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Où s'en va l'éducation au Québec?

Voici six considérations critiques sur l'avis du Conseil supérieur de l'éducation d'avril 2014. Car si tout système d'éducation doit pouvoir évoluer, on peut se demander vers quoi?
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Tout système d'éducation doit pouvoir évoluer .

Soit, mais vers quoi?

Au mois d'avril 2014, le Conseil supérieur de l'éducation (CSÉ) rendait public un avis sur l'introduction d'un cours d'histoire du Québec qui serait obligatoire dans tous les programmes d'études collégiales. L'une des recommandations de l'avis concerne la formation générale (FG) qu'on voudrait diversifier davantage afin d'offrir plus de choix aux étudiants qui doivent suivre cette formation pour obtenir un DEC (les références à cet avis d'avril 2014 sont indiquées entre crochets immédiatement après les citations dans le texte).

Depuis la publication de l'avis, plusieurs personnes influentes - dont l'actuel ministre de l'Éducation, monsieur Yves Bolduc -, ont publiquement annoncé qu'elles étaient favorables aux recommandations du CSÉ et qu'elles entendaient leur donner suite. Le récent rapport Demers va dans le même sens en reconduisant les recommandations de l'avis. Or, en examinant attentivement les raisons visant à justifier une diversification accrue de la FG, nous constatons que l'argumentaire repose sur des bases fragiles, des arguments contradictoires et des vues de l'esprit que l'expérience d'enseignement dément pourtant quotidiennement.

Il importe donc d'attirer l'attention sur ces bases fragiles et sur les raisons invoquées, car si on vise à faire évoluer l'enseignement collégial en s'appuyant sur des prémisses fautives, bien loin d'améliorer notre réseau d'enseignement collégial, on court plutôt le risque d'en détériorer la qualité et, à terme, d'en miner complètement la crédibilité.

1. Un avis jugeant de «l'évolution du système collégial» à l'aune du nombre de cours optionnels offerts

« Les 50 dernières années ont démontré que l'accession au titre de « discipline » de la FG crée, à l'intérieur même du système collégial, des freins importants pour son évolution. » [p. 22]

Mais de quoi, au juste, parle-t-on ? Au nom de quoi la FG doit-elle évoluer? À quelles visées de formation songe-t-on en recommandant cette évolution?

Hélas!, le CSÉ ne discute nulle part des visées de formation de la FG. Celles existantes sont-elles légitimes ou doivent-elles être revues et corrigées? Cette question, toute simple et pourtant essentielle si l'on veut sérieusement déterminer quelque sens à cette évolution de la FG, n'est même pas effleurée par le CSÉ! Or, une maladie, comme chacun sait, peut évoluer négativement ou positivement; l'évolution n'a pas en elle-même nécessairement une valeur positive. Si l'on ne réfléchit pas aux fins poursuivies ou si on ne les remet aucunement en question, l'évolution souhaitée doit en toute logique ne porter que sur le choix des moyens pour atteindre ces mêmes fins. Et c'est précisément ce à quoi nous assistons lorsque le CSÉ suggère d'élargir l'offre des cours complémentaires de la FG et de favoriser davantage le choix à la carte.

2.Un avis qui table sur la « pensée magique »

L'essentiel de l'argumentaire de l'avis du CSÉ repose en effet sur l'idée que les cours de la FG sont davantage signifiants pour les étudiants lorsqu'ils les choisissent eux-mêmes. Le curriculum d'études, allègue-t-on, serait plus sensé pour les étudiants si les cours obligatoires étaient moins nombreux et si les cours complémentaires étaient plus librement choisis.

Il est à craindre, toutefois, que cette supposition, pour vraisemblable qu'elle puisse paraître dans un contexte libéral comme le nôtre, relève d'une simple vue de l'esprit qui ne tient pas compte de la réalité de l'enseignement. L'expérience démontre en effet quotidiennement que ce qui donne sens aux cours pour les étudiants, c'est plus souvent qu'autrement la manière dont ils sont donnés par les professeurs. Des cours obligatoires deviennent très intéressants et pleinement sensés lorsque les professeurs savent les rendre intéressants et sensés pour les étudiants. Et on ne voit pas en quoi cela serait différent pour les cours complémentaires optionnels...

