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Quelques précisions utiles sur l'affaire Mike Ward

Je ne crois pas que ce jugement signifie que les tribunaux vont dicter aux humoristes ce qu'ils peuvent dire et ce qu'ils ne peuvent pas dire.
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Merci pour vos commentaires positifs et négatifs en réaction à mon texte publié mardi sur mon blogue au Huffington Post Québec. Tout d'abord, toutes mes excuses pour l'erreur dans l'orthographe du nom de famille du juge, erreur que je n'avais pas remarquée. Effectivement son nom est Hughes, et non pas Hugues. Merci de m'avoir signalé cette erreur, elle a depuis été corrigée.

Par ailleurs, les commentaires négatifs me permettent de constater qu'il aurait été préférable que je ne fasse pas de commentaires personnels à la fin de mon texte (les trois derniers paragraphes en fait). Tout au moins, j'aurais dû faire une distinction claire et indiquer, à la fin de mon analyse du jugement, que celle-ci était suivie de commentaires personnels.

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Comme plusieurs de vos commentaires portent sur les qualités de chanteur de Jérémy, je tiens à préciser que le juge a décidé que les blagues de Ward, à ce sujet, n'étaient pas discriminatoires. Évidemment, il faut lire le jugement pour se rendre compte de cela et je vous invite donc à le lire. La partie légale du jugement est complexe, mais pas la partie qui porte sur les faits mis en preuve. En le lisant, vous allez constater que plusieurs affirmations qui circulent sont mensongères. Vous avez accès à ce jugement en cliquant sur ce lien.

J'estime important de ne pas donner au jugement une portée qu'il n'a pas: seules les blagues liées au handicap de Jérémy ont été jugées discriminatoires par le juge. Ce dernier a rejeté la réclamation basée sur l'état civil, qui est également un motif interdit de discrimination prévu aux chartes.

J'ai analysé le jugement pour en saisir la portée. Avec respect pour l'opinion contraire, je ne crois pas que ce jugement signifie que les tribunaux vont dicter aux humoristes ce qu'ils peuvent dire et ce qu'ils ne peuvent pas dire.

Par ailleurs, ce jugement ne fait pas autorité, et tous les autres juges qui auraient ultérieurement à se prononcer sur la même question pourraient décider de ne pas l'appliquer. Cependant, une décision de la Cour suprême à ce sujet ferait autorité et devrait être suivie par les autres tribunaux. Puisqu'il semble bien que le jugement sera porté en appel jusqu'en Cour suprême, celle-ci décidera si le jugement de l'honorable juge Scott Hughes est bien fondé ou pas.

Je sais que peu de personnes liront le jugement, ce que je comprends : pour ceux qui ne sont pas dans le domaine du droit, il est complexe en grande partie. Pour le bénéfice de tous, en voici quelques extraits (portant principalement sur les faits).

De plus, en raison d'un déficit de son système immunitaire, Jérémy doit recevoir des transfusions sanguines aux trois semaines. Depuis sa naissance, il a subi 23 chirurgies ayant nécessité une anesthésie générale et a été hospitalisé à de nombreuses reprises. Le syndrome dont il souffre n'affecte toutefois pas ses capacités intellectuelles ni son espérance de vie.

En 2003, alors que Jérémy est âgé de six ans, ses parents prennent la décision de lui faire implanter un appareil auditif ostéo-intégré connu sous le nom de BAHA. Sans son implant, Jérémy n'aurait aucune audition. Son implant lui permet d'entendre 80 à 90 % des sons.

Monsieur Ward insinue, par ailleurs, que la mère de Jérémy a utilisé l'argent de ce dernier pour s'acheter des biens de luxe.

S'il a fait des blagues insinuant que la mère de Jérémy a poussé son fils à réaliser ses rêves à elle et a profité de son argent à des fins personnelles, c'est pour faire référence au phénomène fréquent des «showbiz moms». Il ne croyait pas vraiment que sa mère s'enrichissait aux dépens de Jérémy.

