Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.
Qu'est-ce qui fait que certains choisiront le jeu, le travail, l'alcool ou autres?
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.
LeszekCzerwonka via Getty Images

Il y a plus d'une quinzaine d'années, j'écrivais ce texte pour le docteur Ildebert Huart, fondateur et toujours directeur de la Villa Ignatia, un centre de traitement de l'alcoolisme et autres dépendances ( http://www.villaignatia.com/ ). Tombant par hasard sur ce texte que j'ai écrit en 2001, je me suis rendu compte qu'il était encore brûlant d'actualité. Il traite de compulsion.

L'histoire de Pierre :

À l'âge de douze ans déjà, Pierre jouissait d'une forte ossature et d'une puissante musculature. Il avait hérité de ces attributs de son père et de son grand-père qui étaient tous des hommes forts. Il découvrit une voix facile de se faire un peu d'argent de poche. Comme son physique en imposait à tous ses petits camarades. Il se mit donc au taxage. Pour ceux qui ignorent de quoi il s'agit, on pourrait résumer ainsi l'opération: « Tu me donnes ton argent de poche ou je te casse la gueule!» Bien peu ont les moyens de résister à pareil chantage. Notre ami, ayant toujours de l'argent de poche et étant doté d'un physique avantageux, connut beaucoup de succès auprès des filles. Il continua donc sa carrière et devint plus tard prêteur usurier, ce qu'on appelle dans le milieu, un shylock. Il monta en grade et se mit au commerce de la drogue. Une grande force physique et la découverte de la facilité l'ont amené sur ce chemin. Aujourd'hui, Pierre vient d'entrer en prison pour meurtre, voies de fait multiples et trafic de drogue. Il a écopé de 20 ans.

L'histoire de François

À l'âge de douze ans déjà, François jouissait d'une forte ossature et d'une puissante musculature. Il avait hérité de ces attributs de son père et de son grand-père qui étaient tous des hommes forts. À la fin de sa sixième année du primaire, il avait raflé toutes les médailles aux olympiades de son école. Au secondaire, il poursuivit donc sérieusement son entraînement. Bien sûr, cela lui exigea quelques sacrifices. Il ne participait que rarement aux sorties du samedi soir. Il tenait à garder sa forme pour l'entrainement. Aujourd'hui, François vient de remporter une médaille d'or en athlétisme. Et il a été approché par une importante compagnie pour être leur porte-parole, un travail qui lui rapportera plusieurs centaines de milliers de dollars annuellement.

Pierre et François avaient pourtant les mêmes avantages au départ. L'un a utilisé ses avantages dans une voie qui l'amena à sa perte et l'autre à son succès.

Et la toxicomanie :

Les toxicomanes disposent aussi d'un avantage probablement hérité des parents, grands-parents ou d'une lignée parentale quelconque: la compulsion. La compulsion est cette forte énergie psychologique qui force une action. Le compulsif ressent un désir tellement puissant qu'il se sent forcé de satisfaire un besoin quelconque. Pratiquement, il souffre tellement s'il est incapable de répondre à sa pulsion qu'il a l'impression qu'une grande partie de sa vie lui est arrachée.

Vers quoi cette pulsion va-t-elle s'orienter ? Certains se jetteront dans le travail. Les Anglais ont inventé l'expression « workalcoholic ». D'autres se dirigeront vers les jeux de hasard, on parle alors de joueurs compulsifs. D'autres encore auront un besoin infreinable de se sentir aimés et appréciés, ce sont les dépendants affectifs. L'alcool, les médicaments et les drogues illégales vont aussi amener les compulsifs à la dépendance.

Les premiers contacts agréables avec une substance quelconque détermineront fort probablement le type de dépendance à venir chez le compulsif.

