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Une «Charte des valeurs québécoises» ou une «Charte de la laïcité»?

En conclusion, une «Charte de la laïcité» s'impose; une «Charte des valeurs québécoises» sera un marais. Si l'Assemblée nationale donne à la «Charte de la laïcité», pour des raisons rassembleuses, le nom de «Charte des valeurs québécoises», cette dernière devra, pour faire disparaître son illogisme apparent, veiller à ce que son contenu soit impeccablement laïc.
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Wikimedia Commons / Christophe Finot

Allons-nous encore rater le train de la modernité? Il nous faut donc vraiment réfléchir sur la portée des deux formes de Charte qui sont (ou ont été) évoquées à Québec.

Une «Charte de la laïcité» québécoise pourrait devenir un modèle pour tous les pays du monde. En outre, elle règlerait de nombreux problèmes. Chaque croyance à sa place, et la liberté pour tous.

En revanche, une «Charte des valeurs québécoises» n'intéresserait que nous. Imaginons comment nous serions peu interpellés par une charte des valeurs américaines, saoudiennes ou africaines. Pire, une «Charte des valeurs québécoises» risquerait de nous couvrir de ridicule, car elle aurait l'air plutôt passéiste, exclusive, voire chauvine.

Nous avons donc le choix: le ridicule ou la modernité. Bien sûr, rien n'est aussi tranché, mais l'inflexion soit vers la consolidation du passé (Charte des valeurs québécoises), soit vers la modernité d'ouverture et d'avenir (Charte de la laïcité), serait inéluctable.

En fait, une charte aux effets puissants et réglant les vrais problèmes doit contenir les valeurs universelles (déjà promulguées ailleurs) et d'autres valeurs plus récentes et universalisables. Voilà le point: sommes-nous capables, nous les Québécois, d'identifier et promouvoir des valeurs contemporaines et nouvelles, capables d'être une fierté pour nous et un modèle pour les autres nations?

Quand on pense à des valeurs uniquement québécoises, nous sommes portés à pointer non des valeurs, mais des goûts et des traits de caractère. Dans ce cas, la Charte québécoise deviendrait plus un miroir qu'un texte juridique crédible et utilisable. Si l'originalité du peuple québécois est forte et déjà reconnue, il n'a pas encore inventé - comme la plupart des peuples sur terre - une valeur originale et reconnue, car c'est un exploit rarissime.

Si les traditionalistes veulent dans une charte inscrire des faits d'histoire, tels le christianisme, le nationalisme, le libéralisme, la social-démocratie, voire l'entreprise libre ou le syndicalisme, nous ne sommes plus dans le registre des valeurs, mais dans celui d'une description anthropologique.

Des valeurs sont des objectifs assignés à tous, objectifs de vie en société qu'on est prêt à promouvoir avec vigueur, à les rendre obligatoires et intangibles, ainsi qu'à les défendre avec toute la force, pacifique de préférence, dont on est capable.

Or aucune caractéristique ou trait religieux, ni même social ou économique, sociologique ou institutionnel, ne peut tenir ce rang de valeur universelle. L'entreprise capitaliste s'oppose à l'entreprise coopérative, etc. Même l'Assemblée nationale (une institution) ne peut faire partie des valeurs universelles puisqu'elle pourrait être remplacée par une démocratie directe exercée depuis le web.

Par ailleurs, la démocratie et la liberté sont des valeurs, de même que l'égalité homme-femme, etc. Elles valent pour tous. Cela ne signifie pas que tous les partagent (des néonazis les contestent), mais nous décidons qu'elles s'imposeront à tous par la puissance de la loi.

La laïcité fait-elle partie des valeurs universelles? Certains la contestent en souhaitant une société chrétienne ou fidèle aux valeurs chrétiennes. D'autres souhaitent même une société compartimentée par des communautarismes reconnus comme au Liban ou en Syrie. Est-ce raisonnable? Puisque des sociétés démocratiques laïques, voire non chrétiennes (comme la Turquie), sont possibles et existent ailleurs, la laïcité est une valeur possible au Québec.

Existe tout de même une curiosité: l'explicite Bill of Rights du grand Thomas Jefferson, un politicien un tantinet ratoureux puisqu'il en appelle au Créateur... Mais il avait bien pris soin, dans les faits, de laïciser sa Constitution qui chapeaute en plus une société largement croyante.

Le christianisme et ses valeurs spécifiques ne peuvent pas dès lors faire partie, ni d'une «Charte des valeurs québécoises» ni, a fortiori, d'une «Charte de la laïcité, car une charte est un texte légal contraignant, et la croyance est affaire individuelle, voire existentiellement intime.

Soulignons aussi qu'un grand nombre de valeurs tout à fait sociales, historiques et morales, insérées dans les crédos religieux au cours de l'Histoire, telles la charité, la bonté, le pardon, la sollicitude, etc., n'appartiennent pas spécifiquement aux religions, mais bien à la morale sociale construite par une société et un État. Aristote l'avait déjà reconnu: l'éthique (éthos) d'un peuple (démos) dérive de ses moeurs (ethnos).

