche et d'intervention transculturelles, CSSS de la Montagne; Laurence J. Kirmayer, professeur titulaire de la chaire James McGill, directeur de la Division de psychiatrie transculturelle et sociale, Université McGill, et directeur de l'Unité de recherche sur la culture et la santé mentale, Hôpital général juif; Audrey Laurin-Lamothe, doctorante, Département de sociologie, UQAM; Josiane Le Gall, professeure associée, Département d'anthropologie, Université de Montréal et chercheure, CSSS de la Montagne; Bronwen Low, professeure agrégée, Département d'études intégrées en éducation, Université McGill; Anousheh Machouf, psychologue, Équipe de recherche et d'intervention transculturelles, CSSS de la Montagne; Alain Mignault, chercheur indépendant en psychologie; Géraldine Mossière, professeure adjointe, Faculté de théologie et de sciences des religions, Université de Montréal ; Gérard Pinsonneault, fonctionnaire retraité, ancien directeur de la recherche au ministère de l'Immigration et des communautés culturelles du Québec; Annie Pontbriand, professionnelle de recherche, Équipe de recherche et d'intervention transculturelles, CSSS de la Montagne; Damaris Rose, professeure titulaire en géographie urbaine et sociale, Université INRS - Centre Urbanisation Culture Société; Louis Rousseau, professeur associé, Département de sciences des religions, UQAM; Mela Sarkar, professeure associée, Département d'études intégrées en éducation, Université McGill; Mélanie Vachon, professeure, Département de psychologie, UQAM; Michèle Vatz-Laaroussi, professeure, École de travail social, Université de Sherbrooke; Lorin J. Young, médecin, résidente en psychiatrie.

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