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Lutte des genres, critique d'un projet stérile

Lefait partie d'une trousse à outils rhétorique utilisée par le féminisme de combat pour faire triompher ses idées. Mais plutôt que de m'en indigner, j'ai décidé de m'en amuser.
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Savez-vous ce qu'est le mansplaining?

C'est une trouvaille du féminisme de combat que j'adore, et qui peut se résumer ainsi:

Se dit d'un homme qui s'adresse de façon condescendante à une femme avec l'intention de lui expliquer ce qu'elle sait déjà, et comment bien faire ce qu'elle fait en réalité bien mieux que lui. L'expression prend toute sa force quand c'est le féminisme et la condition féminine qui sont au coeur de l'échange.

Il m'est arrivé à quelques reprises de me faire accuser de mansplaining alors que je participais honnêtement à des discussions sur ces sujets. Au début ça avait tendance à me fâcher parce que je trouvais cela faux et injuste, jusqu'à ce que je comprenne que c'est un outil redoutable pour triompher instantanément de l'adversaire. En effet, il s'agit d'un argument ad hominem qui permet de changer l'opinion d'un homme sur la condition féminine en tentative de prise de contrôle directement issue des pires patriarcats, avec une sournoiserie hautaine, en prime. Cette arme fatale ne permet pas juste de disqualifier les arguments de l'homme qui s'exprime, il disqualifie l'homme qui s'exprime par sa simple condition d'homme. C'est une réduction au silence qui interdit avec astuce l'analyse des éléments défectueux. À noter que des femmes peuvent être taxées de mansplaining si d'aventure leurs propos devaient démontrer quelque signe de dissidence.

Cette merveille d'ingénierie du langage est issue des universités américaines, en revanche on la retrouve très peu dans le féminisme européen, qui considère que l'égalité ne peut se faire sans un partenariat actif entre les hommes et les femmes. Il s'agit d'un réalisme élémentaire dont on peut se surprendre qu'il peine tant à traverser l'océan.

Le mansplaining fait donc partie d'une trousse à outils rhétorique utilisée par le féminisme de combat pour faire triompher ses idées. Mais plutôt que de m'en indigner, j'ai décidé de m'en amuser, parce que ces astuces de langage sont un réel plaisir à décortiquer pour l'amoureux des mots que je suis. J'ai même passé l'éponge sur la malhonnêteté intellectuelle pour me concentrer sur mon unique plaisir. Ainsi chaque sortie de ce genre se transforme en charade, en devinette, en rébus.

Dans la publication Facebook ci-dessous, l'auteure Lili Boisvert entreprend de qualifier de féminicides les meurtres de Clémence Beaulieu-Patry et de Reet Jurvetson. Mon plaisir littéraire est d'emblée gâché puisqu'il s'agit de deux crimes sordides, et rien ne m'invite plus vraiment à sourire. Cependant ma curiosité me pousse quand même à vérifier, car l'affirmation est loin d'être légère. Si nous devions observer une augmentation et une banalisation de ces types de meurtres, cela signifierait que notre société est en train de basculer dans un véritable chaos.

La caractéristique du féminicide (on ne dit pas meurtre féminicide, la notion de meurtre est incluse dans féminicide), c'est quand le mobile du meurtre réside dans le fait que la victime est une femme. Par exemple, le drame de Polytechnique était un insupportable féminicide. Mais le simple fait que la victime d'un meurtre soit une femme ne peut à lui seul caractériser le féminicide si le mobile est autre.

Dans le cas du meurtre de Clémence Beaulieu-Patry, le mobile du meurtre est le rejet amoureux, on ne peut donc pas parler de féminicide, même si la victime est une femme. Cela n'enlève évidemment rien à l'horreur de cette tragédie, et aucun mobile ne saurait la justifier. Dans le cas de Reet Jurvetson, si elle est une victime de Manson comme on le croit, on ne peut probablement pas non plus parler de féminicide puisque nous avons à faire à un psychopathe qui a tué à la fois des hommes et des femmes, et à chaque fois pour des mobiles différents (héritage, etc).

Quant aux exemples suivants à vocation absurde (voleur, bagarre, collusion), ils sont une pirouette de langage pour dire vrai un peu décevante par rapport à d'autres astuces de langage féministe qui font mon admiration.

