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Manifestations à Montréal: quand l'arbitraire a force de loi

Ce vendredi 30 août aura lieu une «masse critique», c'est-à-dire une manifestation à vélo, pour revendiquer, entre autres, le droit à la ville. À quoi devraient s'attendre les personnes qui y participeront? Se feront-elles arrêter par le Service de police de la ville de Montréal (SPVM)? Recevront-elles des amendes salées, comme le SPVM se plait à le faire si souvent depuis le «Printemps érable»?
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Ce texte a été écrit en collaboration avec Marcos Ancelovici, professeur de sociologie à l'UQAM et spécialiste des mouvements sociaux.

Ce vendredi 30 août, comme la plupart des derniers vendredis du mois, aura lieu une «masse critique», c'est-à-dire une manifestation à vélo, pour revendiquer, entre autres, le droit à la ville. À quoi devraient s'attendre les personnes qui y participeront? Se feront-elles arrêter par le Service de police de la ville de Montréal (SPVM)? Recevront-elles des amendes salées, comme le SPVM se plait à le faire si souvent depuis le «Printemps érable»? Ou pourront-elles, au contraire, déambuler dans les rues de Montréal et faire ainsi usage de leurs droits civiques? Nul ne peut le prédire et cette incertitude pose problème.

Ces questions méritent considération, car lors de la dernière masse critique, le 26 juillet, une vingtaine de cyclistes ont été interpellés, souvent brutalement, par le SPVM et ont reçu des amendes de plus de 500$. Pourtant, les masses critiques ne datent pas d'hier et elles ont longtemps été tolérées par les forces policières.

La masse critique à Montréal

La masse critique est un mode d'action collective non-hiérarchique, sans commanditaire et sans itinéraire préétabli. Bien qu'apparue dans les années 1970 à New York, sous le nom de «bike brigades» ou «bike-ins», c'est à San Francisco, à partir de 1992, que la masse critique prend officiellement l'appellation qu'on lui connait. On compte aujourd'hui plus de 300 masses critiques dans différentes villes à travers le monde.

À Montréal, il est rare que de tels événements soient réprimés par la police. Depuis les années 1990, seules quelques masses critiques se sont soldées par l'interpellation de certains participants. Mais dernièrement, les choses semblent avoir changé. Ce n'est pas tant que le SPVM interdit ou réprime toute masse critique, mais plutôt qu'il le fait de façon erratique. Certaines manifestations inspirées de la masse critique, comme le «Tour de l'île en rouge» qui s'est tenu le 1er avril 2012 pour dénoncer la hausse des frais de scolarité, sont tolérées alors que d'autres ne le sont pas.

Ainsi, le 26 juillet dernier, les cyclistes ont pu parcourir la ville pendant 40 minutes avant que la police ne mette fin à l'événement sans aucun préavis. Les cyclistes se sont tout à coup retrouvés pris en souricière au coin des rues Beaver Hall et Belmont. La majorité des personnes interpelées l'ont été en vertu de l'article 500.1 du Code de la sécurité routière, selon lequel il est interdit d'entraver la circulation des véhicules routiers à travers une action concertée.

Comme elle l'affirme souvent, la police a prétendu avoir été «forcée» d'intervenir. Cependant, on peut légitimement se demander si la masse critique représente réellement une entrave à la circulation. Un de ses slogans déclare d'ailleurs: «Nous ne gênons pas la circulation, nous sommes la circulation». On peut ainsi faire l'hypothèse que la masse critique ralentit plus qu'elle ne gêne vraiment la circulation et que, le vendredi en fin de journée, le centre-ville de Montréal est davantage paralysé par un surplus de circulation automobile ou des travaux publics que par quoi que ce soit d'autre. De plus, pourquoi a-t-il fallu 40 minutes au SPVM pour juger que la masse critique représentait une entrave à la circulation?

Un droit de manifester à géométrie variable

De façon plus générale, quand une manifestation exige-t-elle une intervention policière? Cette question se pose avec acuité puisque, le printemps dernier, grand nombre de manifestations n'ont pu parcourir que quelques coins de rue avant que le SPVM ne procède à des arrestations de masse bien qu'aucun méfait n'ait été commis. Si le SPVM considère que la non-divulgation de l'itinéraire de la manifestation (contrairement à ce qu'exige le règlement municipal P-6) justifie à elle seule une intervention, pourquoi n'est-il pas intervenu à chaque fois qu'une manifestation se déroulait sans itinéraire, comme cela fut le cas de nombreuses fois durant la grève étudiante de 2012 ou, plus récemment, lors de la manifestation «Un statut pour toutes et tous» qui a eu lieu le 18 mai 2013 ou, encore, la manifestation de casseroles du 22 mai 2013?

Ce que le SPVM revendique comme du discernement semble être avant tout un pouvoir discrétionnaire qui alimente un niveau élevé d'incertitude quant au prix financier, mais aussi psychologique et physique, que doivent payer les personnes voulant faire usage de leur droit de manifester. Ne pas pouvoir évaluer le risque de la participation à une manifestation, qu'elle soit à pied ou sur roues, a un effet potentiellement dissuasif sur la population. Mais peut-être est-ce précisément ce que veulent les autorités, municipales et provinciales: un Québec sans manifestations au nom de la sacro-sainte «paix sociale».

Cette incertitude et cet effet dissuasif se voient confortés par l'impunité dont semblent jouir les policiers impliqués dans des cas d'abus et de brutalité pourtant abondamment documentés dans des rapports et des vidéos amateurs disponibles sur Internet. À cet égard, le fait que le Directeur des poursuites criminelles et pénales ait récemment annoncé qu'aucune accusation criminelle ne serait portée contre Stéfanie Trudeau (l'agente 728 du SPVM), relativement à son comportement lors de la manifestation étudiante du 20 mai 2012, soulève bien des questions sur l'imputabilité des forces policières. Et ce n'est de toute évidence pas la Commission spéciale d'examen des événements du printemps 2012, avec le mandat et les limites qui sont les siens, qui pourra y répondre.

Que font les élus?

Aussi, quoi qu'il advienne lors de la masse critique du 30 août, un débat de fond s'impose sur la gestion policière des manifestations et sur la capacité des citoyennes et citoyens à exercer leurs droits fondamentaux. Autant l'article 500.1 du Code de la sécurité routière que le règlement P-6 sont contestés devant les tribunaux au nom de la défense du droit de manifester. Jusqu'à maintenant, mis à part quelques exceptions, les élus municipaux n'assument pas leurs responsabilités dans ce dossier et délèguent au SPVM le soin de décider lui-même ce qu'il convient de faire.

Ces enjeux devraient être au cœur des élections municipales du 3 novembre prochain. D'ici là, la meilleure façon de défendre le droit de manifester reste encore de s'en servir.

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