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Déshabiller Pierre pour ne pas réussir à habiller Paul!

Il semble que la révision en cours du mandat du Conseil du prix des médicaments brevetés (CEPMB) risque fort bien de déshabiller Pierre en étant même très loin d'être assuré de pouvoir habiller Paul.
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En réalité, l'expression dit : déshabiller Saint Pierre pour habiller Saint Paul. Elle aurait son origine au XVIIe siècle. Comme quoi le stratagème n'est pas né d'hier. À l'époque, il était coutume d'habiller les statues des saints dans les églises. Le jour de la fête de Saint Pierre, on lui mettait une tenue d'apparat, puis quand venait la fête de Saint Paul, on enlevait la tenue de Saint Pierre pour en revêtir Saint Paul.

Mais aujourd'hui, il semble que la révision en cours du mandat du Conseil du prix des médicaments brevetés (CEPMB), un organisme fédéral, risque fort bien de déshabiller Pierre en étant même très loin d'être assuré de pouvoir habiller Paul. Des explications s'imposent.

Un départ populiste

Comme il arrive bien souvent en politique, l'image du départ a été bien soignée et les services de communication ont préparé des textes particulièrement bien léchés. L'objectif est louable et s'assure de l'assentiment général : procurer aux Canadiens les médicaments au meilleur coût possible. Pour rester dans la sphère religieuse, on pourrait clore en disant que tout le monde est pour la vertu. Mais, toujours pour demeurer dans la même thématique, il faudrait ajouter : le diable est dans les détails. Et des détails, il risque bien d'en avoir plusieurs et de bien gros.

Le numéro 1 : Le prix maximum

Le mandat du CEPMB est de déterminer le prix maximal auquel tel ou tel médicament peut être vendu au Canada. Il faut savoir que depuis que l'adoption de la règle des prix les plus élevés en début des années 1990, les prix canadiens se situent sous la médiane des prix internationaux. Ce prix était basé sur le prix médian de 7 pays (France, Allemagne, Italie, Suède, Suisse, Royaume-Uni et États-Unis). Or la réforme tend à modifier ce panier. Par un savant calcul que certaines mauvaises langues pourraient qualifier d'intéressé, notre gouvernement canadien souhaiterait remplacer deux de ces pays (les États-Unis et la Suisse) par deux autres pays : la Corée du Sud et l'Australie. Nul n'a besoin d'être un génie en finance pour s'imaginer qu'ainsi le prix médian baissera et de surcroit le prix maximum ce qui engendra pour l'ensemble des secteurs des sciences de la vie une baisse des revenus. Avons-nous calculé les impacts collatéraux d'une telle baisse ? Tous ces secteurs génèrent des revenus de près de 20 milliards de dollars et créent plus de 30 000 emplois selon l'analyse effectuée par la firme EY (octobre 2017) (Réf. : http://innovativemedicines.ca/wp-content/uploads/2017/10/20171030_EY-REPORT_IMC_FINAL.pdf ). En baissant les prix des médicaments, combien de ces emplois resteront et combien de revenus le Canada perdra-t-il. En d'autres termes, il faut bien entendu maintenir l'objectif d'offrir à la population canadienne le meilleur prix pour les médicaments tout en conservant la vigueur de notre industrie des sciences de la vie. Tout est une question d'équilibre.

Le numéro 2 : Ingérence du fédéral dans un champ de compétence provinciale

Avec cette réforme, le gouvernement canadien veut aussi savoir le prix réel remboursé par un assureur (privé ou public). Il y a lieu de se poser la question sur la motivation du CEPMB de vouloir connaitre le prix réel des médicaments ayant fait l'objet d'ententes confidentielles entre les provinces et les manufacturiers alors que ce dernier est dans tous les cas bien inférieur au prix maximal déterminé par le CEPMB. Cet organisme fédéral dépasse son mandat et s'immisce dans les compétences provinciales en matière de médicaments. Encore ici, certaines mauvaises langues pourraient dire que c'est loin d'être la première fois que le fédéral gruge dans les compétences provinciales.

