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L'impopularité inquiétante de la démocratie municipale

La culture politique municipale actuelle contribue à renforcer le cynisme ambiant face à la politique et la démobilisation qui s'ensuit.
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L’apolitisme cache souvent des intérêts politiques.
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L’apolitisme cache souvent des intérêts politiques.

À l'aube des élections municipales du 5 novembre, il est à propos de discuter de la démocratie municipale au Québec. Cette dernière souffre d'une impopularité inquiétante pour la santé démocratique de nos villes qui, en principe, sont les paliers de gouvernement le plus proche du citoyen.

Une démocratie qui peine à s'enraciner

Pour la petite histoire, les municipalités ont été fondées avec une vocation penchant vers l'administratif. Leur existence provient du fameux rapport Durham, qui voyait dans l'absence d'institutions municipales auto-organisées une source d'inefficacité du gouvernement du Bas-Canada. La réaction des citoyens vous rappellera certains discours actuels : on les appelait les «machines à taxer».

Dans les années 1960, le gouvernement du Québec a mis en place des mesures pour faire de ses créatures de véritables démocraties et améliorer leur gouvernance grâce à la participation citoyenne. Cinquante ans plus tard, la démocratie municipale peine encore à s'enraciner dans la culture politique. Selon Laurence Bherer et Sandra Breux, nous avons à faire à des maires qui se veulent apolitiques :

«Le terme d'apolitisme désigne le fait que les acteurs municipaux pensent qu'en politique municipale, il est préférable d'afficher une neutralité idéologique, car les enjeux municipaux seraient avant tout des défis techniques politiquement neutres.»

On voit très souvent des maires qui traitent leur ville comme une extension de leur personne : c'est «leur» ville, «leurs» projets.

L'enjeu, c'est que l'apolitisme est en friction avec l'idée de démocratie où le principal «input» du processus politique serait la volonté populaire. Cela demande des consultations publiques et une participation qui est en soi politique et sociale. L'apolitisme cache souvent des intérêts politiques. On voit très souvent des maires qui traitent leur ville comme une extension de leur personne : c'est «leur» ville, «leurs» projets. Cela fait en sorte qu'on ne favorise pas la participation publique entre les élections.

Ce qui fait l'affaire des maires qui veulent jouer en solo! Pour justifier cette posture «autoritaire», on met de l'avant les enjeux techniques, qui sont considérés comme le domaine des spécialistes. Ce n'est pas faux : nous avons besoin de l'expertise technique. Cependant, les discours politiques actuels sont centrés sur l'efficacité à mener des projets de façon rapide et efficace... et la participation citoyenne devient une entrave à cette efficacité. Cependant, il ne faut pas oublier la vocation démocratique des municipalités et sa dimension humaine et sociale.

On retrouve donc deux dimensions à la fois contradictoires et complémentaires : l'humain et le technique. À un extrême, on verrait une administration purement technique, fondée sur des principes «objectifs» visant l'efficacité; de l'autre, une démocratie pure et directe, axée sur les volontés subjectives des individus et collectifs. Dans la réalité, on ne trouve ni un ni l'autre, mais plutôt une balance entre les deux. En démocratie, la volonté populaire se fait en amont, comme input dans le système, et le côté administratif serait celui qui s'assure de la mise en œuvre pour garantir un output impartial et efficace. Sauf que souvent, l'un et l'autre s'affrontent et, disons-nous-le, la dimension technique tend à prendre le dessus!

En dehors des arrondissements, la mairie a multiplié des prises de décisions politiques et des projets en dehors de toute forme de délibération citoyenne.

Les quatre dernières années de gouvernance de la Ville de Montréal font bien état de cette situation. En dehors des arrondissements, la mairie a multiplié des prises de décisions politiques et des projets en dehors de toute forme de délibération citoyenne. Ils tentent de cadrer la politique municipale du côté technique des choses, ce qui occasionne principalement deux problèmes : un, l'input des citoyens n'est pas pris en compte en amont des décisions qui sont prises et deux, cela favorise des intérêts particuliers, voire privés, qui ont l'oreille des bonnes personnes. L'exemple des référendums municipaux que plusieurs souhaitaient effacer de la carte ce printemps en est un bon exemple.

Dépassons le cynisme

Le gouvernement québécois souhaite donner plus de pouvoir aux municipalités, pour lui permettre de mieux jouer son rôle de gouvernance locale. Cependant, il y a des déficiences démocratiques et administratives qui ont été soulevées dans les dernières années et il serait temps d'y trouver des solutions qui vont plus loin que les changements dans les lois et les structures formelles.

La culture politique municipale actuelle contribue à renforcer le cynisme ambiant face à la politique et la démobilisation qui s'ensuit.

La politique municipale attire peu d'intérêt, tant de la part de ses citoyens que des médias. La culture politique municipale actuelle contribue à renforcer le cynisme ambiant face à la politique et la démobilisation qui s'ensuit. Il n'y a qu'à regarder du côté des faibles taux de participations aux élections municipales pour s'en rendre compte!

La première chose à faire serait de renouveler l'esprit démocratique en cessant de cadrer la participation politique comme une «confrontation». La gestion publique est et doit, de façon inhérente, être traversée de valeurs et de débats d'idée. Lorsque ces débats d'idées n'ont pas lieu, c'est certainement plus rapide de prendre des décisions, mais il y a aussi un risque de fermeture. Lorsqu'on refuse de considérer des arguments qui s'opposent aux nôtres et que l'on ferme le dialogue, cela ne favorise pas la bonne gouvernance.

Deuxièmement, il faudrait mousser l'intérêt des citoyens pour la politique municipale. La création de nouveaux moyens participatifs et accessibles, au-delà des seuls conseils municipaux, sont donc nécessaires si l'on souhaite dépasser la dimension technique. Comme on dit : seul on va plus vite, ensemble on va plus loin.

Ce double changement de la culture politique, tant chez les politiciens et fonctionnaires municipaux que chez les citoyens, est une première étape cruciale pour vaincre cet apolitisme. Sans cela, l'ajout de lois ou de structures, voire l'augmentation de l'autonomie du palier municipal, ne feront que renforcer le statu quo, selon lequel le fait municipal n'est l'affaire des citoyens que lors des élections.

Heureusement, certaines équipes ou partis politiques municipaux accordent plus d'importance à une gouvernance démocratique, où l'input des citoyens est pris en compte pour orienter les projets de la ville. Nous espérons que ce texte vous aura fait réfléchir à la question et a su vous convaincre que nous avons moyens d'agir dans nos villes. Maintenant, c'est à nous de jouer!

Bherer, Laurence et Sandra Breux. 2012.«L'apolitisme municipal». Bulletin d'histoire politique 21:1.

Daoust, Sophie. 2015.«Les réseaux de corruption à Laval et Montréal : Un essai d'interprétation de la corruption municipale québécoise» Mémoire de science politique, Université de Montréal.

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