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Le côté obscur de la social-démocratie

Aujourd'hui, le système de santé est en majeure partie public. Et on tente de toutes les façons de le morceler, de le parcelliser, de casser son universalité.
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Pour beaucoup de salariés au Québec, un jeudi aux deux semaines signifie jour de paie, où on reçoit sa rémunération pour un travail rendu. Dans mon cas, depuis deux semaines, ça signifie jour d'organisation de la privatisation du réseau public de services sociaux et de santé.

Le 4 février, c'était aux HÉC que l'on colloquait en conjuguant privé et public. Cette semaine, le 18, c'était à l'École des sciences de la gestion (ÉSG) de l'UQAM qu'on débattait plutôt complémentarité entre coopératives de santé et système public.

Fallait-il y voir un symbole de cette université populaire ? L'un des conférenciers, M. Benoit Caron, directeur général de la Fédération des coopératives de soins à domicile et de santé, semblait le croire quand il a déclaré que les coopératives de santé «contrairement à ce qu'on croit, ce n'est pas de la privatisation !»

À preuve : quand vous vous y faites soigner, «vous sortez votre carte soleil et les services sont gratuits... Là où il manque de services et où émerge une coopérative de santé, ça peut éviter la privatisation.» Je ne sais pas qui il croyait rassurer ainsi.

Il a aussi expliqué que ce n'était pas pour voir un médecin que les gens payaient en moyenne au Québec 70 $ par année, mais pour les infrastructures, qui appartiennent à la coop et non aux médecins.

Un autre conférencier, le Dr Michel Bureau, sous-ministre, a pour sa part rappelé qu'il était le dixième enfant d'une famille de douze, sociaux-démocrates au départ, et que son père allait participer une fois par mois au C. A. de la Caisse populaire. Il a parlé de son étonnement, à son arrivée au ministère, de constater que l'idée de coopérative de santé y soit absente. J'aurais bien voulu lui dire qu'il aurait pu considérer notre système public un peu comme une immense coopérative de santé dont les membres sont tous les citoyens du Québec ; que les infrastructures de ce réseau n'appartiennent pas aux médecins, mais à tous les citoyens ; que c'est aussi la raison pour laquelle nous payons une part sociale, à la différence qu'elle est déterminée en fonction de notre revenu à travers nos impôts ; mais bon, ce n'était peut-être pas important de faire la comparaison...

Jean-Pierre Girard, chercheur et expert-conseil international en entreprises collectives, nous a expliqué à son tour que l'ONU a recensé 50 pays où on peut trouver le modèle coopératif de santé. Il nous a rappelé que même ici, dans les années 1960, nous avions eu notre vague de cliniques populaires, dont il ne reste que celle de Pointe-Saint-Charles. Il nous a listé les pays qui utilisent et reconnaissent formellement les coops comme pouvant livrer des services de santé, et en a conclu qu'il y avait là «matière à grande inspiration». Il nous a aussi appris qu'en 2016, en Amérique du Nord, le Québec est le seul endroit où les citoyens ne peuvent avoir une coopérative propriétaire d'une pharmacie. Selon lui, c'était de la concurrence déloyale.

Le Dr Yves-Laurent Godbout, médecin omnipraticien dans une Coopérative de solidarité santé, nous a, pour sa part, parlé de l'histoire de sa coop et de ses bons coups.

Était également invité Damien Contandriopoulos, professeur agrégé à la Faculté des sciences infirmières de l'Institut de recherche en santé publique de l'Université de Montréal (IRSPUM). «Pour mettre un peu de sel dans le débat», a mentionné l'animatrice Marie Grégoire, ex-députée adéquiste.

«Pour mettre quelques cheveux dans la soupe», a corrigé Damien.

Il a débuté avec une réponse à la question: comment les coops de santé peuvent-elles s'inscrire comme complément ou solution au système de santé public ? «C'est simple», a-t-il dit courtement, «elles ne le peuvent pas !», ce qui a transformé les quelques cheveux dans la soupe en... perruque ! Magie !

Cette entrée en matière a figé l'assistance dans un silence qui n'a été trahi que par mon éclat de rire.

Le reste de son intervention a consisté à expliquer à quel point tout cela était une très mauvaise idée, ne serait-ce que sur la question du financement.

«La santé, c'est comme la justice, la police, etc., c'est un bien particulier qu'on ne paie pas comme on s'achète des allumettes. On veut que nos services et soins de santé soient payés par le biais d'assurances, idéalement d'assurances publiques et universelles, comme ce qu'on a au Québec pour la majorité des soins. Le paiement direct par les utilisateurs de soins est une authentique mauvaise idée. Et la coopérative, comme façon plus ou moins transparente de faire en sorte que les utilisateurs de soins en viennent à payer pour les avoir, n'est pas une bonne idée», a-t-il déclaré devant une assistance incapable de sortir de son silence désapprobateur.

Quand vint le temps des interventions de la salle, je suis allé ajouter une autre perruque dans la soupe coopérative.

J'ai entre autres expliqué que, pour déterminer si les coops sont ou non de la privatisation, il fallait voir dans quel contexte elles se mettaient sur pied. Ainsi, il y a cinquante ans, quand tout était privé, que des gens se soient réunis pour apporter une réponse collective à leurs besoins, comme les cliniques populaires à l'époque, ce n'était pas de la privatisation, c'était une avancée. Mais aujourd'hui, le système de santé est en majeure partie public. Et on tente de toutes les façons de le morceler, de le parcelliser, de casser son universalité.

Alors, participer à cela, c'est de la privatisation. Et la rencontre d'aujourd'hui n'était pas différente de celle des HÉC, où des gestionnaires du réseau public s'étaient fait faire du pied tout un avant-midi par des entreprises privées, OSBL inclus. D'ailleurs, la concurrence déloyale dont s'était plaint auparavant M. Girard ne relevait pas de la santé, mais d'un marché.

J'ai aussi expliqué que pour régler les problèmes de financement du système public, on devait s'attarder à deux de ses principales composantes : le coût des médicaments, qu'on paie presque deux fois trop cher à 7,5 milliards de dollars par année, et le mode de rémunération des médecins, qui nous cause des dépenses de plus de 6 milliards de dollars par année.

Et j'ai terminé en demandant au sous-ministre s'il croyait que le fait que les plus hauts fonctionnaires, sous-ministres et ministre de la Santé soient des docteurs pouvait représenter un conflit d'intérêts quand venait le temps de questionner le mode de rémunération des médecins.

En réponse, le sous-ministre s'est longuement attardé à expliquer que le coût des médicaments est lié à la consommation des gens, qui en consomment plus qu'avant, et que cela a une influence sur les dépenses globales, et que...

Plusieurs participants commencèrent à ramasser leurs choses pour sortir discrètement les uns après les autres. On aurait dit que l'atmosphère n'y était plus.

Le temps passant très vite, les échanges ont été ramenés à leur plus simple expression, et l'assemblée s'est finalement terminée sur les remerciements d'usage.

Mais en sortant, je me suis soudain aperçu que le sous-ministre ne m'avait pas répondu sur l'existence d'un possible conflit d'intérêts à propos de la rémunération des médecins.

Pour moi, ça demeurera du côté obscur de ce social-démocrate...

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