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Lettre d'un ancien péquiste

J'appartiens à la grande famille souverainiste depuis mon adolescence. J'ai toujours, de près ou de loin, appuyé le Parti québécois. Je m'y suis toujours senti chez moi. Jusqu'à cette année. Pour paraphraser Ronald Reagan, je n'ai pas quitté le Parti québécois, c'est le Parti québécois qui m'a quitté.
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Le pire résultat en nombre de voix depuis 1970. Le pire résultat en termes de sièges depuis 1976. La première première ministre de l'histoire du Québec, une géante politique par ailleurs, défaite dans sa propre circonscription. Le quart du conseil des ministres sortant décimé, incluant des poids lourds à la Santé, à l'Éducation supérieure, à l'Immigration, à l'Environnement ou encore à la Justice. Une bonne demi-douzaine de châteaux forts tombés aux mains des fédéralistes et des chutes en lointaine seconde, voire en troisième place. Chez les rescapés, des majorités ayant souvent fondu comme neige au soleil. Des électeurs ayant fui de tous les côtés, non seulement chez Québec solidaire à gauche et à la Coalition avenir Québec à droite, mais aussi directement au Parti libéral, sans même prendre la peine de se « stationner » ailleurs, et ce malgré la profonde corruption présumée de ce parti et son absence de renouveau après seulement 18 mois dans l'opposition.

Chers amis du Parti québécois, comprenez-vous le message? Il le faut. C'est l'existence même du PQ qui est en jeu. Sa survie. Si le parti ne se réforme pas, il mourra. Si le parti ne change pas, la prochaine élection en sera une de réalignement et le PQ subira le même sort que la défunte Union nationale. Ceux qui invoquent René Lévesque depuis hier soir devraient peut-être se rappeler ceci, et réfléchir au sens de l'expression « prophétie auto-réalisatrice » :

« Pour moi, tout parti politique n'est au fond qu'un mal nécessaire, un de ces instruments dont une société démocratique a besoin lorsque vient le moment de déléguer à des élus la responsabilité de ses intérêts collectifs. Mais les partis appelés à durer vieillissent généralement assez mal. Ils ont tendance à se transformer en églises laïques, hors desquelles point de salut, et peuvent se montrer franchement insupportables. À la longue, les idées se sclérosent, et c'est l'opportunisme politicien qui les remplace. Tout parti naissant devrait à mon avis inscrire dans ses statuts une clause prévoyant qu'il disparaîtra au bout d'un certain temps. Une génération ? Guère davantage, ou sinon, peu importe les chirurgies plastiques qui prétendent lui refaire une beauté, ce ne sera plus un jour qu'une vieillerie encombrant le paysage politique et empêchant l'avenir de percer. »

J'appartiens à la grande famille souverainiste depuis mon adolescence. J'ai toujours, de près ou de loin, appuyé le Parti québécois. Je m'y suis toujours senti chez moi. Jusqu'à cette année. Cette année, c'en était trop. Et croyez-moi, je ne suis pas l'une de ces vierges offensées et capricieuses qui détournent le regard au moindre compromis ou au moindre recul tactique. Je comprends les nécessités de la survie en politique parlementaire et les lourdes responsabilités qui incombent à un parti de gouvernement, et qui commandent souvent des sacrifices. Quand mon idée est faite (et elle l'était depuis des années), ça en prend beaucoup pour me faire décrocher. Mais cette année, le seuil a été franchi. Il y a des limites à ce que je peux encaisser. Et un simple coup d'œil aux résultats d'hier devrait suffire à vous convaincre que je ne suis pas le seul dans cette situation.

Pour paraphraser Ronald Reagan, je n'ai pas quitté le Parti québécois, c'est le Parti québécois qui m'a quitté. Vous ne me verrez pas jouer les meneuses de claques pour un autre parti. Malgré toute la colère et la profonde déception que je ressens à l'égard du PQ, je ne souhaite pas sa mort, et surtout pas une longue agonie qui nuirait non seulement au mouvement souverainiste, mais aussi à l'ensemble de la nation québécoise. Cette possibilité, bien réelle, je ne peux pas encore m'y résoudre totalement parce que la mission du Parti québécois n'est pas encore accomplie. Cette année j'ai stationné mon vote ailleurs, pas parce que j'ai été converti aux vertus d'un rival, mais bien par déception et désarroi. Je me suis mis en réserve de la République, comme disent les cousins. Et j'espère du plus profond de mon cœur que le signal sera entendu et que des gestes seront posés pour remédier au mal qui afflige le parti environ 20 ans. Sinon, si cette défaite n'est pas assez cinglante pour induire un sentiment d'urgence au sein du Parti québécois, aussi bien débrancher maintenant le respirateur artificiel et passer à un autre appel. Parce que sinon, ce seront les électeurs qui le feront en 2018, et ce ne sera pas joli.

Ayant toujours appartenu à cette grande famille politique, j'ai souvent perdu mes élections. À chaque fois, c'est dur à avaler. C'est un coup de poing qui laisse l'estomac noué. Encore cette fois-ci, constater la nouvelle configuration de notre Assemblée nationale m'arrache le cœur et me désespère. Mais, jusqu'à cette année, je m'étais toujours raccroché à l'idéal que la riche histoire progressiste du Parti québécois (dans tous les sens du terme) inspirait chez moi. Aujourd'hui, cette inspiration n'est plus. Étant plutôt pragmatique, il n'est pas du tout exclu que je revienne un jour au bercail. Mais avant que je ne le fasse, des choses devront changer. En profondeur. Je n'ai pas de liste d'épicerie, je n'ai pas de plan d'action, je n'ai pas de réponses. Pas encore. Nous devrons tous prendre un long moment de réflexion et digérer le résultat d'hier. Mais chose certaine, pour le Parti québécois, le statu quo sera fatal.

