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Il était une fois la maladie: le spectre de l'autisme

En 1911, Eugen Bleuler, dans son traité surou le groupe des schizophrénies, en décrit un des symptômes qui consiste en un repli sur soi qu'il nomme autisme.
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En 1933, à Forest dans l'État du Mississipi aux États-Unis naissait dans une famille bien nantie Donald Gee Triplett. Vers la fin de sa troisième année, il refuse de plus en plus souvent de prendre toute nourriture. Le médecin de famille suggère qu'il soit placé en institution.

Mais là-bas les choses empirent rapidement et Donald dépérit durant les premiers mois de son internement puis se remet à se nourrir. Il ne parle à personne, demeure immobile et ne semble prêter aucune attention à ce qui peut se passer autour de lui. L'institut où il est interné n'arrive pas à établir un diagnostic. Plus tard contraint d'écrire un rapport sur cette année dans son institution, le directeur bâclera le tout sur une demi page se terminant par: «problèmes probablement reliés à des troubles glandulaires...»

Les parents ramenèrent leur enfant chez eux. Quelques anecdotes parsèment la vie de Donald Triplett. Ainsi il avait d'un court regard évalué correctement le nombre de briques que comptait la façade de l'école du village. Un jour, un féru d'hypnotisme, Franz Polgar, qui faisait des numéros vint loger chez les Triplett car il n'y avait pas d'hôtel dans le petit village. L'hypnotiseur fait aussi dans le calcul mental. Alors qu'il demande à ses hôtes combien font 87 fois 23, avant même qu'il n'amorce sa réponse, Donald répond distraitement 2001.

En réalité, Donald G. Triplett fut le premier enfant officiellement diagnostiqué atteint du trouble autiste. C'est le pédopsychiatre Léo Kanner qui suivit l'enfant Triplett pendant cinq ans et qui décrivit en 1943 l'autisme comme on le conçoit aujourd'hui. Mais pour bien comprendre l'arrivée de cette nouvelle maladie au milieu du vingtième siècle, il convient de reculer près de 50 ans avant.

Les origines du terme

Au début du 20e siècle, le psychiatre allemand Emil Kraepelin fait un premier pas en distinguant les psychoses maniaco-dépressives de la démence précoce. En 1911, Eugen Bleuler, dans son traité sur La démence précoce ou le groupe des schizophrénies, en décrit un des symptômes qui consiste en un repli sur soi qu'il nomme autisme.

Même Freud s'en était mêlé

En fait, il avait emprunté ce terme au célèbre Sigmund Freud ce qui n'était pas très étonnant. Vers 1900, Bleuler avait engagé un jeune psychiatre du nom de Carl Gustav Jung qui pendant un bon moment avait entretenu des liens très étroits par correspondance avec le non moins célèbre Freud. Ce dernier dans d'autres correspondances avec Havelock Ellis (voir encadré ci-bas), un des fondateurs de la sexologie, avait parlé d'autoérotisme en relation avec l'un des stades du développement sexuel ce qui se traduisait, comme pendant psychanalytique, par une manière d'être dans le monde, un repli sur soi. De ce terme, Bleuler enleva les lettres «éro» pour former le terme autisme. Mais pour Bleuler, l'autisme n'est qu'une des manifestations possibles des maladies du groupe des schizophrénies. L'autisme est donc, pour lui, un symptôme et non une maladie.

Havelock Ellis et la naissance de la sexologie

Né en 1859, Ellis obtint son diplôme de médecine en 1883 du St-Thomas Medical School à Londres. Puis il entreprit l'étude de la sexologie. En 1896, il publie un premier livre sur l'homosexualité. Sept autres livres suivront et toucheront pratiquement tous les sujets de la sexologie. On lui doit les termes autoérotisme et narcissisme, lesquels il discuta par des correspondances avec Freud. Ellis en décrivait les aspects sexuels et Freud leur psychanalyse. Toujours vierge à l'âge de 32 ans, il se maria avec une femme très engagée dans le féminisme et notoirement lesbienne. Plusieurs de ses collègues n'hésitaient pas à blaguer sur le sujet soulignant que l'illustre sexologue n'a jamais consommé son mariage. Fait encore plus inusité, Ellis aura sa première érection et éjaculation à l'âge de 60 ans et ce... après avoir vu une femme uriner.

