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Magie et réveil estoniens: les couleurs d'Anu Samarüütel

À l'intérieur du site industriel reconverti en galerie d'art, les œuvres d'Anu Samarüütel attirent tout de suite l'attention. Les couleurs de ses travaux sont remarquables, la vivacité qui y en ressort est singulière et les formes semblent à la fois esthétiques et enfantines par leurs figures circulaires.
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Un soir d'automne, je suis allé voir une expo de plusieurs artistes nordiques dans le quartier branché de Bethnal Green, dans l'est de Londres, un faubourg où coexistent pacifiquement, jusqu'à présent, hipsters et musulmans du sous-continent indien, deux communautés qui désormais sont férues de barbes. À l'intérieur du site industriel reconverti en galerie d'art, les œuvres d'Anu Samarüütel attirent tout de suite l'attention. Les couleurs de ses travaux sont remarquables, la vivacité qui y en ressort est singulière et les formes semblent à la fois esthétiques et enfantines par leurs figures circulaires. On a l'impression qu'une joie ressort de ses tableaux et qu'elle nous libère d'un certain poids de la routine quotidienne.

Ce ne sont pas les couleurs en tant que telles qui sont importantes pour cette artiste estonienne, mais l'énergie, la fréquence, les vibrations qui s'en dégagent. Aucun matériau ne lui résiste ; elle travaille aussi bien le bois, les métaux que le papier ou les tissus. Formée à la prestigieuse école anglaise Saint Martins College, elle a conservé cet esprit londonien de créativité et d'entrepreneuriat. En plus d'être artiste-peintre et écrivaine, Anu Samarüütel est styliste et fabrique de nombreux bijoux. Au premier contact, cette femme nous met tout de suite à l'aise par son sourire authentique et par son ouverture d'esprit. Elle écoute, elle observe et elle n'hésite point à donner son avis dans un anglais parfait.

Lors d'un séjour d'une semaine dans la sophistiquée Riga, en Lettonie, je décide de faire un petit saut de deux jours à Tallinn en Estonie et d'aller saluer Anu qui expose certaines de ses toiles dans une immense galerie de la magnifique ville médiévale fortifiée. Dès notre rencontre, Anu veut absolument me montrer sa ville que les touristes connaissent moins : le bord de la mer avec ses anciennes constructions olympiques soviétiques, les maisons en bois habitées le plus souvent par des Estoniens russophones beaucoup plus pauvres, l'ancien quartier industriel où les entrepôts ont été reconvertis en bars, restos, ateliers, clubs que les hipsters tallinnois fréquentent assidument. Cette partie de la ville a un petit air « laid-back » décontracté que l'on retrouve dans les villes du nord de l'Europe ou même à Montréal ou Vancouver. Durant cette longue promenade, je me rends compte qu'Anu jouit d'une certaine notoriété dans cette microsociété. Nous nous arrêtons pour prendre une bière, grande spécialité du pays. Il faut savoir que les taxes sur l'alcool servent à financer le monde des arts, ce qui permet à l'Estonie de conserver une vie culturelle dynamique.

En revenant vers la vieille ville, nous empruntons le tramway et Anu me pointe du doigt ces nouveaux abris-bus construits avec des matériaux dits modernes, financés en partie avec l'argent de l'Union européenne. « Nos anciens abris en pierre calcaire étaient beaucoup plus jolis et plus harmonieux, mais depuis notre adhésion à l'Europe tout est aseptisé. J'ai l'impression que l'UE fait n'importe quoi». Elle craint que la petite Estonie ne perde sa culture et sa toute jeune indépendance retrouvée ; l'Union soviétique pourrait être remplacée par une autre : l'Union européenne. Pour cette raison, elle ne peut qu'applaudir les Britanniques qui ont choisi le retour à la suprématie de leur parlement en votant le Brexit.

Beaucoup d'Estoniens comprennent difficilement que la commission européenne veuille leur imposer un quota de réfugiés et de migrants qui n'ont rien à voir avec la culture finno-ougrienne ou même européenne. « Nous ne sommes qu'une petite nation de 1,3 million et si on enlève les russophones, il ne reste que 800 000 Estoniens de souche. Nous pourrions à long terme devenir une minorité dans notre propre pays», me dit-elle. Quant à la Russie, elle ne croit pas qu'elle soit une menace et elle regrette que ce pays soit victime d'une campagne de diabolisation par les médias occidentaux. « Les Occidentaux ne comprennent pas du tout la Russie. Ce pays est certes parfois dangereux, mais il est peuplé d'une multitude d'ethnies, de gens à la fois libres, fiers et mystiques. Les idées qu'Anu portent sur l'Europe et la Russie m'étonnent, me choquent presque, moi qui crois - peut-être naïvement - au bien-fondé de la construction européenne et qui suis convaincu que le nationalisme-orthodoxe russe fait peser une menace sur l'Europe.

« Savais-tu que la Russie a interdit toute agriculture OGM ? » m'interroge-t-elle. Comment peut-on condamner un pays qui résiste à une mondialisation à outrance, à la destruction de l'agriculture, de l'environnement et du tissu social européen. Par courtoisie, je n'aborde ni le thème de l'Ukraine ni celui de la mafia russe. Je me contente seulement de cette interrogation : « La Russie ne menace-t-elle pas la souveraineté des pays baltes ? » Non, pour Anu, l'Estonie doit trouver une solution de cohabitation avec le géant russe. « Nous sommes voisins et nous ne pouvons changer cette donne géographique. Nous sommes condamnés à bien nous entendre », conclut-elle.

Anu aime son pays, elle l'aime l'été comme l'hiver : les longues journées estivales lui donnent l'envie de faire du vélo, de se promener dans les bois, de se baigner dans la mer baltique et le manque de lumière en hiver la pousse à peindre. Anu donne vie à des couleurs qui font oublier l'obscurité dans laquelle nous sommes plongés. Même si l'on peut être en désaccord avec sa défense de l'idée des peuples indépendants, libres de toute organisation supranationale, on est conquis par le jeu des couleurs naissant de ses doigts.

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