Oui, la charte. Elle a pesé lourd. Pas tant pour son contenu (sur lequel une vaste majorité de Québécois s'entendent, exception faite de la disposition concernant les signes religieux) que pour le tort (irréparable?) qu'elle a causé à la teneur de notre débat public et, surtout, aux relations avec les minorités. Ces minorités avec lesquelles nous devons impérativement bâtir des relations, pas brûler des ponts. Pour faire simple, on attire plus de mouches avec du miel qu'avec du vinaigre. À tort ou à raison, la charte a été perçue comme une attaque frontale envers elles. Nous ferons l'indépendance avec nos minorités, pas en dépit d'elles. Jeter au panier cette fragile et nécessaire relation dans l'espoir d'obtenir un mandat de gouvernement, même majoritaire, c'est irresponsable en plus d'être contre-productif : s'il faut miner l'éventualité d'une vaste majorité indépendantiste pour espérer installer le Parti québécois au pouvoir, quel est l'intérêt? L'impulsion électoraliste est naturelle, mais elle ne doit pas nous faire perdre de vue l'objectif ultime.

Aussi, pour l'absence d'arguments rationnels et de preuves avérées (autres qu'anecdotiques) pour la justifier. Pour la rhétorique nauséabonde et la parole repoussante qu'elle a libérées. Cette charte, ce n'est pas le Parti québécois que j'ai connu. Ce n'est pas celui de Lévesque, ce n'est pas celui de Parizeau, ce n'est pas celui de Bouchard et ce n'est pas celui de Landry. Pas pour rien que les trois derniers ont mis en garde le leadership du parti sur les effets délétères de ce débat. Faites toutes les blagues de belles-mères que vous voudrez, force est de constater ce matin qu'ils avaient raison. Il y a moyen, et le PQ l'a prouvé dans le passé, de défendre une conception civique de la nation et de protéger la langue française et la culture québécoise, tout en évitant les eaux boueuses dans lesquelles Bernard Drainville nous a tous plongés pour des raisons somme toute encore inexplicables.

La question de la souveraineté a aussi joué un rôle. On peut certainement blâmer Philippe Couillard pour sa campagne de peur sur le référendum (avec raison, on se croyait en 1980!), mais lorsque le Parti québécois réagit en précipitant l'enjeu sous le boisseau avec autant de vigueur (« Il n'y en aura pas, de référendum! »), ça contribue à refroidir le plus ardent des indépendantistes. Si le choix se situe entre un parti centriste qui ne fera pas de référendum et un autre parti centriste qui ne fera pas de référendum, on comprendra pourquoi la motivation à se rendre au bureau de vote fut si faible. Il y a aussi eu d'autres enjeux (l'environnement, l'énergie, les services publics, etc.), où les différences entre les principaux partis sont devenues si ténues que ceux pour qui ces questions sont primordiales ont préféré aller voir ailleurs ou rester à la maison. L'ensemble de ces facteurs a eu pour résultat un taux de participation légèrement inférieur à 2012, ce qui n'est jamais bon signe pour le Parti québécois.

Notre mode de scrutin largement bipartite étant ce qu'il est, les Québécois se sont réfugiés dans les bras d'un parti qu'une vaste majorité d'entre eux considèrent corrompu jusqu'à la moelle. Ne vous en déplaise, cela en dit beaucoup plus long sur le PQ que sur le sens politique des Québécois. Je comprends le réflexe de chercher des boucs émissaires (QS, la CAQ et le PLQ, les médias, les abstentionnistes, les stratèges péquistes qui ont commis des erreurs stratégiques, les vieux, les immigrants, les étudiants, l'Ontario, Stephen Harper, Thomas Mulcair ou Justin Trudeau, la météo, le confort et l'indifférence...), mais il vous faut à tout prix rejeter ce réflexe.

Si le PQ cherche un coupable, il n'a qu'à regarder dans le miroir. Pour régler un problème, il faut d'abord en admettre l'existence. L'examen de conscience doit impérativement être fait, et il doit être fait maintenant. Cette défaite historique n'est pas un accident de parcours, ce n'est pas une aberration momentanée de notre système d'alternance. Les lignes ont commencé à bouger. Le plus tôt les péquistes s'en rendront compte, le mieux ils (et le Québec tout entier) s'en porteront. J'envoie ce message aujourd'hui, parce que je sais qu'il y a plein de gens de qualité au Parti québécois (j'en connais personnellement) qui sauront l'entendre et le comprendre. J'espère seulement qu'ils seront assez nombreux.

En terminant, un mot sur Pauline Marois. Celle qui a fait l'histoire en devenant la première femme à diriger le Québec ne méritait peut-être pas une correction aussi sévère, bien que son parti méritait d'être sanctionné. Au fil de sa longue carrière politique, elle a servi le Québec avec honneur et nous devons la remercier pour les batailles qu'elle a menées, et souvent remportées, en notre nom. La configuration des choses rappelle un peu le cas de Gilles Duceppe en 2011 : peut-être regretterons-nous, au fur et à mesure que la gouvernance libérale reprendra ses droits sur notre destinée collective, le sort que nous lui avons fait subir.

Mais les lois de la politique, cruelles, sont ainsi faites : elle est responsable du résultat, comme de la stratégie qui y a mené. Elle a assumé cette responsabilité dignement hier soir en annonçant sa démission et en ouvrant la porte à un renouveau au sein de son parti. J'espère sincèrement que tous les autres membres du Parti québécois, de la base au sommet, assumeront aussi les leurs.

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