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On n'entreprend jamais la lecture d'un livre innocent et détaché de préjugés - sur son auteur comme sur son sujet. Peu de choses me rapprochant du chef de la CAQ, François Legault, j'ai donc commencé la lecture de sonavec un lot d'a priori négatifs. En revanche, il me paraissait important, voire nécessaire, d'en prendre connaissance.
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On n'entreprend jamais la lecture d'un livre innocent et détaché de préjugés - sur son auteur comme sur son sujet. Peu de choses me rapprochant du chef de la CAQ, François Legault, j'ai donc commencé la lecture de son Cap sur un Québec gagnant avec un lot d'a priori négatifs. En revanche, il me paraissait important, voire nécessaire, d'en prendre connaissance, ne serait-ce que parce qu'il est peu fréquent au Québec qu'un chef de parti politique en fonction n'écrive un livre proposant sa vision politique - habitude pourtant traditionnelle en France ou aux États-Unis, par exemple. Et le jeu en valait la chandelle, puisque cet ouvrage propose quelques pistes de réflexion intéressantes pour le développement économique du Québec. J'insiste sur ces derniers termes: il s'agit essentiellement d'une vision économique de l'avenir du Québec plutôt qu'une vision politique plus large.

Si François Legault a choisi de nous offrir un plan de développement économique, il n'est pas sans savoir qu'un tel plan ne peut faire l'économie d'une vision politique. Or, à cet égard, la lecture de Cap sur un Québec gagnant nous laisse sur notre faim, c'est le moins qu'on puisse dire. La première des trois parties de l'ouvrage est consacrée, à ce titre, au parcours personnel de Legault et à son positionnement politique. Il s'agit là de la partie la plus convenue du livre - l'ascension jusqu'aux plus hauts sommets de la société québécoise d'un homme né d'une famille modeste, le selfmade man classique. François Legault prétend de plus n'être ni de droite ni de gauche, mais préconise une approche «pragmatique» de la politique. Là où le bât blesse, c'est que cette approche n'est pas étoffée et n'a aucune profondeur politique: l'auteur se contente, en somme, de sa simple affirmation. Ainsi, «le véritable débat au Québec ne devrait pas se situer entre les souverainistes et les fédéralistes ou entre la gauche et la droite, mais entre le clan du statu quo et celui du changement. (...) Nous devrons plutôt être pragmatiques» (p.78). Le changement pour le changement ou le pragmatisme pour le pragmatisme me semble bien peu engageant. Passons.

Le cœur de l'ouvrage est donc ce «Projet Saint-Laurent», qui se décline sur deux axes principaux (qui forment les deux parties centrales de l'ouvrage): faire de la vallée du Saint-Laurent une «Vallée de l'innovation» - à l'instar de la Silicon Valley en Californie ou de Kista en Suède, par exemple - et miser sur le fleuve Saint-Laurent comme facteur de développement culturel, écologique et économique pour l'ensemble du Québec.

Miser sur l'innovation est pour Legault le moyen cardinal non seulement à la création de richesse économique, mais aussi à l'aménagement urbanistique qui rendrait la qualité de vie meilleure pour tous les Québécois et permettrait une meilleure attraction de l'investissement. En soi, rien de neuf. En revanche, la «Vallée de l'innovation» proposée par l'auteur est ambitieuse et nécessite des choix collectifs coordonnés et cohérents. À l'exemple de Barcelone qui a revitalisé son cœur industriel obsolète, il faut une «intervention humaine planifiée, par le truchement des institutions publiques» (pp.87-88; italiques dans le texte). Car l'innovation n'émerge que lorsque l'environnement est favorable à leur développement (p.112). En cela, le projet proposé par Legault tire les meilleures leçons des histoires de succès un peu partout dans le monde. Incidemment, un intérêt de cette section est la présentation de plusieurs exemples internationaux dont l'auteur dit s'inspirer (pp.93-101).