En fait, il ne suffit pas de dire qu'un cours a plus de sens pour un étudiant quand il l'a choisi pour que la chose devienne réalité! Un minimum de rigueur méthodologique commanderait pourtant de commencer par faire le décompte des étudiants déçus des cours qu'ils ont choisis - et qui ont changé de programme ou abandonné un cours complémentaire -, puis de faire la comparaison avec le nombre d'étudiants qui ont été agréablement surpris par des cours obligatoires qu'ils n'auraient pas choisis d'emblée. Des cours deviennent pleinement signifiants lorsqu'ils sont donnés par un professeur qui sait captiver les étudiants et faire tomber certains préjugés initiaux. Plus largement, il faut se demander si le fait de ne pas choisir quelque chose enlève du sens à la chose «subie».

Par exemple, plusieurs Québécois ne choisiront malheureusement jamais de lire les journaux ou de s'informer. N'est-ce pas pourtant la première visée de la FG que d'aider à former des citoyens plus autonomes et critiques, soucieux de leurs responsabilités sociales? Si c'est le choix en lui-même qui est valorisé par le CSÉ, que dire alors du contenu ? Le choix de ne pas prendre ses responsabilités est-il en lui-même valable ? À défaut de penser les visées de la FG, il semble assez vain, pour ne pas dire insignifiant, de valoriser le choix pour lui-même en dehors de toutes visées. Ce qui achève de le démontrer, c'est la justification avancée par le CSÉ. La plus grande diversité de choix serait nécessaire afin de relever les « nouveaux défis que soulèvent la mondialisation et l'ouverture à de plus larges horizons culturels » [p. 15] . Or, il faut semble-t-il le rappeler, ces objectifs, parfaitement pertinents, se trouvent déjà intégrés dans les deuxième et troisième visées de la FG comme nous le préciserons par la suite. Suppose-t-on sérieusement que rien n'est fait en ce sens par les disciplines actuelles de la FG ? Cette méconnaissance, pour ne pas dire cette ignorance des visées de la FG par le CSÉ laisse ici franchement pantois et mine sa propre crédibilité.

3.Un avis fondamentalement contradictoire

Si l'avis plaide en faveur d'une plus grande liberté de choix de la part des étudiants, il doit reconnaître néanmoins que ceux-ci seront obligés de choisir parmi des cours offerts par les cégeps. Or, qu'est-ce qui préside et détermine l'offre de cours complémentaires dans les cégeps ?

Ce sont, premièrement, les ressources enseignantes de l'institution et les priorités de gestion pour résorber les enseignants qui sont mis en disponibilité ou afin de compléter des tâches d'enseignants à temps partiel qui risquent ainsi de quitter l'institution s'ils n'obtiennent jamais une tâche suffisante pour s'assurer un salaire décent.

Le Conseil des collèges, en 1992, puis le Conseil supérieur de l'éducation, en 1995 et en 1998, ont prêté [à la formation générale complémentaire] des fonctions de maintien en emploi des enseignants et, ce faisant, d'utilisation rationnelle et adaptée des ressources humaines disponibles [p.17].

De plus,

En 1995, le Conseil supérieur de l'éducation soutenait l'importance de la formation générale complémentaire dans l'affirmation institutionnelle, en estimant que celle-ci dotait les établissements de « marges de manœuvre institutionnelles, dont la nécessité est reconnue » et qui « permettent l'affirmation du profil d'établissement - ce qu'on appelle la "couleur locale" » [p. 17].

C'est, deuxièmement, la possibilité pour un professeur de donner un cours plus près de ce qui le passionne, plus près de son champ d'intérêt.

Ajoutons que, dans la culture organisationnelle des collèges, les cours complémentaires sont valorisés et qu'ils sont considérés comme des occasions pour les enseignantes et les enseignants de mettre à profit leur expertise et de transmettre leur passion pour des sujets qui ne font pas partie de la spécialisation du programme d'études [p. 17].

Il faut toutefois se demander en quoi les étudiants sont gagnants si l'offre est dépendante non pas de ce qu'ils voudraient avoir comme cours de formation complémentaire (à supposer qu'ils veuillent bien suivre des cours en dehors de leur champ de spécialisation si on ne les oblige pas), mais bien des priorités de gestion du personnel enseignant et de la compétition entre professeurs pour obtenir un cours de formation complémentaire.

Si un professeur, par exemple, se passionne pour les paradoxes en logique ou pour l'ornithologie, et qu'aucun programme spécialisé ne permet d'offrir pareils cours malgré l'éventuel attrait suscité, en quoi ces cours viennent-ils s'inscrire dans les visées d'une formation complémentaire dont le but serait d'offrir aux étudiants la possibilité de choisir leur formation en fonction de « leur projet scolaire et professionnel » [p. 6]? En outre, si, dans la FG, on diminue les cours obligatoires pour faire plus de place aux cours optionnels, que deviennent alors les visées de cette formation ?

