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Les absents (aux rendez-vous) ont tort

L'État devrait-il faire parvenir une facture à ceux qui ne se présentent pas à leur rendez-vous médicaux?
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Lorsque je faisais mes premiers stages de médecine à l'hôpital, il y a plus de quinze ans, j'avais été surpris et indigné de constater que des rendez-vous de patients étaient programmés à la même heure ou à des intervalles de 15 minutes ou moins, alors que les consultations pouvaient durer en moyenne 20 à 25 minutes. On m'en avait expliqué la raison : c'était pour compenser le fait que, chaque jour, plusieurs patients ne se présentaient pas à leur rendez-vous ou l'annulaient in extremis.

Ces absences causaient une perte de revenus pour le médecin payé à l'acte, et privaient surtout d'autres patients d'une consultation médicale dont ils avaient besoin, allongeant les listes d'attente. En conséquence, des médecins surremplissaient leurs horaires, comme les compagnies d'avion, et rattrapaient leur retard au hasard des patients qui ne se présentaient pas.

Le problème des patients absents existe toujours, quinze ans plus tard. Peu de contribuables seront émus que des médecins subissent des pertes financières - c'est le risque de toute «entreprise», incorporée ou non. Certaines âmes venimeuses s'en réjouiront même, en ces temps politiques troubles où les «médecins» ont chroniquement mauvaise presse.

Toutefois, le mode de rémunération change. De plus en plus de médecins à l'hôpital et en CLSC ont une rémunération mixte, soit un taux horaire de base, plus un montant pour chaque patient vu. Autrement dit, quand un patient ne se présente pas, l'État et le médecin sont désormais financièrement perdants.

Si les médecins étaient salariés, la perte financière causée par les patients manquants à l'appel serait entièrement subie par l'État. Les contribuables s'en émouvraient alors probablement davantage, encore que, étrangement, personne ne sourcille du gaspillage généré par les absences auprès des professionnels salariés non-médecins, comme les infirmières, les nutritionnistes, les psychologues ou les travailleurs sociaux.

Mais cessons un instant de parler d'argent et revenons aux patients qui sont privés d'une consultation lorsqu'un trou noir apparaît subitement à l'horaire.

Il y a près de 20 000 médecins au Québec. Imaginons que, pour chaque médecin, un patient par jour manque à l'appel. Cela prive grossièrement 20 000 autres patients par jour d'une consultation médicale. Mettons-en la moitié, cela fait encore 10 000 consultations perdues par jour. Évidemment, une bonne part de ces milliers d'absents voudra reprendre rendez-vous, et ce, sans refaire la queue. Ajoutons à cela les consultations perdues quotidiennement auprès des dizaines de milliers de professionnels de la santé non-médecins. Le coût social est astronomique.

Et le coût économique l'est aussi, pour en revenir à l'argent. Si les médecins qui subissent une perte de revenus peuvent faire parvenir une facture aux patients qui ont fait défection, rares sont ceux qui le font, et rares sont les patients qui paient la facture. Quant à l'État, il ferme les yeux et paie à vide. C'est la société qui encaisse les listes d'attente, et qui décaisse.

Médecins et autres professionnels de la santé profitent souvent de ces désistements pour effectuer d'autres tâches plus bureaucratiques, mais ce n'est pas normal. Ces tâches devraient avoir leur horaire et leur rémunération propres, être quantifiées et planifiées, et non pas se faire au gré des imprévisibles annulations, en espérant que des patients ne se montrent pas à leur rendez-vous pour rattraper le temps perdu.

Certaines raisons sont humainement valables pour ne pas respecter son rendez-vous : troubles cognitifs, accident, maladie aiguë, dépression majeure. Bien souvent, il s'agit toutefois de négligence ou d'un sentiment de moindre importance devant une autre opportunité, quand aucune conséquence n'attend le déserteur.

En tant que société, patients sur des listes d'attente, contribuables, professionnels de la santé ou État gérant des ressources limitées, nous devons commencer à nous poser la question suivante : si le système de santé doit demeurer gratuit, accessible et devenir efficient, pourrait-on le financer à partir de ce qui entrave ces principes?

L'État devrait-il faire parvenir la facture à ceux qui ont fait faux bond?

Mais si l'on devait choisir cette solution, il faudrait s'assurer que les rendez-vous donnés aux patients respectent l'horaire prévu, et d'un soutien administratif pour que les patients à risque d'oublier leur rendez-vous soient relancés ou accompagnés. Avant de demander aux autres de bien se gérer, il faut savoir se gérer soi-même. Le débat est lancé.

Cet article est aussi publié sur le blogue personnel de Vincent Demers, Le médecin aliéné.

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