Il serait opportun de rappeler que les provinces ont la responsabilité et des pouvoirs pour mettre en place des systèmes de couvertures ou d'assurances-médicaments adéquates. Par exemple, le Québec s'assure d'un processus rigoureux d'évaluation du coût-bénéfice de chacun des médicaments par l'entremise de l'Institut national d'excellence en santé et service sociaux (INESSS). Et les provinces peuvent adopter des politiques de prix, tels le gel des prix ou le prix maximum payable au Québec. S'ajoute à cela la négociation d'ententes de rabais des prix à travers l'Alliance pancanadienne pharmaceutique (APP) ou individuellement notamment dans notre province.

Au Québec, l'ensemble de ce processus fait en sorte que la dépense de la RAMQ en médicaments novateurs est en baisse au cours des récentes années et qu'elle représente seulement 6 % du budget de la santé du Québec.

Le numéro 3 : L'évaluation des investissements en recherches et développements.

Le CEPMB évalue chaque année le niveau d'investissement en recherches et développements des compagnies pharmaceutiques au Canada. Bien que les modèles d'affaires aient beaucoup changé, le CEPMB ne semble pas vouloir moderniser la façon de bien comptabiliser cette participation. Tant et si bien que la participation en recherche et développement estimée par le CEPMB devient largement sous-évaluée par rapport à la réalité. Il est ici question de l'image au niveau international de la recherche au Canada que le gouvernement fédéral transmet. Pour encourager les investissements, il sied que cette image soit réaliste et surtout pas sous-estimée.

Le numéro 4 : Ignorance de l'impact économique de ces réformes

Cette grande réforme initiée par le gouvernement du Canada ne tient nullement compte des impacts économiques sur l'ensemble de la grappe des sciences de la vie au Québec. Pourtant ici, nous étions sur une très bonne lancée. Comme je l'écrivais alors : « Vendredi le 5 mai 2017, trois ministres provinciaux présentaient la Stratégie québécoise des sciences de la vie 2017-2027 assortie d'un financement de 205 millions de dollars pour les 5 premières années. Dominique Anglade, ministre de l'Économie, de la Science et de l'Innovation et ministre de la Stratégie numérique y déclarait :« Le développement économique du Québec repose sur trois piliers : l'entrepreneuriat, le manufacturier innovant et les exportations. Le secteur des sciences de la vie compte 630 entreprises au Québec, qui cherchent constamment à développer de nouveaux produits afin de se démarquer de la concurrence et ainsi pouvoir percer de nouveaux marchés. » Aujourd'hui, le CEPMB semble vouloir faire cavalier seul et décider des nouvelles règles du jeu en faisant table rase de ce qu'a fait le Québec dans ce dossier.

En conclusion

En regard avec ce que nous pouvons observer, il apparait que ces questionnements ne semblent pas être discutés avec l'ensemble des joueurs concernés.

Pourtant il suffirait de peu pour inverser la vapeur. La création d'une vraie table de concertation publique et transparente où siègeraient les experts du CEPMB, les acteurs des sciences de la vie ET LE PATIENT. Il est révolu le temps des silos étanches. De telles tables de négociation ont été tenues avec succès en Australie et en Angleterre lorsque ces pays ont procédé à des réformes similaires. Nous sommes en droit de nous attendre à une approche holistique où le gouvernement fédéral pourrait d'une part expliquer sa vision pour soutenir les sciences de la vie et d'autre part toute la question des prix des médicaments. Ces questions sont évidemment importantes, mais, à mon humble avis, le CEPMB oublie un enjeu des plus importants en termes de santé publique. Cette réforme devrait surtout orienter sa recherche sur les moyens à prendre pour raccourcir les délais avant qu'un nouveau médicament puisse être autorisé pour le plus grand bien des malades. Nous attendons ici beaucoup trop longtemps avant d'avoir accès à un nouveau médicament.

Car en fin de compte, les objectifs du gouvernement fédéral ne devraient-il pas être la santé des citoyens et le développement économique du pays ?

Avril 2018

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