Par contre, cette section présente une grande faiblesse: si Legault met le doigt sur certains problèmes dans les politiques de développement économique et d'innovation au Québec, il ne propose à peu près aucune mesure concrète pour les résoudre et mettre en place la «Vallée de l'innovation». On est réduit à se contenter d'énoncés de bonnes intentions sous forme de phrases creuses. Des passages comme celui-ci se multiplient désagréablement tout au long de cette partie du livre:

«Il nous faut développer au maximum les compétences et les spécialités de chaque institution et investir dans celles-ci, encourager la performance, soutenir ce qui se fait de mieux pour nous donner la chance d'aller le plus loin possible, d'exploiter à fond nos possibilités. (...) C'est une urgence. C'est une conviction profonde que je vais toujours défendre bec et ongles, comme je l'ai fait comme ministre de l'Éducation, comme nos parents l'ont compris au moment de la Révolution tranquille.» (p.123)

Un exemple concret: Legault souligne, avec raison à mon avis, l'inefficacité du système de soutien à l'innovation que sont les crédits d'impôt à la recherche et au développement (p.154 et suiv.). Selon lui, l'aide doit être «mieux ciblée, mieux orientée en plus de prévoir un mécanisme minimal de reddition de comptes» (p.156). Mais il n'indique que très vaguement (au mieux) les moyens qui devraient être mis en œuvre pour changer les choses. D'autant qu'il affirme qu'un environnement favorable à la réalisation de son projet devrait reposer sur trois piliers: l'éducation, l'innovation et l'investissement. Trois défis auxquels il consacre autant de chapitres. Or, chacun d'entre eux - et particulièrement celui sur l'éducation - ne dépasse guère, en substance, les slogans politiques de la CAQ.

Étonnamment, on sent une certaine rupture de ton dans la troisième partie du livre, consacrée au «Projet Saint-Laurent». Un ton plus personnel, enthousiaste - celui d'un Québécois manifestement amoureux de son coin de pays, et de son territoire. L'auteur s'inspire de grands et beaux succès partout dans le monde. Ses idées ne sont pas nécessairement toutes originales - il reprend le meilleur de ce que nombre de groupes écologistes et communautaires proposent depuis des années et montre en exemple certaines réussites déjà réalisées au Québec. Il a, toutefois, la grande qualité de proposer une vision unifiée et franchement enthousiasmante de l'aménagement de la vallée du Saint-Laurent. Il plaide pour un fleuve dépollué, des berges accessibles, la restauration et la revitalisation de vieux sites industriels contaminés (il y en aurait au moins 9000 au Québec! - p.79), une stratégie d'attraction touristique d'envergure tout en plaidant pour une vision renouvelée du transport maritime (y compris du cabotage).

Contrairement à l'exposition du projet de la «Vallée de l'innovation», le «Projet Saint-Laurent» regorge d'idées concrètes, applicables - souvent relativement simples, ou «pragmatiques» pour reprendre le mot fétiche de l'auteur - encadrées par une vision d'ensemble cohérente et qui pourrait manifestement susciter l'adhésion d'un grand nombre de nos concitoyens. Malgré le fait que plusieurs passages soient un peu romantiques, à l'eau de rose et naïfs - «Québec, la romantique», «Charlevoix, la carte postale», etc. - cette vision a l'intérêt de toucher à l'essentiel de l'écoumène québécois, là où vivent 80% des Québécois. Une vision qui touche autant à l'économie qu'à la vie des communautés ou à la symbolique de l'attachement des Québécois à leur territoire.

Cela étant dit, je répète qu'il manque cruellement à François Legault d'une vision politique à ces deux projets. On ne peut penser le développement économique et l'aménagement du territoire sans l'intégrer dans une vision politique étoffée, particulièrement face à la complexité de notre monde. En citant abondamment des exemples de succès, comme ceux que connaissent les pays scandinaves, notamment, Legault oublie que les politiques d'innovation et d'urbanisme de ces gouvernements vont de pair avec une politique sociale, centrale au projet politique. Les politiques audacieuses dont il s'inspire s'accompagnent, dans de nombreux cas, de préoccupations pour la justice sociale - qui en font de surcroît des succès.

Malgré cette lacune fondamentale et plusieurs faiblesses argumentaires, en plus d'un langage managérial détestable qui trahit une vision gestionnaire de l'État, force est d'admettre que le livre de François Legault constitue un apport intéressant dans l'environnement politique québécois. À l'heure du débat politique en messages de 140 caractères et en clips de 30 secondes, qu'un chef de parti offre une réflexion plus approfondie sous format d'un livre doit être souligné. Que l'on soit en accord ou non avec l'ensemble de sa proposition, son ouvrage a au moins l'avantage d'apporter des idées qui méritent d'être débattues.

Cap sur un Québec gagnant: Le Projet Saint-Laurent de François Legault (Boréal, 2013, 290 p., ISBN 978-2-7646-2284-1, 25,95$).

Dans cette chronique, Ianik Marcil propose la recension critique d'essais de sciences humaines et sociales ou de philosophie pour mieux nous aider à décoder notre monde et ses défis - et réfléchir aux solutions qui s'offrent à nous.

7 novembre 1998

La carrière de François Legault

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