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Il était une fois la maladie: la maladie aux origines obscures et dont personne ne voulait la paternité

Elle a fait partie des maladies «honteuses» et des maladies vénériennes en relation avec Vénus, la déesse de l'amour. La syphilis fut longtemps une maladie cachée.
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Les Français l'appelaient le mal italien ; les Italiens, le mal français ; les Portugais, le mal espagnol ; les Japonais, l'ulcère chinois ; et les Européens étaient convaincus que la maladie avait été importée d'Amérique par les troupes de Christophe Colomb. Cette question ne demeure d'ailleurs encore que partiellement résolue. Outre ses origines, plusieurs appellations lui furent consacrées. Elle fut appelée la grande vérole en comparaison avec la petite vérole (la variole). On y trouve aussi le nom de las bubas. Elle a fait partie des maladies «honteuses» et des maladies vénériennes en relation avec Vénus, la déesse de l'amour. La syphilis fut longtemps une maladie cachée.

Des origines contestées

La grande épidémie qui frappa l'Europe en 1494 débuta à Naples et avait très certainement été apportée par les marins espagnols de l'équipage de Christophe Colomb qui participaient à une campagne militaire de Charles VIII dans la première guerre d'Italie (1494-1497).

D'autres historiens mentionnent précisément le 4 mars 1494 à Rome comme début de l'épidémie. Mais dans un cas comme dans l'autre, ce sont les soldats français qui sont réputés avoir apporté la maladie. Dans son Traité historique et pratique de la syphilis, le docteur Étienne Lancereaux, chef de clinique de la Faculté de médecine de Paris, écrivait en 1866: «Au rapport de Fulgosi, deux ans avant l'expédition des Français contre les Napolitains, en 1492 par conséquent, le monde fut assailli d'une maladie nouvelle. Pomarus témoigne de l'apparition de cette maladie dans la Saxe, en 1493» (réf. : Lancereaux E., Traité historique et pratique de la syphilis, J.B. Baillière et Fils, Librairies de l'Académie impériale de médecine, Paris 1866, Chapitre III, p.21.)

La bataille sur les origines de la maladie ne date donc pas d'hier.

Le nom de syphilis fut donné à la maladie par Girolamo Fracastoro, ce médecin italien qui était aussi un homme de lettre respecté. Dans une allégorie qu'il écrivit vers la fin du XVème siècle, il impute à un berger du nom de Syphilius d'avoir été le premier à contracter la maladie parce qu'il avait mis les dieux en colère, probablement suite à ses comportements de débauche.

La révocation de l'hypothèse américaine

Mais plusieurs indices laissent croire que la maladie avait sévi en Europe bien avant le XIIIème siècle et les descriptions de Fracastoro. Dès l'Antiquité, Hippocrate faisait la description de la forme tertiaire de la maladie. D'autres recherches archéologiques font croire que la maladie aurait été présente au VIème siècle à Métaponte ainsi qu'à Pompéi en Italie.

Un autre indice d'importance allait ébranler la thèse de l'importation de la maladie par les troupes de Christophe Colomb. Deux monastères de l'Ordre de Saint-Augustin datant des XIIIème et XIVème siècles furent détruits en 1539 sous les ordres d'Henri VIII à la suite de la réforme anglicane. Les deux tiers des squelettes provenant de ces monastères portaient les cicatrices typiques de la syphilis. Une datation ultérieure au carbone 14 montre que la maladie avait existé en Angleterre avant les voyages de Colomb.

La réhabilitation de l'hypothèse américaine

En 2008, un groupe de chercheurs américains sous la direction de Kristin N. Harper de l'université Emory à Atlanta a publié une recherche basée sur l'étude génétique de l'agent infectieux de la syphilis : le tréponème pâle. (réf. : Kristin N. Harper and all, On the Origin of the Treponematoses: A Phylogenetic Approach, PLOS Collections.)

Leurs conclusions précisent que le tréponème aurait fort bien pu exister sur le Vieux Continent depuis l'origine des temps. Mais lors de la migration de peuplades humaines par le détroit de Behring, il aurait gagné l'Amérique. Disparu en Europe par suite de conditions défavorables, il y serait revenu avec les visites de Christophe Colomb.

Les traitements de la syphilis à travers le temps

Dès 1527, Paracelse préconise le mercure en poudre mélangé à un onguent pour guérir la syphilis : l'onguent napolitain. Mais il semble bien que la pommade tuait plus de patients qu'elle n'en guérissait !

