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Comment punir les innocents à coût maximal

L'attrait des peines minimales obligatoires est facile à comprendre: elles sont présentées comme des mesures sévères qui dissuaderont les criminels et il semble contre-intuitif de penser différemment. Pourtant, la recherche et la littérature en sciences sociales concluent essentiellement que les peines minimales obligatoires sont inefficaces, injustes et préjudiciables, ne préviennent pas la criminalité, et créent peut-être plus de problèmes qu'elles n'en règlent.
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CP

Une juge de la Cour supérieure de l'Ontario a statué lundi que l'imposition d'une peine minimale obligatoire dans le dossier de Leroy Smickle, un homme qui avait été appréhendé par la police alors qu'il prenait avec son ordinateur une photographie de lui-même tenant un pistolet était une «punition cruelle et inhabituelle».

Compte tenu des circonstances de l'affaire qui lui était soumise, la juge a déterminé que la peine était «fondamentalement injuste, outrancière, odieuse et intolérable», et contrevenait aux dispositions de la Charte interdisant «les peines cruelles et inhabituelles».

Cette décision n'est que le plus récent ajout aux preuves croissantes que les peines minimales obligatoires sont une politique de droit criminel ratée qui pourrait bien être inconstitutionnelle. Il est regrettable que le gouvernement conservateur insiste pour ajouter de nouvelles peines, comme celles qui sont prévues dans son projet de loi omnibus sur la criminalité, le projet de loi C-10.

L'attrait des peines minimales obligatoires est facile à comprendre: elles sont présentées comme des mesures sévères qui dissuaderont les criminels et il semble contre-intuitif de penser différemment. Pourtant, la recherche et la littérature en sciences sociales concluent essentiellement que les peines minimales obligatoires sont inefficaces, injustes et préjudiciables, ne préviennent pas la criminalité, et créent peut-être plus de problèmes qu'elles n'en règlent. Même ici au Canada, des études effectuées par le ministère de la Justice dès les années 1990 ont conclu que « [...] les longues périodes passées en prison augmentent le risque de récidive des contrevenants [...] En fin de compte, la sécurité publique est réduite plutôt qu'augmentée par les longues peines ».

Pour commencer, les peines minimales obligatoires ne ciblent pas nécessairement les contrevenants les plus dangereux, qui auront déjà fait l'objet de peines très sévères parce qu'ils ont commis les crimes les plus graves. La plupart du temps, ce seront les contrevenants coupables d'infractions moins graves qui seront visés par les peines obligatoires et seront soumis à des durées d'emprisonnement extrêmement longues. C'est en fait en grande partie pour éviter de telles conséquences que la juge dans le procès en Ontario plus tôt cette semaine a invalidé la peine minimale obligatoire prévue.

Les peines minimales ont été introduites par le gouvernement conservateur en 2006. À l'époque, j'ai fait connaître mon opposition en affirmant que « dans la vaste majorité des études réalisées, quel que soit l'endroit, on conclut que les peines minimales obligatoires n'ont pas d'effet dissuasif et ne sont pas efficaces » et en concluant que « cette mesure est inspirée d'une idéologie, elle est motivée par des considérations politiques et elle constitue une méthode inefficace pour lutter contre la criminalité ». Le gouvernement a réintroduit ces mesures et les a adoptées en 2008.

En outre, comme l'ont constaté les auteurs d'un rapport de 645 pages publié par la U.S. Sentencing Commission en novembre dernier, les peines minimales obligatoires imposées par les tribunaux fédéraux américains sont souvent « excessivement sévères », ne sont pas « conçues pour s'appliquer seulement aux contrevenants qui justifient un tel châtiment » et ne sont pas « appliquées avec cohérence ». Elles limitent tant le pouvoir de poursuite discrétionnaire que le pouvoir discrétionnaire des juges et, comme les données probantes le démontrent, ont une incidence disproportionnée sur les groupes minoritaires qui sont déjà défavorisés.

De plus, des études démontrent qu'un moins grand nombre d'accusés sont susceptibles de plaider coupable s'il existe une peine minimale obligatoire, ce qui ajoute aux pressions actuelles sur les ressources judiciaires. En fait, l'Association du Barreau canadien a averti qu'avec l'ajout de nouvelles infractions dans le projet de loi C-10 et la probabilité que les tribunaux soient saisis de plus de dossiers, l'arriéré des tribunaux ne fera qu'augmenter, ce qui pourrait mener à la libération de criminels si leur droit à un procès dans un délai raisonnable n'est pas respecté. Sur ce point, il est probable que la contestation de la constitutionnalité des peines minimales obligatoires ne fera que grever encore davantage nos ressources judiciaires.

Pour résumer, les peines minimales obligatoires n'améliorent la sécurité de personne. Les criminels ne vont pas sur Google pour se renseigner sur les conséquences possibles d'une infraction et sur l'existence d'une peine obligatoire avant de commettre l'infraction envisagée. Pourtant, le gouvernement insiste que non seulement de telles peines sont nécessaires, mais leur usage doit être élargi.

Malheureusement, le gouvernement n'a pas encore produit d'argument convaincant à l'appui de la pertinence de ces peines. Si le projet de loi C-10 est adopté, nous verrons probablement plus de décisions, comme celle de lundi dernier, invalidant les peines minimales, et le gouvernement dépensera beaucoup de fonds publics pour défendre ces causes - ceci de la part d'un gouvernement qui affirme se préoccuper grandement d'éviter les dépenses inutiles.

Il est à espérer que les conservateurs tiendront compte de l'avertissement du système judiciaire, respecteront la preuve soumise et abrogeront le projet de loi C-10, au lieu d'adopter une loi inefficace du point de vue de son objectif déclaré et souvent inconstitutionnelle dans ses effets.

Irwin Cotler est le porte-parole libéral en matière de justice et de droits de la personne. Il a été ministre de la Justice et procureur général du Canada, et est professeur de droit (émérite) à l'Université McGill.

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