4.Un avis autoréférentiel anachronique

Dans son avis, le CSÉ s'en remet continuellement à ses propres avis et recommandations antérieurs afin de justifier son propos actuel.

Or, jamais il ne fait part des critiques dont ces recommandations ont pu faire l'objet par le passé, lesquelles critiques ont pourtant convaincu les différents gouvernements qui se sont succédé de ne pas s'engager dans cette voie. De plus, en s'appuyant sur des avis qui ont été publiés avant le Forum sur l'éducation tenu à Québec au mois de mai 2004, le CSÉ ne tient évidemment pas compte des résultats de ce forum. Faut-il rappeler qu'à l'issue du dit forum et tenant compte des recommandations de celui-ci, le ministère, en concertation avec les coordinations provinciales des quatre disciplines de la FG, a procédé à une actualisation de la FG ? Cette opération a mené à l'adoption d'un Profil de la formation générale» qui définit les trois «visées de formation» que poursuivent aujourd'hui les «buts disciplinaires» des quatre disciplines de la FG.

5.Un avis qui ne tient pas compte d'une problématique majeure qui devrait préoccuper les hautes instances de l'éducation : le problème de la littératie

On ne trouve en effet nulle part dans l'avis le mot littératie, non plus que le mot numératie.

Or, à l'automne 2013 l'OCDE publiait son rapport sur l'évaluation des compétences des adultes dans 24 pays, dont le Canada. On y apprend notamment qu'au Québec, 44,7% des diplômés d'études postsecondaires ne disposent pas des compétences de base en littératie ou en numératie. 55,9 % des diplômés d'études secondaires et 18,3% des diplômés d'études universitaires seraient dans la même situation.

Il s'agit là, manifestement, d'un problème majeur qui risque de dévaloriser la quasi-totalité des diplômes décernés par les maisons d'enseignement à tous les ordres d'enseignement. C'est pourtant la troisième visée de formation que d'« amener la personne à maîtriser la langue comme outil de pensée, de communication et d'ouverture sur le monde ». En quoi la volonté d'«évoluer», de diversifier et d'accroître les choix offerts afin de laisser une plus grande latitude aux établissements dans la gestion du personnel enseignant va-t-elle favoriser cette visée de formation ? En vain cherchera-t-on une réponse à cette question fondamentale. Mais en lieu et place, l'avis prend soin de préciser qu'il faut «trouver des façons d'amoindrir [l]es difficultés» [p. 14] de la FG et se montre sensible à celui «qui envisage les études collégiales comme un lieu d'affranchissement de cours obligatoires peu liés à ses champs d'intérêts» [p. 15]. L'analphabétisme constituera-t-il la fin ultime de l'évolution souhaitée ?

6.Un avis qui témoigne d'un manque flagrant de vision et d'un manque désespérant de culture

« Sur quelle base une discipline doit-elle [se trouver dans la FG] plutôt qu'une autre? Comment effectuer cette sélection ? » [p. 21]

« Si le Conseil peut comprendre historiquement [la présence des quatre disciplines de la FG] et bien qu'il reconnaissance la qualité de leur apport au regard des objectifs visés [lesquels?] (1), il n'est pas en mesure de justifier leur statut particulier. » [p. 21]

Bref, le CSÉ ne semble avoir aucune idée de ce que devrait être la FG dans le contexte actuel de la société québécoise.

Peut-être pourrions-nous lui suggérer de se questionner sur ce que peut impliquer sur le plan éducationnel le vivre ensemble d'une population évoluant dans une société pluraliste et interculturelle, et ce faisant, de prendre en considération la question de la culture au Québec (2).

Sur cette question, comme sur celle de la littératie, le CSÉ joue à l'autruche. Soucieux de la mondialisation mais négligeant tout de notre situation culturelle, il ne reconnaît aucun besoin éducatif en matières de langues et culture, lesquelles matières ont pourtant un impact décisif sur la qualité du vivre ensemble de la population québécoise.

