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Charlie Hebdo: fusion et confusions après le massacre

Les grands élans émotionnels ont leur vertu: ils agissent comme pansement et consolation après le drame. Ils ont un tort: ils font illusion et «l'après Charlie» n'y déroge pas.
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On ne me fouettera jamais pour avoir écrit ce texte. Raif Badawi, lui, a été condamné à 1000 coups de fouet et 10 ans prison pour avoir blogué.

Les grands élans émotionnels ont leur vertu: ils agissent comme pansement et consolation après le drame. Ils ont un tort: ils font illusion et « l'après-Charlie » n'y déroge pas. Tous les unanimes « je suis Charlie » ou « nous sommes un peuple » ont du être revus à la baisse devant les refus de la minute de silence par un certain nombre d'élèves et les nombreux « je ne suis pas Charlie » ont aussi apporté un démenti dans cette grande fusion. Personne ne s'est avisé à proposer un « je suis Juif » dans des classes du 9-3. Le test aurait été intéressant. Désormais ce sont les « je suis Gaza » qui fleurissent sur la toile.

Il faut donc penser « l'après ». Bien évidemment, mais pour penser cet « après » il faudrait alors être capable d'effectuer un retour sur soi, capable de développer un regard critique sur ce qui a permis non seulement à ces jeunes Français de devenir des islamistes tueurs mais aussi analyser les constructions intellectuelles qui les ont entourés.

Il est surprenant par exemple de retrouver dans le numéro spécial de Libération, la signature d'Etienne Balibar, grand pourfendeur de tous les méfaits passés, présents et à venir de l'Etat d'Israël, dire sa leçon avec la même assurance : « lucidité particulière, mais sans réticence (...) communauté n'est pas sans exclusive (...) les épisodes les plus sinistres de notre histoire (...) boucs émissaires de nos peurs (...) séduits par la prose de Houellebecq (...) une saine provocation (...) imprudents (...) le sentiment d'humiliation de millions d'hommes déjà stigmatisés (...) politiques sécuritaires mises en œuvre par des Etats de plus en plus militarisés...»

Pas un mot sur la part spécifiquement antijuive des crimes du magasin casher. Tant d'aveuglement idéologique et tant de contre-vérités émises par l'éminent philosophe font que le doute sur sa lucidité sans réticence s'impose. Autre perle tirée du journal des lecteurs de Marianne, « Indignez vous ! Merci monsieur Stéphane Hessel ! » écrit un lecteur. Oui vraiment merci à celui qui est allé à Gaza, accompagné de Régis Debray, serrer la main du chef du Hamas et encore merci à ce saint homme qui affirmait devant des lycéens, en France, que les roquettes tirées sur Israël étaient d'innocents jouets pour enfants.

Le Point n'est pas en manque de confusion quand François Kersaudy y écrit au sein d'une longue analyse censée décrypter le moment présent : "S'il est vrai que le fanatisme islamiste a tué bien plus de musulmans que de juifs et de chrétiens, il est également vrai que le fanatisme juif a assassiné autant de musulmans que de chrétiens et de juifs - depuis le comte Folke Bernadotte jusqu'au premier ministre Yitzhak Rabin." Des précisions monsieur Kersaudy ! De quoi parlez-vous ? De Der Yassine, du King David, de l'Irgoun ? Et vous êtes sérieux en mettant cela sur le même plan que Boko Haram ou le 11-Septembre ? Ce souci de l'équilibre met à mal la volonté prétendue de « sortir de l'angélisme ». Le pompon revient à la couverture de l'Obs qui n'est plus « nouvel » mais qui radote: « Continuons le combat ! » Il ne manque juste que « ce n'est qu'un début ! ». Image de la statue, place de la République. Ah ! Mai 68 ! De quel combat s'agit-il ? Le seul qui ait été mené fut celui de la police contre les tueurs et non pas celui des Indignés hesselliens.

