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Bock-Côté: recommencer par la droite

Mathieu Bock-Côté pourrait être un fédéraliste de centre-gauche bien-pensant et jouir d'une solide visibilité. Il serait alors éditorialiste plutôt que chroniqueur. Mais voilà: il est un « indépendantiste indépendant », et résolument conservateur. Il n'hésite pas à provoquer le principal véhicule souverainiste et social-démocrate, le Parti québécois. Du bonbon. Plus vendeur que ça, tu causes des caries. Il est donc sur toutes les tribunes et jouit d'une complaisance troublante dont il serait fou de se passer.
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Mathieu Bock-Côté est un indépendantiste de droite. Au Québec, où on aime jouer sur les mots, ça peut donner souverainiste et conservateur. Sa contribution à la réflexion que le Québec doit s'intensifier est significative. Il est jeune, articulé et charismatique. Il impose un personnage fort, redouté en débat. Il est très vendeur. Il l'est comme véhicule de ses propres idées, mais aussi parce que pour les médias qui se l'empruntent, il attire la cote d'écoute et le lectorat.

Mathieu Bock-Côté pourrait être un fédéraliste de centre-gauche bien-pensant et jouir d'une solide visibilité. Il serait alors éditorialiste plutôt que chroniqueur. Mais voilà: il est un « indépendantiste indépendant », et résolument conservateur. Il n'hésite pas à provoquer le principal véhicule souverainiste et social-démocrate, le Parti québécois. Du bonbon. Plus vendeur que ça, tu causes des caries. Il est donc sur toutes les tribunes et jouit d'une complaisance troublante dont il serait fou de se passer.

Le voici donc brandissant un brûlot : Fin de cycle. En raccourci, l'idée d'indépendance échoue parce qu'elle ne se tourne pas vers la droite. Bien sûr, on ouvre ici un débat abyssal. Tellement que bien peu iront au fond de l'analyse, et beaucoup, subjugués par la forme, adopteront ce raccourci contestable. Mathieu Bock-Côté est un maître de la forme.

Résumons: conquis deux cents ans plus tôt, le Québec du régime de Maurice Duplessis est une colonie passée de la Couronne britannique à la domination anglo-canadienne. Les Français qui n'ont pas quitté la Nouvelle-France se sont rabattus sur le nombre et sur la terre. Ils ont non seulement survécu, mais ils se sont, sans trop le réaliser, mutés en un peuple, une véritable nation. Une nation, toutefois, sans État qui lui appartient. Cette appropriation collective d'un État, d'une économie et d'un statut de peuple, elle se combinera en un seul élan, propulsé par la rupture soudaine de l'élastique de l'isolement, de l'inhibition et de la religion. Ce sera la Révolution tranquille. Or l'émancipation économique du plus grand nombre dans le Québec ou l'Occident capitaliste du milieu du siècle dernier ne pouvait être que de gauche. Tout comme l'aboutissement de cette révolution nationale, économique et identitaire ne peut être que la souveraineté.

Je ne dis pas que la droite indépendantiste n'existe pas. Ses racines, dans le Québec religieux d'avant la Révolution tranquille, précèdent et de loin celles d'une vision davantage social-démocrate de la souveraineté dont le Parti québécois est encore porteur. Elle s'exprime beaucoup par l'apprivoisement nécessaire de notre histoire antérieure à l'ascension de René Lévesque au statut de héros fondateur de notre nation. Elle chante avec pertinence les Louis-Joseph Papineau, Samuel de Champlain, Lionel Groulx et Pierre Le Moyne d'Iberville. Elle tente au passage une réhabilitation de Maurice Duplessis, voué aux gémonies par une gauche syndicale qui marque souvent le pas dans le Québec du dernier demi-siècle.

Mais l'idée de souveraineté a pris son envol sous les élans d'un RIN tiré à gauche par un Pierre Bourgault flirtant avec le socialisme. Elle a rassemblé les foules et additionné les votes sous la gouverne tourmentée d'un René Lévesque magnifié. Ainsi, sans affirmer que la souveraineté n'a d'avenir qu'à gauche, je crois juste de soumettre qu'on ne peut pas l'en déraciner sans la priver de son âme, parce qu'elle est l'aboutissement d'une émancipation dont on ne peut dissocier l'économique de l'identitaire. Je dis au moins que dans ce contexte, affirmer que la souveraineté est vouée à l'échec si elle n'embrasse pas la droite est au mieux une formule. C'est du commerce.

J'en ai contre ces raccourcis complaisants d'une certaine droite dont, à la différence de Mathieu Bock-Côté, certains chantres ne méritent même pas d'être nommés. Ils suggèrent aux Québécois que ce que l'État cesse de payer ne coûte plus rien. Hors de l'État, la facture disparaît. Les services de santé et les droits de scolarité sont mieux gérés en faisant payer autant les pauvres et davantage la classe moyenne que la minorité la plus riche. La dilapidation des richesses non renouvelables au bénéfice des nouveaux géants mondiaux, les emplois exportés et les dommages à l'environnement sont ainsi des normalités dans une économie de marché saine. Et on colle le mot équitable à ce genre de raisonnements. À les en croire, la nation québécoise doit restaurer son héritage catholique pour sauver son identité, mais s'angliciser pour déboucher son développement. L'hypocrisie clientéliste de l'actuel gouvernement du Québec en matière de laïcité de l'État, de francisation de l'espace collectif ou de valeurs fondamentales d'égalité est assimilée à l'échec du modèle social-démocrate. Pourtant, mis à jour et mis en œuvre par des gens qui y croient, il porte encore les plus belles occasions d'une immigration harmonieuse et francisée, d'une économie moderne et ouverte sur les plus vastes marchés, avec un véritable souci de solidarité dans le respect d'une nature terriblement mise à mal.

L'erreur de Mathieu Bock-Côté ne me semble pas être dans les raisonnements qui suggèrent l'indépendance, mais dans la renonciation sous prétexte qu'elle serait l'otage d'un affrontement entre cette droite trop étroite et la gauche passéiste. Il s'inscrit pourtant dans cette logique en invitant les Québécois, pour rompre le sort, à embrasser une vision moderne du conservatisme. Le renoncement à ce qui nous a libéré est devenu une mode. Une mode qui, de surcroît, alimente un appareil média boulimique où Bock-Côté côtoie trop souvent de discutables mercenaires, et qui n'est jamais à la fois souverainiste et social-démocrate.

Pour ces entrepreneurs média, Mathieu Bock-Côté est un personnage inestimable. Pour moi, il est un contributeur précieux à un débat sans lequel la justesse de l'une ou l'autre idée ne sera pas démontrée. Or j'ai bien assez confiance dans la vision du Parti québécois en matière de souveraineté, de langue, de culture et de valeurs, d'environnement et de développement économique pour l'opposer ouvertement à un argumentaire conservateur qui ne me rappelle que trop le Canada de Stephen Harper.

Je salue la contribution de Mathieu Bock-Côté. Je l'invite à ne pas renoncer à l'indépendance de son pays sous prétexte qu'elle pourrait ne pas épouser le modèle conservateur. Surtout, j'invite les Québécois, plutôt que de reculer d'un demi-siècle, à franchir le dernier pas de cette Révolution tranquille. J'invite les Québécois à reprendre par la force du nombre et des justes valeurs ce qui leur a été arraché il y a deux cent cinquante ans par celle des armes. Ce sera un beau pays où vivre ensemble.

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