Si nous souhaitons une démocratie théocratique chrétienne ou aux valeurs spécifiquement chrétiennes, ce désir n'est plus possible aujourd'hui puisque d'autres philosophies (hédoniste, scientiste, rationaliste, ect.) ont, depuis les Lumières, supplanté le christianisme et ses institutions politiques et juridiques de droit divin.

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En fait, les valeurs des crédos anciens ne sont plus inclusives puisque la violence et l'intimidation ne peuvent plus être à leur service; ce sont les citoyens qui doivent être souples et adaptatifs aux valeurs universelles, sinon c'est l'ego métaphysique de tout un chacun qui s'imposera. Il gruyérisera la culture commune. En plus, les citoyens doivent être juridiquement intouchables par les prétentions des crédos anciens (les trois religions révélées), ou loufoques et spontanés (Raël, la Scientologie, Moon, Jones et d'autres).

L'habillement, les signes ostentatoires et autres objets distinctifs liés aux croyances religieuses doivent demeurer dans la sphère privée. Tout comme le sont les comportements liés à la morale sexuelle de chacun, les modes vestimentaires et les formes infinies engendrées par l'unicité du caractère de chacun. Cette exigence sévère, à l'égard des religions spécifiquement, existe pour protéger l'État du prosélytisme absolutiste inhérent à toute religion. La paix culturelle et un véritable patrimoine de valeurs communes sont à ce prix et à ces conditions.

Ainsi, le christianisme et les autres religions sont relégués à la sphère privée. Ils doivent y demeurer en vue de l'ordre public, tout comme les autres activités privées qui ne sont pas universalisables ou ne font pas l'unanimité. Si une religion est niée par d'autres religions, si l'athéisme nie toute religion, il s'ensuit que la religion et ses choix moraux spécifiques n'ont pas une valeur universelle, ni même québécoise. Et la laïcité n'est pas l'athéisme pour autant; elle ordonne la mise entre parenthèses par l'État du choix métaphysique, réservé exclusivement à la vie privée.

Que le christianisme fasse partie de notre histoire est un argument vain. L'Histoire relate des faits, mais ne justifie rien. Voilà pourquoi le communisme et le tsarisme ont été exclus de la toute récente modernité russe, de même le fascisme dans les pays où il a sévi.

En plus, des valeurs religieuses dans la Charte viendraient contredire des éléments de la «Charte québécoise des droits et libertés» (1975), notamment le droit à l'orientation sexuelle et à l'avortement.

Plus encore, ces valeurs religieuses donneraient lieu à une foire d'empoigne sur les soins en fin de vie, sur la pilule contraceptive aux adolescents, sur les contenus scolaires, sur le calendrier, l'espace urbain, la cuisine des restaurants. Elles engendreraient des revendications ingérables. La boîte de Pandore était déjà connue du temps de la mythologie grecque. Il faut s'en rappeler.

Enfin, des accommodements religieux et ethniques de toute provenance, insérés dans une «Charte des valeurs québécoises» pour faire rassembleur, viendraient gruyériser le tissu culturel québécois. Ils affaibliraient les valeurs communes en les relativisant et en les contextualisant.

En effet, ces accommodements veulent se justifier par des crédos qui doivent impérativement ne relever que des choix individuels. Les immigrants ne sont pas venus ici pour le christianisme, ni même pour leur propre religion, mais pour la liberté et pour la qualité matérielle et culturelle du Québec, son fabuleux espace de liberté physique et géographique, propulsant notre québécitude libertaire aux plus vertigineux sommets du progrès humaniste occidental.

Quant aux quelques intégristes catholiques québécois, ils sont conviés, en toute amitié citoyenne, à faire leur deuil d'un triomphalisme d'antan et d'une anthropologie surannée. Ce deuil fait partie de l'adaptabilité exigée par la société moderne.

La plupart des grandes valeurs sont apparues dans l'Histoire avant même l'apparition des religions. En effet, elles prennent leur origine dans la famille et dans ses exigences de solidarité et de bon ordre.

En fait, les grandes valeurs portées et défendues par les démocraties occidentales sont sécularisées, laïcisées, bref universelles, et depuis assez longtemps. La démocratie, toute québécoise qu'elle soit par le territoire qu'elle occupe, semblable aux autres démocraties occidentales en presque tous ses traits, ne peut qu'être laïque. Elle sera ainsi québécoise de meilleur aloi.

En conclusion, une «Charte de la laïcité» s'impose; une «Charte des valeurs québécoises» sera un marais.

Si l'Assemblée nationale donne à la «Charte de la laïcité», pour des raisons rassembleuses, le nom de «Charte des valeurs québécoises», cette dernière devra, pour faire disparaître son illogisme apparent, veiller à ce que son contenu soit impeccablement laïc.

«Impeccable» signifie ici: sans aucun trou par où pourraient s'infiltrer les croyances d'une autre époque, et qui nous exposerait ainsi à la risée universelle et aux querelles sans fin.

Que soit donc promulguée, sans ambiguïté, une «Charte de la laïcité» digne du peuple québécois et garant de son avenir paisible!

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