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La dérive de l'idée d'éducation, particulièrement à l'université, serait selon plusieurs auteurs, généralisée un peu partout dans le monde. Trois livres parus récemment au Québec interrogent cette question complexe, en adoptant des points de vue convergents, mais complémentaires.
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Au cours de la grève étudiante de 2012, on a beaucoup critiqué la «marchandisation» de l'éducation - cette idée selon laquelle l'éducation ne devrait pas être assimilée à une simple marchandise qu'on achète ou dans laquelle on investit afin d'avoir un meilleur avenir. Préférons à ce terme celui, plus large et qui l'englobe, d'«industrialisation» de l'éducation (je reprends le terme à Joëlle Tremblay, professeure de philosophie au collégial qui s'intéresse beaucoup à la question). Le système scolaire adopterait les méthodes et la philosophie de l'économie industrielle: formation visant uniquement à répondre aux demandes du marché du travail, évaluation de la performance, commercialisation du savoir et de la recherche et, bien sûr, marchandisation de la scolarité. Dans un tel modèle, les professeurs et les étudiants entretiennent une relation de client-fournisseur.

Cette dérive de l'idée d'éducation, particulièrement à l'université, serait selon plusieurs auteurs, généralisée un peu partout dans le monde. Trois livres parus récemment au Québec interrogent cette question complexe, en adoptant des points de vue convergents, mais complémentaires.

Les éditions LUX publient en français Dans les ruines de l'université de Bill Reading, professeur de littérature comparée à l'Université de Montréal, décédé en 1994. Cet ouvrage est paru un après sa mort, chez Harvard University Press. Il est remarquable que vingt ans plus tard il soit toujours d'actualité. Sans tomber dans la nostalgie d'un passé révolu, Reading affirme que l'université moderne telle que construite par l'Occident depuis le début du 19e siècle, reposait sur une idée forte de culture nationale. En effet, cette université de la culture est née en même temps que se consolidaient les États-nations. La culture est centrale au développement de l'université moderne dans ce contexte, car la construction de l'État-nation nécessite le développement d'une culture nationale identitaire, notamment par la voie de l'Histoire nationale.

Avec l'accroissement de la mondialisation au 20e siècle, le rôle central de la culture au sein de l'université déclinera: «L'État-nation et la notion moderne de culture sont nés ensemble et je soutiens qu'ils sont en voie de perdre leur caractère essentiel dans une économie de plus en plus mondialisée.» Le résultat le plus probant de cette évolution est la transformation de l'université d'un lieu de culture à un lieu de performance et d'excellence qui «amène l'institution à se percevoir uniquement comme une structure administrative, calquée sur le modèle de l'entreprise.»

C'est dans le même ordre de réflexion que se situe le bref essai l'historien Pierre-Luc Brisson, Le cimetière des humanités. D'entrée de jeu, l'auteur affirme que «la sujétion aux impératifs économiques a petit à petit mené l'école, jadis lieu d'élévation de l'esprit des futurs citoyens, à se transformer en centre de formation professionnelle de main-d'œuvre 'qualifiée'». Conséquence et témoin de cette dérive que dénonce P.-L. Brisson, est l'évacuation du cursus scolaire des humanités et de l'étude des grandes œuvres de l'histoire occidentale. Dans cette transformation, déplore l'auteur, nous avons perdu l'espace où la pensée critique peut se développer. L'enseignement «utilitariste» ayant pris toute la place, il ne reste aux élèves plus d'occasions à la réflexion humaniste, citoyenne et culturelle.

Cette même dénonciation traverse l'ouvrage collectif Libres d'apprendre: Plaidoyers pour la gratuité scolaire dirigé par Gabriel Nadeau-Dubois. La douzaine de textes qu'il comprend touche divers aspects de l'accès universel à l'enseignement post-secondaire, mais aussi plusieurs facettes à la critique de l'utilitarisme du système scolaire. G. Nadeau-Dubois y va en introduction, par exemple, d'un utile panorama de l'histoire de cette revendication sociale au Québec et démontrant qu'elle a été longtemps porteuse d'un projet politique globale. Retenons deux textes originaux et importants.

D'abord celui de Widia Larivière et Melissa Mollen Dupuis, militantes féministes des causes autochtones connues pour leur implication dans le mouvement Idle No More. Elles expliquent les problèmes majeurs et tragiques que connaissent les communautés des Premières Nations. D'une part, leurs écoles sont cruellement sous-financées par rapport à celles des non autochtones. D'autre part, les jeunes des Premières Nations étant généralement contraints de poursuivre leurs études post-secondaires en dehors de leurs communautés (il n'existe au Québec qu'un seul Cégep, récent, porté et adapté à une communauté autochtone), leur éducation se déroule dans un cadre culturel qui ne correspond pas à leur réalité culturelle. Les auteures proposent un fort plaidoyer pour le développement d'institutions d'enseignement supérieur qui appartiennent aux communautés autochtones, ce qui nécessiterait un financement digne de ce nom et, surtout, un contrôle véritable sur ces institutions. Là comme ailleurs, les Québécois des Premières Nations sont littéralement traités comme des citoyens de seconde classe.

Un autre texte, fort beau, complète la réflexion de manière aussi originale que poétique, «L'école de la gratuité» de l'écrivain Yvon Rivard. Il plaide pour une école du don - don de soi, don de culture. Ainsi, «l'intelligence doit aller à l'école de la gratuité, reconnaître non seulement qu'elle ne sait pas tout, mais que ce qu'elle sait lui est donné par cela même qu'elle cherche à pénétrer», écrit-il. Ce qui ne saurait mieux résumer ce combat contre l'industrialisation de l'éducation, car le véritable rôle de l'école devrait être l'apprentissage de la liberté, qui passe nécessairement par la culture.

- Dans les ruines de l'université, par Bill Readings (Lux, 2013, 349 p.).

- Le cimetière des humanités, par Pierre-Luc Brisson (Poètes de brousse, 2014, 103 p.).

- Libres d'apprendre: Plaidoyers pour la gratuité scolaire, dir. par Gabriel Nadeau-Dubois (Écosociété, 2014, 199 p.).

Dans cette chronique, Ianik Marcil propose la recension critique d'essais de sciences humaines et sociales ou de philosophie pour mieux nous aider à décoder notre monde et ses défis - et réfléchir aux solutions qui s'offrent à nous.

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