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Médicaments: le prix le plus bas ne devrait pas toujours faire loi

La valeur du médicament tient compte non seulement du coût de celui-ci, mais aussi de son influence sur l'état de santé du patient et les répercussions de l'état de santé du patient sur l'économie de la société.
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Il y a une cinquantaine d'années, j'étais étudiant à l'UQAM. Je me souviens encore que l'automne étant déjà bien avancé, je me rendais faire l'achat d'un manteau d'hiver. Il y en avait de tous les prix, mais mon budget d'étudiant me fit opter pour le moins cher. Pendant les semaines qui ont suivi, je n'ai pas cessé de vanter mon choix et surtout toutes les économies que j'avais réalisées en achetant ce manteau, le moins cher en ville. J'ai commencé à déchanter quand les premiers vrais froids se firent sentir. J'ai réalisé dans un premier temps ce que ce rabais signifiait sur le plan de la qualité de vie. Un bus un peu plus long à arriver, un vent un peu plus fort que d'ordinaire et je grelottais, commençant à me demander si un investissement plus important n'aurait pas été finalement plus judicieux. Mais l'argument le plus convaincant n'a pas tardé à se manifester.

Durant la semaine avant Noël où j'aurais pu travailler et gagner une centaine de dollars, j'ai dû rester alité à la maison, souffrant d'une grippe carabinée. Si je n'avais pas attrapé froid, peut-être aurais-je pu travailler comme prévu, passer un beau Noël et avoir même un léger surplus d'argent pour commencer la nouvelle année. C'est là où j'ai compris que mon économie de 25$ avait diminué ma qualité de vie pendant 4 mois en me forçant à endurer le froid et m'avait même fait perdre 100$ au travail. Dure façon de comprendre la leçon.

Et l'État québécois

L'Institut du Québec publiait en mars cette année, un document intitulé L'adoption d'Innovations en santé au Québec: propositions de modèles alternatifs (Côté Jean-Guy, Gabriella Prada et Tieja Thomas, L'adoption d'innovations en santé au Québec: propositions de modèles alternatifs, Montréal, Institut du Québec, 2017). Le document se penche aussi sur les défaillances issues de cette course au plus bas prix particulièrement dans le domaine pharmaceutique.

Un brin d'histoire

Comme souligné dans un précédent article, il fut un temps où l'industrie pharmaceutique se concentrait surtout en 2 pôles importants: Toronto qui abritait surtout des compagnies pharmaceutiques productrices de médicaments génériques et Montréal qui se spécialisait dans les médicaments d'origine ( Réf. : https://quebec.huffingtonpost.ca/jacques-beaulieu/industrie-pharmaceutique-quebec-recherche-decouverte-emplois_b_9771950.html ).

Ainsi les compagnies pharmaceutiques qui faisaient de la recherche pour créer de nouveaux médicaments se situaient à Montréal. Les gouvernements du Québec d'alors favorisaient l'achat de ces médicaments, même s'ils étaient plus dispendieux, car on maintenait ainsi des activités de recherche rentables pour l'économie de toute la province. Ceci représente évidemment une vision bien simplifiée des activités pharmaceutiques de l'époque. Les coûts de santé ne cessant de grimper, le docteur Philippe Couillard, alors ministre de la Santé, établit de nouvelles bases au processus d'approvisionnement. Ainsi la politique du médicament vit le jour en 2007. Il faut se rappeler qu'à cette époque, les coûts des médicaments, qui avaient été de 1,2 milliard de dollars en 1997, avaient bondi à 3 milliards de dollars en 2006. Il fallait donc intervenir rapidement pour stopper cette escalade des prix. Ils ont d'ailleurs diminué depuis, se situant à 2,6 milliards de dollars selon les prévisions du Conseil du trésor pour 2016-2017.

En gros, plusieurs mesures furent adoptées dans le but de payer le prix le plus bas pour les médicaments. L'entente d'alors prévoyait entraîner une meilleure intégration de l'innovation, mais malheureusement, ces dispositions ne furent qu'exceptionnellement utilisées. En somme, l'ouverture à l'innovation a plutôt servi de vœu pieux plusieurs fois répété depuis, mais jamais réellement exaucé. Ainsi, dans la création de la mission de l'INESSS, on pouvait lire: «Le groupe de travail insiste sur la mise en place d'un processus délibératif transparent et public, sur le développement d'une fonction de recherche, et sur les collaborations à établir avec les différents acteurs du secteur de la santé.»

L'innovation fait en quelque sorte figure de parent pauvre dans cette perspective.

Le système actuel vise surtout à regrouper les appels d'offres afin d'obtenir les meilleurs coûts possible. L'innovation fait en quelque sorte figure de parent pauvre dans cette perspective.

Pour un changement

Telle que le décrit le document de l'Institut du Québec, la politique ne change pas la culture de l'approvisionnement du médicament au Québec, elle constitue surtout un outil de contrôle. En somme, les politiques d'approvisionnement sont basés sur les coûts. À l'instar de ce qui se passe ailleurs dans le monde, l'Institut du Québec propose de changer cette culture et d'adopter un approvisionnement non plus basé sur les coûts, mais sur la valeur. Comme le souligne le document de l'Institut: «Les méthodes d'approvisionnement fondées sur la valeur ont été adoptées par différents acteurs à travers le monde. Elles sont également reconnues par l'Union européenne comme étant un moyen de pallier les failles du système d'appel d'offres axé uniquement sur les coûts. Plus précisément, les directives publiques européennes d'approvisionnement de 2014 obligent les pays européens à accepter «la soumission la plus économique» (SPE)»

Un approvisionnement basé sur la valeur

Le Conseil ontarien de l'innovation en santé (COIS) a ainsi défini la façon de définir valeur d'un médicament: Valeur = Impact économique + Bénéfice pour le système de santé + Impact social.

Ainsi la valeur du médicament tient compte non seulement du coût de celui-ci, mais aussi de son influence sur l'état de santé du patient et les répercussions de l'état de santé du patient sur l'économie de la société. Par exemple, un nouveau médicament pourrait s'avérer plus efficace et permettre au patient de reprendre son travail plus rapidement amenant un apport financier à toute la communauté. Dans d'autres cas, un nouveau médicament pourrait nécessiter moins de suivi quant aux analyses et rencontres médicales, ce qui représenterait aussi des économies pour la société. Lorsqu'on évalue un médicament sur sa valeur globale plutôt qu'uniquement sur son coût, celui-ci risque bien de se retrouver plus rapidement sur la liste des médicaments couverts par les régimes d'assurances publiques et privées. Ceci stimulera les compagnies à investir encore plus dans l'innovation ce qui se traduira par plus de richesses pour la société. En effet, les recherches menées par le Boston Consulting Group montrent clairement que de mettre l'accent sur les prix les moins élevés réduit l'innovation et décourage l'adoption de nouvelles technologies.

Comme le dit encore le document de l'Institut du Québec: «Si l'état de santé des patients est au cœur de la prestation des soins de santé basés sur la valeur, il n'y a pas qu'eux qui bénéficient de cette approche. Les pratiques d'approvisionnement novatrices profitent également, quoique dans une moindre mesure, aux professionnels de la santé, aux systèmes de santé et aux fournisseurs.» En résumé: une mesure qui serait gagnante pour tous. Quand sera-t-elle retenue?

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