Il a pendant longtemps été impossible pour elle d'avoir un emploi. La famille occupe une maison modeste et a vécu pendant longtemps avec le seul salaire de monsieur Lavoie. Ils n'ont ni chalet ni voiture sport, contrairement à ce que laisse entendre monsieur Ward dans l'une de ses capsules.

Dans une capsule diffusée sur le Web qui met en scène Jérémy en tant que personnage, monsieur Ward qualifie ce dernier de «pas beau qui chante». Il fait aussi référence au fait que la bouche de Jérémy ne ferme pas au complet. Du même souffle, le personnage de Jérémy enchaîne en disant : «C'est une opération que j'aurais aimé avoir, mais ça l'air que j'aimais mieux mettre tout mon argent dans le char sport que ma mère a acheté. Faque là moi je suis pogné avec ma petite boîte de son sur la tête, ma gueule qui ne ferme pas pis un livre assez moyen merci.» Ces propos ont un lien avec le handicap de Jérémy.

Monsieur Ward précise qu'il ignorait que Jérémy a une malformation qui empêche sa bouche de fermer complètement. S'il a fait une blague à ce sujet, c'est parce que sur la photo utilisée pour la capsule, la bouche de Jérémy est entrouverte.

Compte tenu de sa compétence en matière de discrimination, [...] des propos pourraient être diffamatoires ou autrement fautifs sans que le Tribunal ait compétence pour les sanctionner. [Ma note : si le recours avait été en dommages-intérêts, le juge saisi d'un tel recours, s'il avait conclu à des propos diffamatoires, aurait pu les sanctionner.]

Dans une capsule, il était question du pape et de pédophilie [...] Le Tribunal juge que ces propos sont sans lien avec le handicap de Jérémy. [...] Le fait que Jérémy soit connu du public en raison de ses activités artistiques l'expose à être l'objet de commentaires et de blagues sur la place publique. [Ma note : seulement les blagues discriminatoires liées au handicap de Jérémy sont sanctionnées par le juge.]

Je tiens à préciser que les seuls propos de Mike Ward que je connais au sujet de Jérémy et de sa mère sont ceux que j'ai lus dans le jugement : j'aurais dû préciser cela dans mon texte du 2 août dernier.

Mon point de vue

Ce commentaire personnel n'a rien à voir avec le droit. Personnellement, comme la liberté d'expression est la valeur la plus importante pour moi, j'ai de la difficulté à accepter une restriction à cette liberté.

Cependant, les faits dans la cause de Jérémy me touchent tellement que je me demande s'il n'y aurait pas lieu, dans un tel cas, d'accepter la restriction faite par le juge Hughes. Si la Cour suprême décidait qu'une personne handicapée doit accepter de subir ce que Jérémy a subi, en raison de la liberté d'expression, je l'accepterais en tant que juriste, mais, humainement, je continuerais à trouver cruelles et inacceptables les blagues discriminatoires d'un humoriste fondées sur le handicap d'une personne, sans son consentement. Il me semble que ce n'était pas si difficile de contacter Jérémy et de lui proposer un numéro d'humour.

Mon commentaire personnel est l'expression d'une personne qui parle avec son cœur et qui croit, peut-être à tort, se faire le porte-parole de la majorité de la population.

Je crois que cette majorité de la population ne semble pas apprécier qu'un humoriste s'attaque à un adolescent qui souffre d'un handicap et, en plus, à sa mère en faisant des affirmations fausses au sujet de celle-ci. Je vous propose, particulièrement aux personnes qui font des commentaires négatifs sur Jérémy et sa mère, de lire le jugement. Je vous propose aussi l'exercice suivant: imaginez que votre frère souffre d'un handicap et qu'un humoriste décide, sans son consentement, de se moquer de son handicap, et en plus, de votre mère. Quelle serait votre réaction?

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