Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.
Si personne ne peut être contre la vertu, il est de notre devoir d'user d'esprit critique lorsqu'on discute de l'avenir et des choix d'une société. Dans un copieux ouvrage paru récemment,, le jeune politologue Jocelyn Caron fait un constat sévère du Québec actuel. Une série de «maux qui accablent notre nation» seraient à l'origine de notre incapacité collective à nous développer pleinement dans le sens du progrès.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.
Shutterstock

Si personne ne peut être contre la vertu, il est de notre devoir d'user d'esprit critique lorsqu'on discute de l'avenir et des choix d'une société. Dans un copieux ouvrage paru récemment, Choisir le progrès national, le jeune politologue Jocelyn Caron fait un constat sévère du Québec actuel. Une série de «maux qui accablent notre nation» seraient à l'origine de notre incapacité collective à nous développer pleinement dans le sens du progrès: «Immobilisme, facilité, clientélisme, absence d'égard pour l'intérêt général, apathie, repli sur sa personne, peurs sont actuellement les tristes synonymes du Québec» (p. 383).

Ce livre cherche à présenter des «modestes propositions visant à parfaire la communauté nationale» laquelle évolution, comme le titre de l'ouvrage l'indique, devrait mettre, ou remettre, le Québec sur le chemin du «progrès». L'argument est simple: notre société et notre économie stagnent pour des raisons politiques. Le référendum de 1995 symbolise la fin de la construction de l'État québécois (p. 200), amorcé lors de la Révolution tranquille, par la mise en place des grandes institutions politiques et économiques qui ont permis son développement accéléré entre la fin des années 1960 et le début des années 1990. La base du nouvel essor que devrait connaître le Québec passe par la voie politique. L'auteur propose, à cet égard, une «méthode» visant à réunir les forces vives du Québec au cœur d'une vaste consultation populaire sur les réformes constitutionnelles pouvant ultimement rallié un maximum de nos concitoyens.

Condition nécessaire au succès de cette entreprise: des changements d'attitudes, ce que Caron appelle «un nouveau volontarisme» (p. 249 et suiv.). Lesquels changements doivent renverser la vapeur à la fois du désengagement des élites (p. 193 et suiv.) - notamment symbolisé par l'omniprésence des politiciens «professionnels» - et du «dilettantisme citoyen généralisé» (p. 203 et suiv.), le règne du chacun pour soi.

Pourquoi cette consultation sur les réformes constitutionnelles est-elle nécessaire? Tout simplement - rien de nouveau sous le soleil des nationalistes - parce que l'appartenance du Québec à l'ensemble canadien l'empêche d'emprunter cette voie du «progrès». Ainsi, les sections de la quatrième partie de l'ouvrage, présentant ces propositions de changement pour le Québec, se terminent par un «Mais il y a le Canada...»

À mon sens, c'est là où le bât blesse: le constat d'inertie du Québec de l'auteur repose sur le postulat du désengagement politique de nos élites et de la population et la solution à cette inertie réside dans un nouveau pacte constitutionnel - qui pourrait prendre la forme d'une nouvelle constitution canadienne, d'une «liste des demandes constitutionnelles du Québec» ou de l'indépendance pure et simple. La démonstration que des changements aux arrangements constitutionnels dans lesquels évolue le Québec actuel amènerait nécessairement des modifications profondes dans l'engagement politique des élites et de la population québécoises participe de la pensée magique - du whisful thinking. Si l'immobilisme du Québec repose essentiellement sur ce désengagement politique, comment une vaste réflexion politique permettrait de renverser la vapeur et nous remettre collectivement sur la voie du «progrès»?

D'autant que cette notion de progrès ne trouve aucune définition claire dans l'ouvrage de Jocelyn Caron. En sous-texte, on comprend qu'il s'agit d'une vague notion économico-politique héritée du 19e siècle. Cette idée selon laquelle une société doit nécessairement évoluer selon les dogmes hérités de l'idéologie des Lumières. Étrangement, pourtant, il n'est à peu près aucunement fait mention dans ce livre - et plus spécifiquement dans ses «modestes propositions» - de développement économique. On y parle de la nécessité de revoir notre agriculture et de notre rapport aux impératifs écologiques - mais à peu près nulle mention d'innovation technique et scientifique, de créativité culturelle ni de développement économique régional.

Pourtant il s'agit là d'une des sources de notre immobilisme, selon l'auteur: les accusations d'immobilisme, notamment relayées par le Manifeste pour un Québec lucide, seraient, selon lui, «formulées à l'encontre de ceux qui s'opposent à des projets de 'développement économique'» (p. 87). C'est que spécifiquement, ce livre beaucoup trop écrit sur le mode de l'impératif (à l'instar des deux préfaces pontifiantes de Claude Béland et de Léo Bureau-Blouin), ne remet aucunement en question la notion même de progrès - se contentant à toutes fins pratiques de la présenter comme une inévitable nécessité. Ce dogme du progrès, comme l'écrivait Georges Sorel en 1908 dans Les Illusions du progrès, «qui devait exercer une si grande influence sur la pensée moderne, serait un paradoxe bizarre et inexplicable si on ne le considérait pas comme lié au progrès économique et au sentiment de confiance absolue que ce progrès économique engendrait.»

S'il personne ne peut s'opposer à la vertu, en ce début de 21e siècle il me paraît clair qu'il soit possible de s'opposer au dogme du progrès. À tout le moins d'en proposer un examen critique sur les illusions qu'il charrie. Le Québec a le luxe des petites nations. Sa relative homogénéité sociologique lui donne la possibilité de l'expérimentation, comme le note l'auteur (p. 260). En ce sens, le livre de Jocelyn Caron rejoint la pensée de Jacques Parizeau - brillamment illustrée dans son petit livre Le Québec et la mondialisation: Une bouteille à la mer? publié chez VLB en 1998. Nous restons, au final, sur notre faim d'une pensée véritablement critique qui permette, justement, à cette petite nation de se payer le luxe d'une vision véritablement audacieuse non seulement de son avenir, mais qui puisse, également, être source d'inspiration hors de ses frontières en abattant les oripeaux illusoires du dogme du progrès.

Choisir le progrès national, par Jocelyn Caron (Druide Éditeur, 2013, 474 p., ISB 978-2-89711-037-6, 27,95$).

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.