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Il était une fois la maladie: les sulfamidés, ces malmenés de l'Histoire

Les sulfamides ont rendu de fiers services à l'Histoire, endiguant la lèpre, les fièvres puerpérales, la tuberculose, et combien de milliers de gangrènes sur les champs de bataille.
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Une fable comme entrée en matière

L'action se déroule sur une humble ferme à Lochfield près de Darvel dans l'East Ayrshire au Royaume-Uni vers la fin du XIXe siècle. M. Fleming, un modeste fermier entend alors des cris en provenance d'un marécage voisin. Il y accourt et découvre un enfant en train de s'y noyer. Il le tire de sa fâcheuse position et 24 heures plus tard, il voit arriver un attelage cossu. C'est le père de l'enfant rescapé qui veut lui offrir une récompense en argent pour avoir sauvé son fils. Fier, M. Flemming refuse. L'homme lui propose alors de défrayer le coût des études de son fils comme s'il s'agissait de son propre enfant. Le fermier accepte et son fils pourra entreprendre des études de médecine. Plus tard, à la guerre, le fils du généreux donateur tombe malade à Carthage en Tunisie et est sauvé par la pénicilline découverte par le fils du fermier, Alexander Fleming. Le nom du malade: Winston B. Churchill.

L'histoire est bien belle, mais elle a le bien mauvais désavantage d'être fausse. Fleming lui-même trouvait que c'était une bien belle fable. En réalité, Winston Churchill a été sauvé par Lord Moran qui lui a administré des sulfamides. Les journaux d'Angleterre ont parlé à l'époque de pénicilline parce qu'elle était une découverte anglaise et n'ont pas dit la vérité sur l'utilisation des sulfamides, car elles étaient d'origine et de fabrication allemande, le peuple contre qui précisément on était en guerre. Il aurait en effet mal paru qu'on attribue la vie du chef de l'État à un médicament fabriqué par l'ennemi...

Des origines contestées

Mais là ne s'arrêtent pas les péripéties historiques qui ont marqué les sulfamides. Elles avaient en effet commencé bien avant. Même leur découverte fut questionnée. Le premier chercheur à isoler les sulfamides fut le Dr Paul Gelmo en 1906. Il publiera un article scientifique en 1908 sous le titre: «Ueber Sulfamidc der p-Amidobenzolsulfonsaure» and appeared in the Journal fiir pratische Chemie, Leipzig, 1908.

Mais il semble bien qu'il n'ait pas vu l'intérêt scientifique de sa découverte. Un autre chercheur d'origine polonaise, le docteur Gerhard Johannes Domagk reprendra les études sous un angle tout à fait différent vers le milieu des années 1920.

Deux partisans de l'armée allemande

Coïncidence ou attrait de l'élève qui prend un maître pour idole, en 1914, Paul Ehrlich signe avec 92 compatriotes illustres un manifeste pro-allemand appelé justement le Manifeste des 93. Ce manifeste tente de justifier l'armée allemande d'entrer en guerre. Ehrlich était alors un chercheur reconnu et ses travaux sur les études des colorants comme antibactériens avaient permis la création du Salvarsan, le premier médicament efficace contre la syphilis autour des années 1909.

En 1913, Domagk avait entrepris ses études de médecine, mais les avait interrompues pour se porter volontaire dans l'armée allemande en octobre 1914. Blessé en décembre de la même année, il reprend ses études à l'université de Münster. Ce qu'il a vu sur les champs de bataille, le convainc encore plus de l'importance de mettre au point un antibiotique efficace. Il avait été en effet à même de constater combien les interventions, les opérations et les amputations sur les champs de bataille s'avéraient bien des fois inutiles. Le blessé contractait des infections dont la fameuse gangrène gazeuse, et en mourrait le plus souvent.

Domagk décida donc de suivre la lignée de son maître à penser Ehrlich et chercher du côté des colorants pour trouver un antibiotique efficace. Il trouva une substance colorante rouge à laquelle il greffa un radical sulfamide. Il était alors courant d'ajouter ce type de radical pour que la teinture puisse mieux s'imprégner à la laine. En testant ce mélange colorant-sulfamide sur des souris infectées par des staphylocoques et des streptocoques, il découvrit leur potentiel antibactérien et nomma le médicament: le Prontosil. Mais comme la substance n'avait pas d'effet sur des cultures bactériennes, il hésita avant de crier victoire. Mais il advint que sa propre fille fut atteinte d'une infection à streptocoques et que la seule solution était l'amputation de son bras. Domagk, en désespoir de cause administra une dose de son Prontosil à sa fille. Non seulement elle put éviter l'amputation, mais elle se rétablit complètement.