Le père de l'autisme: Léo Kanner

Né en Ukraine en 1894, il déménage à Berlin dès l'âge de 12 ans. En 1913, il commence ses études médicales à l'Université de Berlin. Il doit les arrêter un an plus tard et ira servir à la Première Guerre mondiale affecté au service de santé des armées. La guerre terminée, il reprend ses études et obtient son diplôme en médecine en 1919. En 1924, pour échapper aux problèmes d'inflation qui frappent l'Allemagne, il émigre avec son épouse et sa fille aux États-Unis. Il poursuit des études au John Hopkins University en psychiatrie. Il obtient ensuite un poste dans un hôpital spécialisé pour les enfants infirmes. En 1930, il crée le premier service psychiatrique pour enfant au John Hopkins Hospital à Baltimore. En 1935, il écrit un traité de pédopsychiatrie Child Psychiatry. C'est en 1938 qu'il fait la connaissance du jeune Triplett, il suivra simultanément 10 autres enfants présentant des similarités diagnostiques. C'est ainsi qu'il publia en 1943 le premier article intitulé: Autistic Disturbance of Affective Contact qui fit école en la matière. Il y décrit les deux traits communs de l'autisme: l'isolement et le maintien de la permanence (immuabilité).

«Asperger proposait une vision beaucoup plus positive de l'autisme que celle de Kanner.»

L'histoire de Lorna

En 1981, une psychiatre britannique, Lorna Wing, découvre les travaux oubliés d'un psychiatre allemand, Hans Asperger. En 1943, soit la même année que Léo Kanner, Asperger avait publié ses recherches en Allemand sous le titre: Die Autistischen Psychopathen. L'article ne fut alors pas traduit. Était-ce à cause de cela ou parce que la guerre mondiale avec l'Allemagne n'était pas encore terminée? La vision de Hans Asperger de l'autisme passa à l'oubli jusqu'aux écrits de Lorna Wing près de quarante années plus tard. D'ailleurs Asperger proposait une vision beaucoup plus positive de l'autisme que celle de Kanner.

Certains attribuent cette description d'Asperger au fait que sous l'Allemagne nazie, les enfants handicapés ne vivaient pas longtemps. Il aurait fourni cet article pour les protéger. Mais il y a certes aussi le fait que plusieurs des enfants qu'il traitait montraient des aptitudes surprenantes. Ainsi, l'un de ses patients, encore enfant, avait décelé et corrigé une erreur du grand Newton. C'est Lorna Wing qui réalisa l'unification des observations de Kanner et de celles d'Asperger en parlant de triade autistique (immuabilité, isolement et aptitudes particulières), notion qui prévalut un certain temps.

Une sommité au Québec

Le professeur Laurent Mottron, titulaire de la Chaire Marcel et Rolande Gosselin en neurosciences cognitives fondamentales et appliquées du spectre autistique de l'Université de Montréal, professeur titulaire au Département de psychiatrie de l'Université de Montréal et directeur scientifique du Centre d'Excellence en Troubles envahissants du Développement de l'Université de Montréal (CETEDUM), propose aussi une vision plus positive. Le professeur Mottron et son groupe de recherche (A. Bertone, J.Burack, I. Soulières, B.Forgeot d'Arc, et la chercheure autiste M. Dawson ) se sont fait connaitre de la communauté internationale par leur leadership dans le domaine de la perception et l'intelligence autistique. Ils déplorent que les programmes en vigueur cherchent surtout à corriger les comportements autistiques des tout-petits vers une certaine normalité plutôt que de comprendre que les autistes peuvent dans certaines circonstances développer des façons différentes d'apprendre et que celles-ci peuvent représenter un avantage. Le docteur Mottron écrivait ainsi: «Une personne ''autiste'' douée d'une extrême intelligence et d'un intérêt pour la science, peut être une chance incroyable pour un laboratoire de recherche ». Il mentionnera aussi : «Trop souvent, les employeurs ne réalisent pas ce que les autistes sont capables de faire, et leur assignent des tâches répétitives et presque serviles. »

Cette vision est certes porteuse d'espoir non seulement pour les personnes atteintes de ce trouble envahissant du comportement, mais pour la société en général si elle prend le parti d'en bénéficier au mieux.

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