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On la veut universelle cette liberté d'expression, et on la croit bien établie en Occident. Mieux encore, on en souhaite le triomphe dans les États dictatoriaux. Sommes-nous bien sûr que cet acquis, en Occident même, est universel et pérenne?
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On la veut universelle cette liberté d'expression, et on la croit bien établie en Occident. Mieux encore, on en souhaite le triomphe dans les États dictatoriaux. Sommes-nous bien sûr que cet acquis, en Occident même, est universel et pérenne?

Dans un collège privé et catholique, tout jeune professeur alors, je lançai un jour un débat sur la sexualité à la suite d'un article de journal, relayé par le bulletin de l'école, où on relatait «la catastrophe de la liberté sexuelle en Suède». Tous s'ameutèrent. Le journal s'arrachait des mains et les curés professeurs-théologiens montèrent à l'assaut pour écrire, outrés: «le péteux est entré à l'école!». Pour ce prêtre, la sexualité humaine se résumait à une flatulence. Un professeur de psychologie, curé défroqué de son état et vivant maritalement avec une dame, se désengagea vite de la polémique. Il me dit: «J'arrête ce débat; tu ne sais pas de quoi ils sont capables». Il craignait pour son emploi et pour le mien.

L'incident n'est pas innocent, ou marginal. En toute école, ce mal-être à l'égard de la liberté d'expression sévit. La liberté d'expression fait peur aux conservateurs (ils n'aiment pas penser, mais contrôler) tout en étant absolument nécessaire pour tout citoyen (il aime penser et sans contrôle).

Par ailleurs, j'ai entendu à Radio-Canada un journaliste français réputé, au discours cartésien pourtant bien affûté, dire cavalièrement: «Alain Minc, Harlem Désir, sont des cons». Propos déplorables et indignes. Georges Brassens a pourtant écrit une magnifique chanson pour nous exhorter à ne jamais utiliser une partie de l'anatomie féminine, si désirée..., comme injure. C'est un double outrage: du projectile comme du visé. La liberté d'expression, on le voit, est menacée de deux côtés: la haine du discoureur indiscipliné et celle du censeur conservateur. Par exemple, nos journaux municipaux, sous la responsabilité de la municipalité, sont de vraies Pravda! Il n'y a jamais aucun débat, ou espace réservé au débat.

Aux États-Unis, tout citoyen peut appeler tous les autres à prendre les armes contre son propre gouvernement. Le grand Thomas Jefferson l'a voulu ainsi. En revanche, sous une dictature, presque tout est sévèrement contraint; par exemple, on flagorne le roi marocain quand on émet la moindre critique qu'on déguise en souhait quémandeur pour en atténuer le danger. Ici, en Occident, ce n'est pas tant sur la politique et sur l'économie que la liberté d'expression peine à s'épanouir. C'est sur la sexualité et la religion. Plus encore cette dernière que sur la première, car elle a réussi à force de répressions à se constituer vérité historique et vérité morale... Or pour déboguer l'esprit, outre lire les bons historiens, il faut distinguer la personne et l'opinion.

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Les affiches choc de Reporters sans frontières

Toute personne a droit au respect; elle est en fait sacrée au sens séculier du terme (valeur suffisamment forte pour qu'on la défende). En revanche, l'opinion n'a droit à aucun respect, fût-elle vraie, sensée et généreuse. Elle n'est pas une personne. Elle est susceptible non seulement de critique, mais aussi de condamnation et de rejet.

Le problème commence quand une personne s'identifie à son opinion, comme de nombreux croyants, notamment les plus conservateurs d'entre eux. Ils s'identifient à leur croyance ou érigent leur croyance au statut de personne. En fait, ils défendent leur capital qui est l'opinion religieuse dont ils nourrissent leurs fidèles clients (ou clients fidèles). Nous entrons dans «le crime de sacrilège» que veulent faire entrer - les conservateurs religieux musulmans, notamment - dans la Charte des droits de l'homme de l'ONU. En fait, ils en veulent aux Lumières, rédactrices de ces chartes, d'en avoir évincé leur religion.

Ils oublient que c'est justement contre les pouvoirs autocratiques des religions que sont nés, non seulement la Renaissance (au 16e siècle) et les Lumières (au 18e), mais tout le monde moderne. Le concept même de laïcité ne serait pas apparu dans l'Histoire si n'eût pas existé et sévi, depuis 2000 ans, le totalitarisme religieux contre la liberté d'expression et autres droits et libertés.

Si, sur Twitter et Facebook, la liberté d'expression semble absolue, elle ne concerne surtout que la vie privée. Elle n'est pas présente dans les grands médias. Radio-Canada est aussi soumise au gouvernement conservateur qu'elle l'était naguère au gouvernement libéral. Cela se sent pour qui a le nez fin. Le populisme droitiste sévit en d'autres médias. Et «la liberté de penser», affichée par certains à la une tous les jours, est une farce qui nous prend pour des imbéciles. Or ces grands médias façonnent encore l'opinion publique, plus encore que les médias sociaux qui sont fort éparpillés.

L'action grandissante des médias sociaux, heureuse à mon avis, ne fera que s'élargir. À cette fin souhaitable, il faudra aussi en eux que fleurisse «l'amitié citoyenne» dont parlait Cicéron. Ce républicain philosophe paya de sa gorge tranchée et de ses deux mains coupées (exhibées sur la place publique) pour que la liberté d'expression ait son plus grand héros historique. Ses émules - Diderot, Victor Hugo, Zola, Arthur Buies et Jean-Charles Harvey - sont en quelque sorte nos mânes... tout athées que nous sommes. Par leur exemple, seule la sincère, totale et respectueuse liberté d'expression fera de nous des citoyens bien informés. Plus encore, des voix authentiques et reconnues.

PS : J'en profite ici pour remercier et rendre hommage, sans flatterie, au Huffington Post Québec qui m'ouvre ses pages pour la première fois en ce jour même.

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