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Patron entrepreneur ou employé syndiqué: où est le docteur?

L'histoire médicale du Québec nous apprend qu'avant l'arrivée de l'assurance-maladie, le médecin était un patron entrepreneur.
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Ce glissement du médecin pour devenir un employé syndiqué de l'état semble aujourd'hui une tendance lourde et irréversible.
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Ce glissement du médecin pour devenir un employé syndiqué de l'état semble aujourd'hui une tendance lourde et irréversible.

Où se situe le médecin aujourd'hui ? Est-il un entrepreneur, patron d'une entreprise petite moyenne ou grande ? Dans ce cas, on comprend qu'il puisse incorporer une compagnie, gérer ainsi au mieux ses risques et ses bénéfices et bénéficier des mesures et exemptions fiscales autorisées par la loi. Ou plutôt est-il ni plus ni moins qu'un employé de l'état protégé par son syndicat et rémunéré par son employeur? Récemment, le ministre Morneau a décidé de rendre plus difficile l'incorporation de plusieurs types de professionnels, dont les médecins. Selon les réponses que l'on a apportées aux précédentes questions, le ministre pourrait avoir raison ou tort...

Un brin d'histoire

Pour comprendre une problématique actuelle, un regard dans notre passé peut nous éclairer. L'histoire médicale du Québec nous apprend qu'avant l'arrivée de l'assurance-maladie, le médecin était un patron entrepreneur. Comme tout entrepreneur, il devait se trouver un endroit où ouvrir son commerce et où il trouverait suffisamment de clientèle pour lui permettre de vivre. Il devait aussi offrir un service adéquat pour conserver et augmenter sa clientèle. Ainsi dans sa biographie que j'ai eu le bonheur d'écrire, le Dr Augustin Roy me racontait ses débuts en médecine au début des années 1950. Originaire de East Broughton en Beauce, il avait dû ouvrir sa première clinique à Notre-Dame-du-Nord au Témiscamingue. En effet, en Beauce, il y avait déjà un docteur et y trouver une clientèle suffisante aurait été difficile pour ce jeune médecin tout juste sorti de l'université. Un autre des médecins avec qui j'ai eu le plaisir d'écrire fut le Dr Alban Perrier. Avant d'ouvrir son cabinet dans les années 1960, il avait passé plusieurs fins de semaine à faire du porte-à-porte pour réaliser une étude de marché et s'assurer qu'il trouverait une clientèle suffisante pour y ouvrir une clinique. Avant donc l'arrivée de l'assurance-maladie, le médecin devait se transformer en entrepreneur s'il voulait vivre de sa profession. Et ensuite, il devait offrir un bon service s'il voulait conserver sa clientèle. Sinon un autre médecin viendrait s'installer è proximité, offrir un meilleur service et attirer la clientèle vers lui.

L'arrivée de l'assurance-maladie

Alors que jusque-là, c'était le patient qui choisissait son médecin, dorénavant, le contrôle allait passer aux mains de l'état. Celui-ci déciderait quel salaire il allait donner aux médecins et, jusqu'à un certain point, où iraient travailler les médecins. En effet, comme ceux-ci avaient pris l'habitude de s'installer près des grands centres, on mit au point un système de primes d'éloignement pour les inciter à travailler en région. Pour défendre ses droits, les médecins s'organisèrent en syndicats (FMOQ, FMSQ, etc.) qui pouvaient négocier avec l'unique employeur : le gouvernement. D'entrepreneur patron, le médecin est devenu un employé syndiqué sauf pour quelques exceptions : les médecins qui travaillent uniquement dans le privé. Alors, on peut se poser la question qui motive M. Morneau pour aller chercher quelques centaines de millions de dollars en impôts supplémentaires : selon quelle règle d'équité financière sociale peut-on autoriser un employé syndiqué à s'incorporer et bénéficier ainsi des mêmes avantages qu'un entrepreneur qui, lui, n'a pas les avantages d'un employé syndiqué ? Par ailleurs, pourquoi refuserait-on aux médecins de s'incorporer tandis qu'on le permet à d'autres ?

Et le patient là-dedans?

En réalité, je ne suis pas un expert en fiscalité et je préfère laisser ce problème entre les mains des professionnels concernés. Ce que j'observe cependant est que le patient ne fait jamais partie des décisions que l'on prendra. Est-ce qu'en laissant plus d'entrepreneuriat aux médecins, le patient sera mieux traité ? Aura-t-il un meilleur accès aux soins de santé ? En ayant transformé le médecin en fonctionnaire de l'état, le patient dispose-t-il d'un meilleur accès au système de santé ? J'ai bien peur qu'avec notre dernière place en matière d'accès aux soins, la réponse ne s'impose d'elle-même. Un article de La Presse nous le confirmait encore : « Parmi les 10 provinces canadiennes, c'est au Québec qu'il est le plus difficile d'avoir accès aux soins de santé lorsqu'on en a besoin, selon une récente étude de Statistique Canada. » (réf, : http://plus.lapresse.ca/screens/84889c3e-db95-4ab8-b4a3-0f6148af0503%7C_0.html). On voit de plus en plus de patients qui attendent à la dernière minute avant de se rendre à l'urgence parce qu'ils savent qu'ils devront y patienter plus de 12 heures avant d'être examinés. Quels sont les dégâts causés par une telle situation? Je n'ai trouvé aucun chiffre nulle part. Étrange?

Le médecin est devenu un employé de l'état et le patient un numéro pour l'état

« Le numéro 268 est appelé au triage. » Qui n'a jamais entendu une phrase semblable? Les patients l'acceptent comme ils consentent à être devenus un numéro d'assurance-maladie plutôt que le patient du docteur Untel. Et pour le médecin, le patient n'est plus madame ou monsieur Untel, il est un inconnu parmi la quantité d'autres que son employeur l'oblige à traiter s'il veut conserver ses revenus. Ce glissement du médecin pour devenir un employé syndiqué de l'état semble aujourd'hui une tendance lourde et irréversible.

Et pourtant

Les choses risquent de changer dans un avenir plus ou moins rapproché. D'abord, du côté des médecins, ils seront appelés à réévaluer leurs stratégies s'ils ne veulent pas que les autres professionnels de la santé grugent de plus en plus dans leurs compétences comme les pharmaciens, les infirmiers, les ambulanciers, et tout ceci sans compter les autres thérapeutes officiels et moins officiels. L'autre facteur provoquant le changement sera le patient lui-même qui, un jour ou l'autre, décidera de s'impliquer pour avoir enfin son mot à dire dans la gestion de son système de santé. Ainsi à la question : les médecins ont-ils le droit de s'incorporer, le patient pourra s'assurer que la réponse sera la meilleure pour favoriser son accès aux soins de santé et non pour favoriser soit les coffres du trésor public ou soient ceux des employés de l'état. Voilà la question que pourra se poser le patient du Québec.

Avril 2018

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