Cependant une fois la charade élucidée, reste la question du pourquoi? L'auteure de cette proposition est une femme résolument brillante, et l'hypothèse de l'erreur ou du malentendu est par conséquent à exclure. Il s'agit donc d'une récupération intentionnelle dont l'objectif est de convaincre que tout ce qui arrive aux femmes leur arrive à cause de leur condition de femme. C'est au coeur du féminisme de lutte, et je dirais même que c'est sa condition de survie puisqu'il justifie son existence à travers ce genre de démonstration plus ou moins habilement croquée (ici le trait était un peu grossier, mais quand même efficace).

La particularité de cette forme radicale du féminisme, c'est qu'il est, en réalité, beaucoup plus concerné par son propre sort en que par celui des femmes.

Ce paradoxe s'est illustré récemment avec les déclarations de la ministre Thériault et de Marie-France Bazzo, lesquelles ayant simplement signifié qu'elles ne se considéraient pas comme féministes, ce qui a provoqué des réactions très violentes à leur endroit de la part... des féministes radicales. Autrement dit, des femmes qui incarnent la réussite et l'indépendance ont eu pour principales agresseures des personnes qu'on aurait volontiers imaginé réjouies de ce succès.

Ce paradoxe s'illustre également dans des démonstrations fallacieuses comme celles décrites plus haut, puisqu'en imposant aux femmes un destin systématiquement tragique, non seulement on adresse à la société un problème qui ne reflète pas la réalité, mais on confère au féminisme des attributs de manipulation et de malhonnêteté qui finissent par nuire à la cause réellement noble et nécessaire du féminisme. On comprend mieux alors la distance que de nombreuses femmes prennent avec cet activisme d'usurpation. Notez par ailleurs que ce paragraphe est particulièrement éligible au titre de mansplaining. Notez en fait que tout le texte l'est.

Ces exemples illustrent bien que certaines branches radicales du féminisme nuisent aux femmes bien plus qu'elles ne les servent. Et c'est éloquent au point de s'interroger si les tenants de cette idéologie n'ont pas finalement pour objectif une aggravation de la condition féminine, ce qui aurait pour effet de légitimer leur existence. Puisqu'elles travaillent à une aggravation des perceptions, la question n'est pas si farfelue qu'elle en a l'air. En effet, la diminution des inégalités entre les hommes et les femmes augureraient d'une perte d'influence du féminisme radical et de ses représentants.

Et c'est là je crois qu'il faut faire preuve de beaucoup de vigilance. Si certains idéologues tordent la vérité à l'aide d'une rhétorique frauduleuse, il est capital de garder à l'esprit que le féminisme demeure un combat légitime et essentiel, dans lequel chacun doit s'engager quotidiennement et sans réserve. Rien ne doit être infligé à une femme pour le seul motif qu'elle est une femme, et rien ne doit lui être compliqué ou interdit à ce même titre.

Idéalement, rien ne devrait être infligé à une femme. Aucune violence, aucune souffrance, aucune injustice. Et les hommes devraient aussi pouvoir se prévaloir de ça. Mais l'humanité n'est malheureusement pas à la hauteur de ses idéaux. Si le monde dans lequel on vit semble plus sûr qu'au cours des siècles passés, il demeure que la violence est inhérente au genre humain. La réalité est suffisamment sombre pour qu'on ne lui impose pas, en plus, une inutile et stérile lutte des genres. Alimenter l'idée que la moitié de nous a pour projet l'assujettissement de l'autre moitié de nous est aussi absurde qu'improductif.

Des systèmes idéologiques, politiques, religieux, financiers accablent l'humanité et soumettent tantôt ses hommes, tantôt ses femmes, en toute impunité. Quelle est la priorité? Faire la comptabilité frénétique des victimes pour qu'un camp puisse décréter l'autre coupable et réclamer le monopole du malheur, ou faire front ensemble pour fabriquer un monde meilleur?

Ce texte va entraîner des réactions, sans doute virulentes. C'est de bonne guerre, comme on dit. Il y aura ceux qui n'auront lu que le titre (vous les saluerez de ma part puisqu'ils ne se sont pas rendus jusqu'ici), et ceux qui déformeront les mots, pour mieux les embrasser, ou pour mieux les dénoncer. Certains imbéciles en profiteront pour tenir des propos haineux et misogynes, d'autres brandiront des chiffriers incontestables pour faire triompher leur écurie. Lili Boisvert est dans ce texte parce j'ai lu son propos et que je l'ai trouvé intéressant. J'aurais pu réagir à l'argument de quelqu'un d'autre, c'est un hasard. Alors même contrarié, je vous demande avec insistance de chahuter le message et non pas la messagère. Quiconque a un jour fait ça, je vous le jure, en est sorti grandi. Quant à moi, je m'en remets à votre bon jugement.

Namasté.

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