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Des photos avec six pédophiles

Combien de personnes au Québec peuvent affirmer avoir des photos d'adolescence sur lesquelles figurent six pédophiles? Cette réflexion a surgi en regardant mes photos d'activités du Séminaire Saint-Alphonse de Sainte-Anne-de-Beaupré. Prises au tournant des années 60 et 70, celles-ci montrent, au milieu d'étudiants, deux pédophiles condamnés (Raymond-Marie Lavoie et Herman Cassistat), un prêtre dont le procès va bientôt commencer et trois autres dont les noms ont été plusieurs fois cités lors du procès des rédemptoristes.
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Combien de personnes au Québec peuvent affirmer avoir des photos d'adolescence sur lesquelles figurent six pédophiles? Probablement plus de gens que l'on pourrait croire. Cette réflexion a surgi en regardant mes photos d'activités du Séminaire Saint-Alphonse de Sainte-Anne-de-Beaupré. Prises au tournant des années 60 et 70, celles-ci montrent, au milieu d'étudiants de ce pensionnat, deux pédophiles condamnés (Raymond-Marie Lavoie et Herman Cassistat), un prêtre dont le procès va bientôt commencer et trois autres dont les noms ont été plusieurs fois cités lors du procès des rédemptoristes. Parmi ces six personnes, à ma connaissance, les noms de deux étaient déjà sérieusement entachés par des réputations sordides. Une troisième réputation de mains longues était accolée à un autre prêtre qui ne figure pas sur mes photos. Vous avez bien compté, cela fait sept.

Il a été dit et redit que la présence simultanée d'un nombre élevé de pédophiles dans le même établissement n'a pu se produire que sous l'influence du pouvoir du clergé et grâce à la très grande confiance de la population à son endroit. Ajoutons au portrait, le prestige des rédemptoristes, qui étaient responsables d'un des plus importants lieux de pèlerinage d'Amérique. Le Québec baignait encore dans une culture vieille de trois cents ans qui comportait ses codes, ses valeurs et ses habitudes. Malgré la Révolution tranquille qui ébranlait les colonnes du temple, les façons de voir et de se comporter ne s'étaient pas modifiées du jour au lendemain. Une aura protégeait encore certains religieux malveillants.

Ainsi, en 1970 au Séminaire Saint-Alphonse, j'ai pu constater que des frontières interpersonnelles normalement respectées à l'époque ont été sans gêne franchies. Les parents ne voyaient pas de problème à laisser leur enfant partir camper en forêt avec un prêtre. Un religieux directeur d'école pouvait impunément faire coucher un élève par terre une semaine, puis une nuit dans son lit (sans qu'il y soit heureusement). La plupart du temps, les adultes responsables d'aider les adolescents en questionnement ou en détresse les recevaient dans leur chambre. Dans le même endroit, un prêtre pouvait faire l'éducation sexuelle d'un enfant de 13 ans en lui demandant d'office s'il se masturbait. Seule question intéressante, semblait-il.

Avec ma connaissance du milieu et mon expérience professionnelle, je peux décrire l'équation ayant permis un si grand nombre d'agressions sexuelles de la façon suivante. Prenons le désir d'une bonne éducation pour des enfants vivant en régions rurales ou semi-rurales. Ajoutons l'autorité, le prestige et la confiance accordée aux rédemptoristes. À l'interne, tenons compte du manque de frontières empêchant les enfants de se retrouver dans des situations à risques. Poursuivons en mentionnant que, ces étudiants étant pensionnaires et adolescents, ils avaient besoin de soutien de la part d'adultes; ce qui augmentait significativement les probabilités d'entrer dans les zones de risques. Ce soutien n'était d'ailleurs pas facile à trouver, puisqu'en dehors des heures de cours et d'étude, les adolescents étaient la plupart du temps laissés à eux-mêmes. Malheureusement, il faut dire que certains étudiants portaient en eux des vulnérabilités personnelles (mais, est-ce une faute de souffrir et de chercher de la compréhension?) Terminons avec un mur d'autorité très cohésive pour contrôler les excès des pensionnaires.

Nous venons de voir que plusieurs facteurs contextuels s'additionnaient et augmentaient les risques d'agressions sexuelles. Aussi, n'est-il pas étonnant que les informations qui émanent du procès fassent état de plusieurs dizaines d'adolescents possiblement agressés au Séminaire Saint-Alphonse.

Aujourd'hui, certaines personnes se demandent pourquoi il s'est passé tant d'années avant les dénonciations. La réponse à cette question est douloureuse. En effet, au procès, les victimes d'agression mentionnent s'être senties coupables, honteuses, confuses ou détruites. D'ailleurs, dans ma pratique de médiateur et de psychologue organisationnel, je constate souvent que les manipulateurs savent attacher leurs victimes en leur injectant un venin de peur et de culpabilité. Ces élèves, vulnérables, puis déboussolés par des gestes inattendus, se sont demandé comment ils ont pu se laisser faire ou encore s'ils étaient normaux. Surtout, vers qui pouvaient-ils se tourner pour dénoncer, faire cesser et punir comme il se devait? Personne! Ils ont dû donc rester avec leurs doutes.

Il est facile aujourd'hui d'affirmer qu'ils auraient dû dénoncer ou au moins quitter l'endroit. De nos jours, le respect des droits des personnes est devenu une vertu cardinale. Elle est enchâssée dans les chartes canadienne et québécoise. Elle est soutenue par des normes du travail ou par des politiques visant à lutter contre le harcèlement, l'intimidation, la discrimination sexuelle, etc. Cependant, malgré ces grands changements positifs, il demeure très difficile de dénoncer l'inacceptable. Des victimes de harcèlement psychologique au travail se sentent coupables, salies, détruites. Des sentiments qui les rendent confuses, incertaines ou paralysées. Alors, au Séminaire Saint-Alphonse, sans ces filets de sécurité, comment les victimes pouvaient-elles dénoncer des atteintes aussi graves à leur intégrité personnelle? Elles ont donc grandi sans réponses apaisantes pour leur douleur. Il leur restait le fol espoir d'enfouir cela, comme si rien n'était arrivé.

Concluons en affirmant que le procès relatif à la responsabilité des rédemptoristes n'est pas celui de l'ensemble de l'œuvre de cette communauté religieuse. Il n'est pas non plus celui de l'Église. Dans les médias, en défense ou en accusation, certaines personnes tentent de faire ces raccourcis abusifs. Cela n'aide pas à se faire un portrait équitable de la situation qui régnait pendant ces années. La question à trancher porte sur responsabilité que devaient assumer les substituts parentaux dans la commission d'un grand nombre d'agressions sexuelles qui auraient été perpétrées par au moins 9 des leurs sur une période de près de 30 ans.

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