Un dérivé beaucoup moins concentré de celui-ci, l'onguent gris, sera utilisé contre les parasites comme les morpions. Comme il fut longtemps où on n'avait rien de mieux à offrir que le mercure, un adage courrait à l'époque : une nuit dans les bras de Vénus mène à une vie de mercure.

Il ne restait qu'à demander l'intercession de nombreux saints, dont saint Cloud (efficace aussi contre les maladies de la peau), saint Denis (particulièrement reconnu en France), saint Fiacre (aussi doué pour les hémorroïdes), saint Georges (aussi pour l'épilepsie), saint Roch (il fut atteint et guéri de la peste) et saint Sébastien. Ce dernier aurait été criblé de flèches par l'empereur romain, mais en survécut quasi miraculeusement. C'est probablement l'image de ce corps ravagé de cicatrices qui a inspiré les croyants qu'il pouvait aider les syphilitiques.

À cette étonnante pharmacopée, il faut aussi ajouter les diètes, les purges et les saignées ; tous des moyens d'égale inefficacité.

Des ratés notoires

En 1850, un médecin français, Dr Joseph-Alexandre Auzias-Turenne, expérimenta, à l'instar du Dr Edward Jenner, un Britannique qui avait mis au point le vaccin contre la variole, un vaccin contre la syphilis. Ce fut un échec lamentable.

Une quarantaine d'années plus tard, Albert Neisser, célèbre médecin bactériologiste allemand (il avait découvert les gonocoques, entre autres) reprit des essais de vaccination avec un sérum qu'il avait fabriqué, sans plus de succès.

Mais la pire catastrophe concernant l'étude de cette maladie fut sans aucun doute celle de Tuskegee aux États-Unis, où de 1932 à 1972 près de 400 hommes pauvres et analphabètes furent privés de tout traitement pour étudier l'évolution naturelle de la syphilis. En mai 1997, le président Bill Clinton présenta des excuses officielles pour cette étude désastreuse et raciste, longtemps après qu'une compensation de neuf millions de dollars aux survivants de cette catastrophe leur eut été versée (1972).

Les vraies solutions

Le premier médicament digne de ce nom sera mis au point en 1908 par Paul Ehrlich et son assistant Sahachiro Hata alors qu'une autre épidémie de syphilis ravageait l'Europe. Tel qu'écrit dans un autre article : Ehrlich et Hata se mirent en frais de tester les composés chimiques mis au point sur des lapins syphilitiques pour trouver la substance, le magic bullet qui viendrait à bout de la maladie. Ici, les versions diffèrent : certains disent que ce fut la sixième de la sixième série de substances testées, et d'autres affirment que ce fut la 606iéme substance testée qui apporta la solution. La «balle magique» venait néanmoins d'être trouvée et elle porterait le numéro 6063 (note 3 : Jacques Beaulieu, Le premier médicament de synthèse, L'Actualité médicale, 23 mars 2011, p.58). Il s'agissait du Salvarsan (sauveur + arsenic) qui deviendra plus tard le Néosalvarsan.

Au début du vingtième siècle, un médecin neurologue autrichien, le docteur Julius Wagner-Jauregg, trouva une utilisation originale de la quinine, ce qui lui valut le prix Nobel de médecine et de physiologie en 1927 pour sa technique appelée «malariathérapie». Wagner-Jauregg avait remarqué que lors de forts accès de fièvre, les patients atteints de syphilis voyaient leur condition s'améliorer temporairement. Il lui vint donc l'idée d'injecter à ces patients le paludisme. Une fois infectés, trois ou quatre grands accès de fièvre étaient souvent suffisants pour les guérir de la syphilis en tuant la bactérie responsable de l'infection. Par la suite, il ne restait qu'à traiter ces patients avec la quinine pour les guérir de la malaria.

Bien sûr, l'arrivée des antibiotiques fit reculer considérablement la syphilis. Et ce à un tel point, qu'en France, la maladie a cessé d'être à déclaration obligatoire en juillet 2000. Cependant, de nombreux rapports tant en Europe qu'en Amérique révèlent une recrudescence sans précédent de la maladie.

Avons-nous baissé la garde trop tôt ? La lutte contre les maladies infectieuses est continuelle et doit toujours être accompagnée de deux alliés indispensables : la recherche et la prévention. La recherche de nouveaux antibiotiques doit être constante puisque les microbes finissent par développer des résistances. Quant à la prévention, tous et chacun doivent adopter des comportements responsables en se protégeant adéquatement contre les infections transmissibles sexuellement.

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