Avec l'aide d'un confrère anglais le Docteur Leonard Colebrook, le Prontosil fut testé avec succès dans le traitement des fièvres puerpérales (infections qui peuvent se produire après un accouchement) qui causaient alors de nombreux décès chez les femmes qui venaient d'accoucher.

Pas le bon moment

Le Dr Domagk recevra le Prix Nobel de physiologie et de médecine pour son Prontosil en 1939. Mais encore ici, l'histoire se montre ingrate envers la découverte, le régime nazi ayant promulgué une loi interdisant à tous les ressortissants allemands d'accepter un prix Nobel. Domagk est incarcéré par la Gestapo pendant une semaine. Ce n'est qu'en 1947 qu'il put recevoir enfin les insignes de son prix Nobel, mais sans la bourse qui accompagne habituellement cette distinction, car le délai était prescrit.

Pas le bon produit

Encore ici, des découvertes subséquentes avaient permis de démontrer que l'hypothèse du colorant guérisseur qui partait des travaux d'Ehrlich et qui avait été poursuivie par Domagk s'avérait fausse dans le cas du Prontosil.

Dans les laboratoires de l'Institut Pasteur en France, les chercheurs Jacques Tréfouel, Thérèse Tréfouel (son épouse), Federico Nitti et Daniel Bovet s'intéressent à cette découverte. Observant comme Domagk l'avait fait que le Prontosil était efficace in vivo (chez les individus), mais non in vitro (dans les cultures bactériennes), ils ont émis l'hypothèse que le produit devait être scindé par une cellule vivante pour libérer un principe actif.

C'est ainsi qu'ils purent isoler le p-aminophényldulfamide. Et ils démontrèrent que le seul agent actif du Prontosil était bien celui-là, le colorant n'ayant aucun effet thérapeutique. Les Tréfouel et leurs collaborateurs ouvrent ainsi la voie à la sulfamidothérapie. Mais comme les sulfamides avaient été découverts, rappelons-nous, en 1906 par Paul Gelmo, aucun brevet ne put être alors déposé.

Bayer qui avait commencé la commercialisation du Prontosil, change sa formule en 1936 pour le Prontosil Album, les laboratoires français lancent de leur côté le Septoplix en 1937. La compagnie Bayer pour qui travaillait Domagk lors de sa découverte n'aura donc pas eu beaucoup de temps pour rentabiliser son Prontosil. L'arrivée de la pénicilline allait reléguer les sulfamides au second rang tant à cause d'une meilleure efficacité que par le fait que la pénicilline provoquait beaucoup moins de réactions allergiques que son ancêtre.

Les résultats des sulfamides

N'empêche que, même coincée dans les méandres de l'histoire, la découverte des sulfamides fut des plus importantes. Durant la Deuxième Guerre mondiale, les sulfamides sauvèrent bien des vies. Tous les soldats américains avaient dans une pochette de leur ceinture une boîte métallique dans laquelle se trouvait un sachet en papier contenant du sulfa et un pansement. Les soldats devaient saupoudrer toute plaie ouverte avec cette fameuse poudre blanche.

Les sulfamides permirent aussi de faire chuter le taux de pneumonie de 20% à 5%.

Les nombreux dérivés qu'on en fit connurent d'autres destinées. Ainsi les sulfones devinrent les premiers médicaments efficaces pour lutter contre la lèpre. En associant un autre médicament: le triméthoprime à un sulfamide: le sulfaméthoxazole, on obtint le co-trimoxazole, un antibiotique utilisé contre les infections urinaires, les otites, certaines entérites, pour prévenir les infections durant une chimiothérapie, etc.

Enfin d'autres formes encore, comme la thiosemicarbazone et l'isoniazide permirent de lutter efficacement contre l'épidémie de tuberculose qui se répandit en Europe après la Deuxième Guerre mondiale.

Durant l'été 1942 en France, une grave pénurie alimentaire force bien des gens à ingurgiter des aliments avariés. Plusieurs cas de fièvres typhoïdes s'ensuivent. On les traite donc avec des sulfamides. Certaines personnes tombent alors dans un coma glycémique. C'est ainsi que l'action hypoglycémiante des sulfamides fut mise en lumière. Les sulfamides hypoglycémiants stimulent la fabrication de l'insuline par le pancréas. On les retrouve encore de nos jours sous les noms de : Amarel® - Daonil® - Diamicron®, etc. comme médicaments qui aident les diabétiques.

Un mauvais départ et une longue carrière

Malgré des débuts difficiles au plan historique, les sulfamides ont rendu de fiers services à l'Histoire, endiguant la lèpre, les fièvres puerpérales, la tuberculose, et combien de milliers de gangrènes sur les champs de bataille. De nos jours, en plus de son action antibactérienne, elle est aussi utilisée dans le traitement du diabète. Comme quoi un mauvais départ ne réussit jamais à stopper une bonne idée.

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