« Pas d'amalgame », « ne pas stigmatiser », bien sûr, mais qui en a fait et qui continue à en faire ici et maintenant ? Qui a tué et qui a été tué ? « Qui tue qui », comme s'interrogeait déjà la pensée progressiste durant les massacres commis par le GIA en Algérie. Le 20 janvier 1976, pendant la guerre civile libanaise (1975-1990) les habitants chrétiens de Damour (Liban) furent massacrés par les milices palestiniennes suite au massacre de Karantina du 18 janvier 1976 perpétré contre des civils palestiniens par les phalangistes chrétiens libanais. Pourtant cette réalité ne fut pas considérée et seuls les « palestino progressistes » du village de Tal el Zaatar (août 1976) massacrés par les chrétiens avec l'aide des Syriens de Hafez el Assad eurent droit aux hommages de la gauche de gauche qui voyait dans ce conflit une guerre d'Espagne orientale. Qui se souvient de Elie Hallak, médecin juif libanais kidnappé en même temps que Jean Paul Kauffman et Michel Seurat et assassiné par les islamistes libanais parce qu'il était juif ET libanais. Qui eut une pensée pour ce médecin des pauvres qui soignait indistinctement TOUS les libanais? A-t-on noté à l'époque la part intimement raciste de ce crime ? Pourquoi ces rappels ? Tous les ingrédients du drame qui vient de se dérouler à Paris étaient déjà en germe dans ce passé.

On ne peut rien y comprendre en faisant l'économie de ce qui, dans l'imaginaire collectif, a enveloppé l'interminable conflit israélo-arabe. Il a nourri en France les représentations des « Juifs » et des « Arabes ». La figure du Juif-victime sorti des camps en 1945 a muté en 1967, en celle du Juif-vainqueur, puis en occupant impérialiste et raciste, tandis que l'Arabe, fellagha en 1954 est devenu Résistant dès la fin des années 70. Cette Résistance substitutive s'invente des Jean Moulin : « Geismar-Arafat Résistance » titrait la Cause du peuple. Avec la Seconde Intifada (2000), le renversement s'achève: le juif/Israélien/sioniste est devenu un colon/raciste/nazi pourchassant le Palestinien FFI/FLN/OLP.

Le soutien à ce juif de substitution qu'est le Palestinien-victime sert de rédemption commode pour les Européens soucieux d'éponger la culpabilité de la Shoah, sans oublier bien sûr ceux qui disent que la Shoah est une escroquerie juive et ceux qui viennent souffler que « la terre d'Israël fut inventée ». Les morts de Charlie ne le furent pas que pour leurs sarcasmes contre les religions et Mahomet en particulier. Leur assassinat est un aboutissement, pas uniquement le produit de la relégation sociale des « jeunes des quartiers ».

La haine que leurs mentors leur avaient injectée s'appuyait AUSSI sur une légitimation politique. Les Juifs étaient la représentation du méchant, du MAL, de celui qui fait subir aux Palestiniens ce que les nazis leur avaient fait subir. Les frères Kouachi et Coulibaly n'ont surement pas lu Edgard Morin, mais la pensée « complexe » de Morin a sa part dans la nazification d'Israël et des Juifs. Quand dans les rues de Paris défilaient des banderoles abjectes affichant un signe = entre la croix gammée et l'étoile juive, en soutien à la flottille de « pacifistes turcs » vers Gaza, c'est le produit de cette bouillie intellectuelle qui s'affichait.

La politique d'Israël a le droit d'être critiquée, mais la haine obsessionnelle qui entoure ce pays dit autre chose que la critique d'une politique. Il faut croire que la lucidité politique n'est pas à chercher du côté des intellectuels de gauche français, mais bien plutôt de ces intellectuels du Maghreb qui eux savent à qui ils ont à faire : Kamel Daoud, Boualem Sansal, Mohamed Kacimi, Fethi Benslama, Abdelwahab Medeb, Abdenour Bidar et tant d'autres qui ont déjà payé du prix du sang leur refus de la nuit islamiste. C'est avec eux que nous devons penser l'avenir.

Puisqu'il est question de tout repenser et que « rien ne doit plus être comme avant », commençons par regarder de près tous les préjugés, tous les clichés et tous les dénis idéologiques des réalités gênantes. Très bonne résolution.

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