***

Une fois éliminé la part contradictoire de l'argumentaire et les vues de l'esprit que l'expérience dément quotidiennement, l'avis du CSÉ revient en fait à formuler une recommandation dont l'application aurait pour seul effet d'accroître l'autonomie des collèges dans la gestion « rationnelle » du personnel enseignant. Les étudiants seraient obligés de choisir parmi des cours qui permettraient aux établissements d'accentuer leurs couleurs locales et de se distinguer plus nettement les uns des autres. Croyant renouer avec l'esprit qui présida à la fondation des cégeps, l'avis conclut in fine que « [...] refuser [de faire évoluer la FG] témoignerait d'une incapacité structurelle à aborder le changement à l'antithèse même des idéaux qui ont donné naissance aux collèges » [p. 30]. Il semble qu'il faille une fois encore rappeler que l'audacieux changement proposé par la commission Parent fut la volonté d'assurer à tous une solide formation de base ainsi qu'une culture générale (3) . C'est néanmoins ce que le président de la Fédération des cégeps, Jean Beauchesne, a malheureusement oublié lorsqu'il déclara le 29 août au journal Le Soleil, dans un français indigne de sa fonction : «Est-ce que la formation générale obligatoire ne pourrait pas être plutôt un panier avec un minimum obligatoire pour tout le monde, le plus minimum possible [...]?».

Dans cet avis qui recommande de revoir la FG, on perd entièrement de vue les trois visées de formation telles que définies dans le « Profil de la formation générale ». Pour mémoire, rappelons que la FG vise à former des citoyens 1) aptes à vivre en société de façon responsable, 2) capables d'intégrer les acquis de la culture, et 3) pouvant maîtriser la langue comme outil de pensée, de communication et d'ouverture sur le monde. Est-ce trop demandé au CSÉ, au président de la Fédération des cégeps et au ministre de l'Éducation d'en prendre acte? Peut-on vraiment ignorer ces trois visées en invoquant constamment de ronflants et indéfinis impératifs d'« ajustement aux réalités de la société » et des « nouvelles exigences » ? Ainsi que l'écrivait Félix Leclerc, comme en écho à Socrate : « L'ignorance a le mépris facile ».

S'il advenait que le CSÉ se ravise et admette que les visées de la FG méritent d'être pleinement reconnues comme pertinentes, persisterait-il à considérer que le meilleur moyen de les atteindre est de diversifier l'offre de cours de la FG de manière à permettre aux institutions d'affirmer leurs « couleurs locales »?

Qu'il nous soit permis de douter du sérieux et de l'efficacité de ce moyen lors même qu'on en néglige les finalités. Si on juge que celles-ci sont à revoir, qu'on en débatte ouvertement et intelligemment. Si on les reconnaît comme toujours pertinentes, il faudrait montrer en quoi les changements ou moyens recommandés en favorisent l'atteinte. L'avis échoue à faire l'un et l'autre. Nous pressons la Fédération des collèges ainsi que le ministre de l'Éducation de ne pas engager des réformes sur des bases aussi fragiles.

--

(1) L'avis de 2014 cite ici un passage de l'avis que le CSÉ a publié en 2004, quelques semaines avant le Forum sur l'éducation organisé par le gouvernement Charest. Or, de 2006 à 2009, suite aux recommandations du forum, une opération d'actualisation de la FG a eu lieu. Cette opération, il faut le rappeler avec insistance, a mené à la production du « Profil de la formation générale » où sont présentées trois visées de formation auxquelles sont associées douze compétences. À notre connaissance, ni le ministère, ni le CSÉ, ni la Fédération des cégeps n'a pris le temps d'examiner et d'évaluer les effets de l'actualisation de la FG depuis cinq ans.

(2) Abordant le sujet de la « culture », le CSÉ se limite à affirmer, en citant l'avis de 2004 : [Le Conseil] ne croit pas qu'il faille s'en tenir à une définition étroite de la culture commune. Pour rejoindre les finalités de la formation générale, on ne doit pas nécessairement imposer les mêmes contenus disciplinaires à tous les élèves. Il importe toutefois d'offrir à toutes et à tous la même ouverture aux grands domaines du savoir. Par ces affirmations, le Conseil exprime sa distance par rapport aux modalités actuelles, qui ne lui semblent pas laisser suffisamment de place à l'expression des besoins et des champs d'intérêt des élèves d'aujourd'hui. (CSE, 2004, p. 78) [p. 22].

Le CSÉ croit-il vraiment qu'on offrira à tous une « même ouverture aux grands domaines du savoir » en réduisant l'offre des cours de la FG à « des fonctions de maintien en emploi des enseignants et [...] d'utilisation rationnelle et adaptée des ressources humaines disponibles »? Croit-il vraiment qu'on parviendra à une telle offre « en dotant les établissements de « marges de manœuvre institutionnelles, dont la nécessité est reconnue » et qui « permettent l'affirmation du profil d'établissement - ce qu'on appelle la « couleur locale » ? Voilà une bien curieuse façon de concevoir la « culture commune ».

(3) Guy Rocher, «L'engendrement du cégep par la commission Parent», Les cégeps : une grande aventure collective québécoise, Les Presses de l'Université Laval, Lévis, 2006, p. 10.

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