Qu'est-ce qui fait que certains choisiront le jeu, le travail, l'alcool ou autres? La réponse se trouvera probablement dans chaque expérience individuelle. Les premiers contacts agréables avec une substance quelconque détermineront fort probablement le type de dépendance à venir chez le compulsif. Celui qui a trouvé le réconfort dans sa première peine d'amour dans l'alcool et qui est compulsif aura bien des chances de devenir alcoolique. Un autre qui a connu sa première relation sexuelle après une ligne de cocaïne et qui est compulsif risque de se retrouver un jour ou l'autre cocaïnomane. L'adolescent qui, travaillant fort, obtient enfin la reconnaissance de sa mère ou de son père et qui est compulsif est un workalcoholic en puissance, etc.

Comme vous le voyez, il existe autant de circonstances que d'individus. Par contre, il n'existe que deux conditions nécessaires: la compulsion et une substance au premier contact agréable qui peuvent être l'alcool, la drogue, les médicaments, le travail, l'affection, la nourriture, etc. Mais toutes ces « substances » peuvent être agréables, pourrait-on répondre. Oui, et c'est pourquoi que la grande majorité de la population peut en user en y tirant le plaisir réel qu'elles procurent. Le compulsif ne peut pas. Si le Québec compte sept millions d'individus, il y en a entre 5 et 6 millions qui peuvent prendre un verre sans tourner leur vie en catastrophe. L'autre 1 à 2 millions ne peut pas y toucher sans devenir alcoolique.

Car on pourra ergoter tant qu'on pourra sur la possibilité de contrôler sa consommation, dans le cas des substances toxiques (alcool, drogue et médicament), la meilleure méthode est l'abstinence. Il existe certaines compulsions pour lesquelles il est impossible d'avoir recours à l'abstinence totale. On ne peut pas imposer au workalcoholic, l'abstinence totale du travail. Le même raisonnement s'applique au dépendant affectif ou au mangeur compulsif. On ne peut s'abstenir de tout contact humain ou encore de toute nourriture. Dans ces cas, le travail de contrôle s'impose, mais on doit avouer qu'il est plus difficile à réaliser. Car, c'est de la nature même de la compulsion que d'être très difficile à contrôler.

Quand on a légalisé les jeux de hasard, ils sont devenus accessibles à plus de 5 millions de personnes.

« L'occasion fait le larron », disait un proverbe populaire. Avant l'ouverture légale des casinos, machine à sous, vidéopoker, etc., on n'entendait pas parler de joueurs compulsifs. Il en existait, mais, ces activités étant illégales, le nombre de personnes qui s'y adonnaient était trop petit pour que la dépendance au jeu puisse être constatée. Par exemple, si à la grandeur du Québec, il y avait mille personnes qui jouaient aux casinos, alors illégaux, on pouvait s'attendre à ce qu'environ 150 personnes développent une dépendance. Avec cent cinquante personnes sur un territoire aussi vaste que le Québec, le phénomène passait inaperçu. Quand on a légalisé les jeux de hasard, ils sont devenus accessibles à plus de 5 millions de personnes. Environ 15% développeront une dépendance. En quelques années on se retrouve donc avec une cohorte de plus d'un demi-million de joueurs compulsifs.

Toujours incohérent dans sa vision à long terme, mais fort bien articulé en matière de taxation, notre gouvernement légalisera le cannabis. Il cessera ainsi de dépenser de l'argent à courir après les petits revendeurs et les condamner et par surcroît, il fera de l'argent sur les taxes sur ces produits. Double rentabilité.

Nul n'a besoin d'être grand prophète pour voir qu'il se prépare ainsi une véritable légion d'accros au cannabis, au Québec seulement.

Mais si c'est rentable et qu'en plus cela fait plaisir au bon peuple, pourquoi pas ? Celles et ceux qui verront leur vie ruinée après une dépendance à cette substance ne seront que des statistiques après tout.

Hier, André s'est suicidé au Casino de Montréal. Sa veuve et ses trois jeunes enfants se retrouvent sans le sou. Bilan: cinq vies ruinées. Une fois comptabilisées, elles font partie d'une statistique.

Et pour la légalisation du cannabis ?

Certains diront que ce n'est pas pareil...

Avril 2018

Les billets de blogue les plus lus sur le HuffPost

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.